De Louis XIV à Louis XVI, Versailles a constamment attiré un monde interlope de vide-goussets, manipulateurs sans scrupule et aventurières.
A l’intérieur même de l’enceinte du palais, les voleurs, coupe-jarrets et autres tire-goussets étaient en effet nombreux et d’une incroyable audace. La facilité avec laquelle on laissait pénétrer les gens dans le château explique partiellement leur impunité. Tant de valets, de gardes, de pages se croisaient à travers les galeries qu’il était bien difficile de déceler les inconnus et de prévenir leurs mauvais coups. On a souvent insisté sur le sans-gêne des curieux qui se glissaient dans le château et, à plus forte raison, visitaient les jardins. Si Louis XIV a pu dire : « L’Etat, c’est moi », ces hôtes indésirables auraient pu ajouter « et l’Etat est à nous. »
Certains vols causèrent un tel scandale que les mémorialistes ne purent s’empêcher de les consigner.
A l’occasion du bal donné le 11 décembre 1697, bon nombre d’étrangers et de curieux se rendirent à Versailles. Gatien de Courtilz de Sandras, dont les satires sur la cour sont précieuses en dépit de leur venin, ne manque pas de souligner que les vide-goussets ne laissèrent pas échapper pareille aubaine :
« Ils y vinrent parés comme les autres, si bien qu’à la réserve de leur visage qui n’était pas connu dans ce pays-là, il n’y eut personne qui ne les eût pris pour des gens de qualité. »
Marie-Adélaïde de Savoie en fit l’amère expérience : d’une main habile, un audacieux découpa proprement un morceau de sa robe qu’un diamant fermait en guise d’agrafe. Quand elle s’en aperçut, le voleur était loin.
Le chevalier de Sully fut plus heureux que la duchesse. Il mit la main sur un quidam qui tentait de lui dérober un joyau. Grande fut sa stupéfaction de reconnaître un gentilhomme de bonne famille. Louis XIV fut averti. Il montra moins de surprise. Il savait bien que ses courtisans usaient de tous les expédients pour se procurer de l’argent. Les fripiers, revendeurs et autres trafiquants faisaient fortune à Versailles et n’exigeaient pas d’éclaircissements sur l’origine des bijoux qu’on leur proposait.
Pour le gentilhomme pris sur le fait, Sa Majesté, conclut Courtilz de Sandras, voulut savoir qui c’était. On lui dit à l’oreille le nom de ce coupeur de bourse. Il ne voulut pas qu’on le lui dît autrement parce que, pour l’amour de ses parents, il était bien aise de sauver l’honneur de ce malheureux.
Le prévôt de l’Hôtel n’eut pas à intervenir… mais toute la cour connut le nom du personnage et celui-ci disparut.
Moins hardis, les petites gens qui se promenaient dans les jardins se contentaient de cueillir les fleurs des parterres, de dérober les branches des arbres. Les larcins étaient parfois plus graves : on enlevait jusqu’aux conduits de plomb des canalisations du sieur Francine ! Il fallut prendre des mesures de protection. Le roi fut contraint de faire entourer les bosquets et les plantations de grilles cadenassées. Le prévôt de l’Hôtel édicta un règlement menaçant des peines les plus sévères les gens convaincus de délits commis dans le parc.
Une seule fois, Louis XIV donna ordre de fermer les yeux. Ce fut au cours de l’hiver 1709. La misère fut si grande, la population si malheureuse, que le roi laissa librement ramasser du bois dans les forêts royales. Ainsi les pauvres purent lutter contre le froid qui régna pendant plus de trois mois.