Le marché aux esclaves dans la Rome antique

L’Empire romain était structuré par de multiples hiérarchies sociales.
• En haut, une élite accaparait les terres, les privilèges et les leviers du pouvoir.
• Elle exploitait la plèbe et surtout les esclaves qui, à eux deux, composaient l’essentiel de la population.
• Toutefois, les clivages ont évolué durant l’Empire. Par exemple, la citoyenneté romaine était accordée de plus en plus facilement.
• La civilisation romaine était donc un écheveau complexe de réseaux sociaux.

Duplicité du Marchand d’esclaves
Toranius, marchand d’esclaves, vendit comme jumeaux à Antoine, déjà triumvir, deux entants d’une beauté remarquable, nés l’un en Asie. l’autre au-delà des Alpes. tant la ressemblance était grande. Le langage des enfants ayant fait découvrir la fraude et Antoine s’emportant, et se plaignant entre autres de l’élévation du prix. L’adroit marchand répondit que c’était justement pour cela qu’il les avait vendus si cher; attendu que la ressemblance entre deux enfants nés de la même mère n’avait rien de merveilleux, tandis qu’une ressemblance aussi complète entre des individus nés chez des nations différentes était une rareté au-dessus de toute évaluation.

La foire aux esclaves

La vente des esclaves se déroule dans les villes

En principe le commerce des esclaves est libre. En fait il est réglementé par deux sortes d’impôts : le portorium, droit d’importation et d’exportation et le vectigal, droit de vente.
La vente des esclaves se déroule dans les villes, sur les places, sur les fouarailles, où se pressent les intermédiaires spécialisés dans cette odieuse besogne; appelés mangons, ils ont mauvaise réputation. Ce sont de vulgaires trafiquants, souvent d’origine grecque ou orientale qui ont acheté leurs produits humains aux pirates, aux soldats victorieux désireux de se dé­barrasser de leur butin d’esclaves.
Mais ces mangons, ces maquignons, dirions-nous aujourd’hui, sont nécessaires, même s’ils inspirent toujours une aversion et un dégoût profond, même si on les traite en public et en privé, au théâtre et dans la littérature, de tous les noms : « mouches, puces, vils insectes, nés pour être odieux et incommodes à tous et utiles à rien. » Un citoyen qui ose entrer en relation avec un marchand d’esclaves est honni, conspué, méprisé.
A Rome, le marché d’esclaves se trouve à l’angle sud du Forum, près du temple de Castor et Pollux. Les esclaves sont juchés sur des estrades et parfois enfermés dans des cages comme des poulets. Leurs pieds sont enduits de craie.
Ils ne portent généralement pas de vêtements, les acheteurs peuvent ainsi juger, en toute connaissance, la valeur de la marchandise proposée. Ceux qui sont des prisonniers de guerre portent une couronne. Si un esclave est coiffé d’un bonnet, c’est un signe qu’il n’est pas garanti par le vendeur.
Parfois. on accroche à son cou un écriteau sur lequel sont inscrits son origine, son ethnie, ses qualités, ses aptitudes morales, intellectuelles et physiques. C’est ainsi que l’Edit des Curules stipule que l’acheteur devra savoir « si les esclaves ont quelques maladies ou quelques vices, s’ils sont fugitifs ou vagabonds, s’ils ont à s’acquitter d’une peine ».
Le juriste Ulpien établit une sorte de liste noire qui, en principe, protège les acheteurs contre toute escroquerie : mutisme, surdité, myopie, fièvre tierce ou quarte, goutte, épilepsie, polypes, varices, haleine qui dénonce une maladie des poumons ou du foie, un vice de conformation dans les jambes et dans les hanches et, pour les femmes, la stérilité ou l’avortement, maladies, défauts ou malformations qui font baisser les prix.

Les camelots de la chair humaine

Le vendeur d’esclaves est aussi contraint d’annoncer clairement les défauts moraux de son esclave : est-il joueur? buveur? voleur ? gourmand ? A-t-il tenté de se suicider ? « Comme si celui qui a tenté quelque chose contre lui-même devait être capable d’oser tout contre un autre. »
Enfin le mangon doit dire publiquement si l’esclave est novicius, c’est-à-dire nouveau dans la condition servile, donc plus malléable que le veterator, dur à cuire qui coûte, bien entendu, moins cher. Exposés ainsi à l’impudicité publique, les esclaves sont ensuite vendus selon le procédé des enchères. Le marchand se transforme en bonimenteur, c’est-à-dire en menteur, et, devant les badauds et la foule des acheteurs, il fait l’article, vante sa marchandise humaine comme un représentant de commerce ou comme un camelot qui chercherait à « estamper » le client.
Avec faconde et non sans esprit, il s’attache à démontrer que l’esclave proposé donnera toutes les satisfactions à son maître et que c’est une affaire à ne pas manquer.
Voyez quelle peau blanche ! Il est beau des pieds à la tête. C’est un valet précieux, il comprend un geste, un coup d’œil. La langue grecque lui est familière. Il en est pénétré. Point de talents qu’il ne possède ; c’est une molle argile qui recevra toutes les impressions. Il chante sans art il est vrai ; mais non sans douceur : vous en jugerez à table.
Les esclaves de luxe comme celui qui vient d’être présenté, sont particulièrement recherchés surtout à partir de l’Empire au Ier siècle. Il faut qu’ils soient bons convives, capables de danser au son des flûtes dans les festins, susceptibles de préparer des mets et de pétrir les gâteaux, versés dans l’art de procurer des voluptés à leurs maîtres. Parfois, en dépit du flot des bonnes paroles, les acheteurs restent sceptiques, feignent de s’éloigner. Alors le mangon, comme un montreur d’ours dans les foires, demande à l’esclave de tourner pour bien montrer toutes les parties de son corps, de sauter ou d’accomplir des épreuves de gymnaste, afin de prouver sa vaillance, sa force et sa souplesse, de réciter des vers et des textes littéraires pour attester qu’il est cultivé et que son prochain maître ne s’ennuiera pas en sa compagnie.

L'escroquerie sur la marchandise

L'acheteur et le vendeur d'esclaves dans la Rome antiqueSouvent, la marchandise humaine se trouve dans un si piteux état que les mangons la trafiquent : ils ont à leur disposition diverses recettes, diverses pratiques étranges, occultes même, comme frotter le corps d’un esclave trop maigre de térébenthine, cette substance ayant, paraît-il, « la propriété de relâcher la peau et de rendre le corps plus apte à profiter de la nourriture ».
Aux amateurs d’eunuques, d’homosexuels, d’éphèbes, les marchands proposent de jeunes esclaves qui sont castrés, pratique courante et cruelle.
Encore le mangon, avant de conclure une vente, doit-il vaincre les préjugés qui font de l’esclave phrygien un timide, du Crétois un menteur, du Sarde un rebelle au joug, du Corse un cruel et un indocile au travail, du Dalmate un féroce, même si on estime que le Syrien est fort, l’Asiate et le Ionien sont beaux, l’Alexandrien musicien et délicieusement dépravé, selon une tradition routinière qui ne s’appuie sur aucune logique, sinon sur un racisme déguisé.
Si l’acheteur n’est pas convaincu, le vendeur lui permet d’examiner lui-même les esclaves, de les toucher, de voir si leurs muscles sont termes, de leur taire ouvrir la bouche pour regarder si les dents sont saines, de scruter leurs yeux. Enfin bref de les traiter comme du bétail.

Le prix des esclaves

La vente des esclaves dans la Rome antiqueLe problème du prix des esclaves est encore sujet à controverse. Ces prix dépendent, on le sait bien, de facteurs divers : du nombre dés esclaves, de la concurrence, des lois de l’offre et de la demande.
lls varient suivant que le ravitaillement en esclaves frais est rare ou pléthorique. lls sont soumis aux fluctuations de la paix et de la guerre ; ils baissent ou montent selon la personnalité. le sexe, l’âge. la santé, l’ethnie, le talent, la force de l’esclave : son éducation, ses qualifications techniques, intellectuelles et morales.
Sur le prix, les indications données par les historiens romains sont parcellaires et discutables et concernent généralement des cas particuliers comme les prisonniers de guerre, vendus ou rachetés. Elles dépendent des conditions dans lesquelles les guerres se sont déroulées, des lieux ou des dates auxquels la réduction en esclavage s’est produite.
La moyenne du prix d’un esclave au cours de l’Antiquité romaine n’aurait aucune raison d’être citée. s’il n’était pas possible de la comparer au pouvoir d’achat des Romains. En fait, il est démontré que le prix d’un esclave correspond à la solde d’un légionnaire au temps d’Auguste pour une vingtaine de mois. Ce rapprochement saisissant permet de mesurer l’importance du capital que représente l’esclave pour le citoyen romain.

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