A partir de 1973, c’est un président français visiblement affaibli qui rencontre les Nixon, Brejnev et autres Mao.
Le successeur de Charles de Gaulle est atteint de la maladie de Waldenström que les médecins tentent de soigner avec un dérivé de cortisone. En vain.
Avant d’être élu à la présidence de la République, Pompidou signale à son médecin une légère fatigue, quelques maux de tête ; des examens de sang mettent en évidence une vitesse de sédimentation très accélérée. Mais le médecin personnel du Président banalise ces symptômes jusqu’au moment où Georges Pompidou se plaint de saignements de nez, puis d’un état grippal.
Appelés en consultation, des spécialistes font assez rapidement le diagnostic, non pas celui d’un myélome multiple qu’on cite encore dans des études, mais celui de la maladie de Waldenström, une anomalie des constituants protéiniques du sang.
La maladie de Waldenström atteint le plus souvent des sujets âgés qui ont des manifestations appartenant au syndrome d’hyperviscosité : fatigue, faiblesse, purpura et hémorragies des muqueuses, troubles visuels, maux de tête, et diverses autres manifestations neurologiques. Lorsque des troubles cardio-respiratoires sont au premier plan, ils sont associés à une augmentation du volume du plasma sanguin qui contribue à perturber la circulation. Une sensibilité anormale au froid, des troubles circulatoires dans les jambes peuvent être associées à la présence des macroglobulines. Les infections bactériennes à répétition représentent un problème majeur chez certains malades, comme ce fut le cas pour Pompidou qui se plaignait de ses grippes à répétition.
Une anémie modérée et une vitesse de sédimentation très élevée sont caractéristiques. Il peut y avoir diverses anomalies du fonctionnement des plaquettes sanguines et par conséquent de la coagulation. L’électrophorèse des protéines du sang et des urines permettent de confirmer le diagnostic, mais on peut trouver également une protéine de Bence-Jones, ce qui avait trompé les services secrets américains.
Ceux-ci avaient analysé les urines du président français après une savante dérivation des installations sanitaires de la suite de l’hôtel de Reykjavik, en Islande, où Pompidou rencontra le président Nixon.
Au début, il est certain que la maladie du président Pompidou est compatible avec l’exercice du pouvoir. Les médecins lui annoncent qu’il est atteint d’une maladie de sang qui peut le laisser tranquille pendant tout son septennat. Ils en diront un peu plus à Mme Pompidou et à son fils, le Dr Alain Pompidou. Aux Etats-Unis, le président aurait été hospitalisé (Eisenhower, Nixon, Johnson, Reagan, Bush, etc.), mais Pompidou semble l’avoir refusé, alors qu’il aurait pu être soigné dans de meilleures conditions.
Le premier objectif est de réduire l’hyperviscosité du sang. Les spécialistes recourent au procédé suivant : ils prélèvent du sang au malade, séparent le plasma visqueux des cellules sanguines. Puis ils retransfusent ces dernières au patient, avec du plasma normal. Dans le même temps, le patient reçoit des médicaments anticancéreux classiques, des alkylants. Dans les années 1950, quand apparut la cortisone, le savant Jan Waldenström, de Malmô, à qui l’on doit la première description de l’affection sanguine en question, testa sur la maladie l’un des dérivés de ce médicament, la prednisone. Il nota qu’il n’obtenait des résultats acceptables que dans les très rares circonstances où la maladie se compliquait d’une anémie hémolytique. Dans les autres cas, la prednisone n’opérait pas, même à doses élevées. Les médecins français, privés de la possibilité de la plasmaphérèse, administrèrent à leur patient de fortes doses de prednisone, avec les risques connus : troubles oculaires, fonte musculaire, diabète, déminéralisation des os, oedèmes du visage, réactivation de foyers infectieux méconnus (tuberculose), suppression des barrières immunologiques, atrophie des glandes surrénales, troubles psychologiques.
Le supplice qui attend Georges Pompidou dès janvier 1973 confirme l’existence de ces complications. Le 11 janvier 1973, le visage bouffi, Pompidou fait un voyage à Minsk où il rencontre le Soviétique Brejnev. Il doit se reposer plusieurs jours à son retour.
Le 15 février 1973, la « grippe » l’alite durant quatre jours. Le 24 mai, il renonce à inaugurer le Salon du Bourget. Le 28 mai, le Président présente une forte fièvre avec des signes de broncho-pneumonie. Les médecins lui demandent de cesser toute activité. Il refuse car il doit rencontrer Nixon, le surlendemain, à Reykjavik. Gorgé d’antibiotiques, grelottant, le Président prend l’avion. Du 30 mai au ler juin, dans la capitale islandaise, les loupes ne quittent plus Pompidou. On l’observe. On murmure. Emmitouflé, les traits alourdis, la démarche flottante, il fait front devant Nixon qui confie-t-il à son entourage : Celui-là n’en a plus pour longtemps.
Il va résister pourtant, mais non plus travailler ni gouverner. Le spécialiste des maladies infectieuses jongle avec les antibiotiques. La rencontre au sommet avec Brejnev à Rambouillet, les 26 et 27 juin 1973, casse Georges Pompidou. De ce moment et jusqu’à sa fin, rien ne sera plus normal dans sa vie quotidienne. Il va multiplier les séjours de repos.
Pourtant, il trouve encore la force de rendre visite à Mao en Chine, mais il évite les galas, et les réceptions, et en octobre il est absent politiquement de la guerre du Kippour. Dans les premiers mois de 1974, les fameuses grippes se succèdent tandis que Georges Pompidou force le destin en demandant à rencontrer Brejnev dans le sud de l’Union soviétique, où il fait chaud.
Le processus terminal s’enclenche le 21 mars 1974 avec l’annulation du premier grand dîner annuel offert en l’honneur du corps diplomatique. Les complications infectieuses provoquées par la prednisone emportent le Président dans une septicémie le 2 avril 1974. Il est certain que Pompidou aurait dû démissionner une année auparavant. Une commission médicale en droit d’exercer son contrôle l’aurait exigé, car le Président n’avait manifestement plus la capacité de gouverner le pays.