Cette impression générale que toutes les valeurs sont abolies à Rome tient probablement non pas au relâchement des moeurs, mais à l’extraordinaire spectacle qu’offrent les rues de la ville où les distinctions sociales semblent inexistantes, où les constructions somptueuses nobles côtoient les immeubles aux murs fissurés réservés aux misérables, où le luxe le plus insolent voisine avec le dénuement le plus sordide.
Rome n’a jamais vraiment connu les cloisonnements. Pourtant certaines parties de la Ville jouissent d’une mauvaise réputation qui tient autant à la précarité de la vie de leurs habitants qu’à l’illégalité des trafics qu’elles abritent. Les rues mal famées de Subure, entre les collines de l’Esquilin et du Viminal, continuent à être le repaire des commerces douteux et des activités marginales.
Les thermes : Un bouillon de culture !
Les thermes n’avaient pas de système de désinfection ni de renouvellement régulier des eaux. Aussi les bassins devaient-ils être de véritables bouillons de culture i Le célèbre médecin Celse, contemporain d’Auguste, recommandait de ne pas se rendre aux bains avec une blessure fraîche, car cela entraînait généralement la gangrène. Quant au poète Martial (40-104), il aimait à blaguer sur les défécations qui y flottaient..
Les Romains ne prennent qu’un seul véritable repas, la cena du soir. Mais, pendant toute la journée, ils grignotent. Dans les thermopolia vendant des boissons et des aliments chauds, un long comptoir extérieur est percé de trous dans lesquels sont encastrées des amphores de vin, servi frais ou chaud.
Le cabaretier propose aussi de la bouillie de pois chiches, des saucisses chaudes parfumées aux oignons ou aux pignons, des placentae ou galettes superposées en couches et farcies de fromage ou d’autres ingrédients (ancêtre de nos pizzas), des gâteaux et des beignets ruisselants de miel. Des esclaves portent des plateaux de pâtisseries très appréciées des passants, un garçon vend des gobelets d’eau puisée dans la jarre portée sur sa tête.
Près d’une jeune fille assise, sont posés des paniers de figues ou de fruits exotiques, dattes et pruneaux d’Antioche. Une petite fleuriste propose des roses et des violettes qui serviront à confectionner les couronnes portées par les convives dans les banquets.
A quatorze heures, le moment du bain approche. Les Romains sont très soucieux d’hygiène et ne sauraient passer un jour sans se laver. Les plus aisés ont dans leurs demeures des thermes privés où ils se délassent des fatigues de la journée avec leur famille et leurs amis. La majorité des Romains doit recourir aux bains publics.
Sous le règne de Claude, Rome ne possède pas encore les vastes installations thermales qui seront construites plus tard par Trajan, Caracalla et Dioclétien. Agrippa, ami et gendre d’Auguste, est le premier à installer un ensemble balnéaire monumental bénéficiant du confort. Les Thermes d’Agrippa s’inspirent d’établissements existant déjà en Grèce et en Italie du Sud. Au centre, une grande salle circulaire est entourée par les différents bains et, à l’extérieur, une piscine permet de nager. L’eau est amenée par les aqueducs et contenue dans de grandes cuves avant d’être distribuée dans les salles par des canalisations de plomb ou de terre cuite. Pour chauffer les bains, les Romains utilisent le système de l’hypocauste: un fourneau extérieur chauffe, d’une part, l’eau des bains, d’autre part, l’air qui circule sous les planchers suspendus et dans les murs à doubles parois.
Tous les Romains, hommes, femmes, enfants, esclaves, fréquentent les établissements de bains publics qui existent dans tous les quartiers de Rome. Il y en a cent soixante-dix au début du 1er siècle, gérés par des particuliers. Ils sont payants et relativement confortables. Si elles ne trouvent pas de bains réservés aux femmes, les Romaines se baignent avec les hommes, au risque de compromettre leur réputation. Dans certains établissements, des heures d’ouverture différentes sont prévues pour les deux sexes. Une cloche avertit de l’ouverture des bains et de leur fermeture.
C’est dans les rues étroites et malodorantes de Rome que se trouvent les tavernes dont les comptoirs, avançant sur la voie, attirent les passants. Le long des piliers de la boutique, des cruchons attachés par des chaînes proposent aux clients des vins divers. Les rues étaient tellement envahies par ces étalages « sauvages » que la sécurité des passants en était menacée et Domitien, par un édit, avait tenté de mettre fin au débordement des gargotes sur la voie publique. Peine perdue, car on n’avait pas tardé à voir réapparaître sur la chaussée ces éventaires appétissants indispensables à la vie quotidienne des Romains et offrant à bas prix tout ce qui satisfaisait la soif et la faim. On peut y boire un gobelet de vin que le gargotier tire d’une amphore encastrée dans le comptoir et que, pendant l’hiver, il fait chauffer sur un petit foyer. Dans un coin, une pile de gâteaux grossiers et des chapelets de saucisses brûlantes allèchent par leurs lourdes exhalaisons les affamés qui en feront bien souvent leur seul repas de la journée.
Derrière le comptoir, la salle de la taverne accueille les clients qui prolongent tard dans la nuit leur beuverie. Dans l’atmosphère enfumée par les braseros sur lesquels mijotent d’épais ragoûts, s’attablent ceux qui ne rebutent ni le vacarme ni l’odeur de graillon. On trouve de tout parmi ces hommes, les artisans du quartier, les gladiateurs, vedettes incontestées des milieux populaires, les individus louches qui traitent d’activités illicites, les esclaves qui ont pu échapper à la surveillance de leurs maîtres pour venir se gaver d’une grasse vulve de truie ou de boudins piqués de serpolet, régal vulgaire par excellence. On boit, on chante, on se bagarre pour les beaux yeux de la serveuse.
On joue aussi beaucoup dans les tavernes. Car, dans une ville où, en dehors des jours de fête des Saturnales, les jeux de hasard sont interdits depuis des siècles, seules les salles de cabaret peuvent abriter sans trop de risque les parieurs. Avec quatre tessères, dont les six faces portent les chiffres de I à VI et qu’on jette sur la table après les avoir agités dans un cornet, on essaie d’obtenir le « coup de Vénus », c’est-à-dire quatre chiffres différents. Malheur à celui qui fait le « coup de chien », c’est-à-dire quatre nombres identiques !
On joue gros dans ces tripots improvisés, malgré la peur du gendarme, on triche aussi et, pour un coup contesté, on en vient facilement aux mains. Les cohortes urbaines, responsables du maintien de l’ordre dans la ville, surveillent étroitement les tavernes, et les descentes inopinées de la police permettent d’arrêter pêle-mêle les joueurs clandestins et les esclaves fugitifs qui tentent de dissimuler sous un foulard le collier scellé autour de leur cou et dénonçant leur condition. Précaution inutile, car il suffit d’un geste d’un policier pour découvrir l’anneau de fer et son inscription révélatrice : « Prends-moi, car je suis un esclave fugitif et ramène-moi à mon maître Untel qui habite telle rue. »
Bien entendu nombre de tavernes pratiquent la prostitution. Une enseigne d’un établissement de Rome, < Aux quatre soeurs », s’inspire fort librement du thème des trois Grâces pour évoquer les charmes dévoilés des hôtesses de l’endroit. Les filles sont là pour répondre à tous les désirs du client. Dans le meilleur des cas, un prétexte artistique sert à justifier leur présence et, au son des « crotales » ou castagnettes qu’elles font retentir en les frappant contre leur bras, les jeunes femmes dansent lascivement au milieu des buveurs. Une chambre à l’étage ou au fond de la cour permet au client de rejoindre la serveuse, une fois la danse terminée. La loi reconnaît d’ailleurs aux filles d’auberge un statut comparable à celui des prostituées déclarées, puisque les relations avec elles ne peuvent être susceptibles de poursuites judiciaires. Les cabaretiers sont aussi généralement assimilés à des proxénètes.
Riches ou pauvres, les Romains se lavent tous les jours. Ils bénéficient de thermes publics construits par Auguste. Ceux-ci ne sont pas des lieux de perdition.
Riches ou pauvres, les Romains se lavent tous les jours. Ils bénéficient de thermes publics construits par Auguste. Ceux-ci ne sont pas des lieux de perdition.