Herculanum, la vérité sur le drame

Surprise par l’éruption du Vésuve, Herculanum offre une vision intimiste de ce qu’était la vie de quartier d’une cité romaine. La découverte de ce site, moins connu que Pompéi, est un moment privilégié pour le visiteur qui affronte là, comme l’écrivit Stendhal, « l’Antiquité face à face ».

Herculanum sous 20m de lave

Herculanum, des squelettes sous la laveLes fouilles permettent d’exhumer plus de trois cents squelettes, sans doute le vingtième de la population. Les habitants n’ont donc pas eu le temps ni la possibilité de fuir par mer comme en témoigne la découverte d’un bateau chaviré, refoulé par les vents contraires puis immobilisé par la lave. La dizaine de squelettes recueillie jusque-là, laissait penser que les Herculaniens s’étaient sauvés à temps vers Naples pour les plus heureux, ou avaient péri asphyxiés en partant vers Nocera. Il semble que le cataclysme ait été plus rapide et que d’ardents nuages toxiques aient précédé la coulée de lave.
De nombreux renseignements sur la population ont été fournis par les corps souvent enlacés, par leurs effets personnels et par l’examen des ossements. Ainsi, les Anciens n’étaient pas de petite taille comme l’atteste la stature de ce garçon de seize ans mesurant 1,73 mètre. La taille moyenne des hommes était de 1,70 mètre et celle des femmes de 1,55 mètre. L’absence de sucre dans l’alimentation des Romains est corroborée par leurs dents saines; les produits de la mer étaient très consommés, ce qui n’a rien d’étonnant dans une ville portuaire. Nombre d’entre eux souffraient de saturnisme : l’intoxication par le plomb était peut-être due à sa présence, parfois en quantité, dans l’alliage de bronze de la vaisselle.

Herculanum subit le même sort que Pompéi

C'est une déferlante de lave qui pénétra dans la cité d'Herculanum

Sur le port, les habitants qui attendaient pour embarquer, abrités sous les arcades, avaient pris avec eux leurs biens les plus précieux, des bijoux (bagues, boucles d’oreilles, pendentifs, bracelets), des pièces d’or, d’argent et de bronze. Un médecin avait emporté sa trousse de chirurgie qui se présentait sous la forme d’une cassette en bois à compartiments cylindriques contenant sondes, pinces et scalpels. Un légionnaire armé avait auprès de lui ses outils de charpentier et des pièces de monnaie ; d’autres s’étaient munis de lampes à huile. Plus loin, des femmes avec leur parure serraient contre elles leurs enfants pour les protéger des gaz. Habitats et lieux publics, bien que dégradés par le cataclysme présentent tous les témoignages de la vie quotidienne. Les maisons dévoilent de remarquables programmes décoratifs où fresques, mosaïques, statues, fontaines sont associées au matériel trivial : lits, armoires, fourneaux, marmites, petits pains, jarres remplies de victuailles, etc.
Si les habitants étaient encore là, ce n’est cependant pas une ville figée qui s’ouvre au visiteur. Il faut imaginer l’attitude et les actes inconsidérés d’une foule prise de panique lorsqu’il ne reste plus qu’à fuir. Les objets ne furent donc pas nécessairement retrouvés dans les conditions de leur utilisation. La lave s’est également chargée de bouleverser les aménagements, d’arracher les toits, même si cette boue, qui atteignit la hauteur de vingt mètres, saisit en quelques instants la cité. Une autre difficulté se présente également au chercheur intéressé par les pratiques quotidiennes des Romains. L’entrée peu méthodique des premières découvertes dans les collections royales eut pour conséquence la méconnaissance de l’origine d’un matériel colossal qui aujourd’hui encore dépasse l’entendement : vaisselle de table ou de cuisine (en bronze, en terre cuite, en verre), lampes, candélabres, statuettes, objets en ivoire ne peuvent plus être rattachés, ni aux boutiques, ni aux villas, ni même parfois à la cité d’où ils sont issus.
Herculanum subit le même sort que Pompéi, cependant les conditions d’ensevelissement distinctes du fait de sa géographie ont assuré son originalité. Tandis que pierres, scories et cendres incandescentes consumaient Pompéi, c’est une déferlante de lave qui pénétrait dans la cité d’Hercule. Cette dure chape conserva quantité de matériaux organiques, mobiliers en bois (tables, lits, portes, volets), objets de cuir, papyrus. On donna aux maisons des noms évocateurs correspondant aux trouvailles : la maison du Mobilier carbonisé, la maison à la Cloison de bois, la maison à Treillis, la maison du Squelette et bien sûr la maison des Papyri.

Un pillage organisé

Herculanum est pillée sans ménagement

Paradoxalement, donc, le déluge de boue, de cendres et autres matériaux volcaniques qui a enseveli Herculanum a préservé l’essentiel des décors. C’est Charles de Bourbon, roi de Naples et de Sicile, qui au XVIIIe siècle va organiser leur pillage. En 1738, il achète un terrain à Portici pour y faire construire un palais. Celui-là même où, vingt-neuf ans auparavant, des ouvriers avaient exhumé plusieurs statues antiques en marbre alors qu’ils creusaient un puits… Piqué par la curiosité, le roi fait rouvrir ce puits et lance les premières fouilles avec l’espoir de découvrir de nouvelles œuvres d’art susceptibles d’enrichir son musée et donner du lustre à sa capitale. Mais le travail des fouilleurs est ardu. Car au fil du temps, les dépôts volcaniques se sont transformés en une roche dure et compacte épaisse de quinze à vingt mètres. Des condamnés de droit commun et des forçats sont donc enrôlés : ils creusent au hasard, ouvrent une galerie, la rebouchent avec les déblais de la nouvelle, percent les murs des maisons qui sont sur leur chemin. Le tout sans grande précaution.
« Le seul objectif est d’avancer vite et d’extraire le maximum d’objets précieux : statues de bronze et de marbre, vases, bijoux, argenterie… puis, à partir de 1739, les peintures murales. Dont seules certaines parties sont prélevées, les plus intéressantes d’un point de vue esthétique, pour être transformées en tableaux. Mais les déposes sont délicates et il y a de la casse.
Ce pillage organisé cessera peu à peu après 1748 et la découverte de Pompéi, bien plus facile à fouiller. Et l’exploration d’Herculanum ne reprendra qu’en 1924, avec l’arrivée d’Amedeo Maiuri à la tête du Musée archéologique de Naples et de la Surintendance des antiquités de Campanie. Elle aboutira au dégagement des différents îlots d’habitations que nous connaissons aujourd’hui. La Maison de Neptune et Amphitrite fut ainsi exhumée entre novembre 1932 et avril 1934. Seuls quelques morceaux de décors étaient encore en place, telle la mosaïque éponyme en pâte de verre représentant le mariage de Neptune et Amphitrite trônant dans la cour intérieure servant de salle à manger d’été. Mais l’édifice, comme les autres, avait été fragilisé par les tunnels. L’archéologue dut donc consolider les murs, voire les reconstruire. Ce faisant, il a démonté les enduits peints restants et les a remontés après les travaux… mais pas toujours à leur emplacement d’origine !

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