La séparation des races aux Etats-Unis

Jusqu’à la moitié des années 1960,les Etats-Unis pratiquent une violente politique de ségrégation
raciale à l’encontre des Afro-Américains et des autres minorités. Les écoles, restaurants, commerces et même fontaines pour Blancs leur sont interdits.

1964-1965 : les droits civiques

La mobilisation des militants antiségrégationnistes aboutit, sous la présidence de Lyndon Johnson (1964-1969), à la pleine reconnaissance des droits civiques des Noirs américains.
Deux lois majeures sont votées par le Congrès : le Civil Rights Act, en 1964, interdit la discrimination et la ségrégation dans les lieux publics ; le Voting Rights Act, en 1965, interdit toute restriction au droit de vote.
Les lois civiques se réclament des 14e et 15e amendements, votés après la guerre de Sécession, qui devaient consacrer l’émancipation des Noirs mais avaient été contournés par les hommes politiques du Sud pour mettre les Noirs à l’écart de la vie publique. En démantelant l’arsenal législatif ségrégationniste, elles renouent avec l’esprit de la Reconstruction.

Dans le Sud, après la guerre de Sécession, les Noirs parviennent à voter, et des élus noirs siègent dans les assemblées législatives. Au grand scandale de ceux qui n’ont pas renoncé à afficher la supériorité naturelle, voire biologique des Blancs.
Ainsi, un journaliste décrit avec horreur la Chambre des représentants de la Caroline du Sud : « La président est noir, les portiers sont noirs, le greffier est noir, les garçons de course sont noirs, le président de la commission des Finances est noir, le chapelain est noir comme du charbon. Derrière certains pupitres siègent des types d’hommes qu’on ne trouverait pas en dehors du Congo. […] La barbarie l’emporte sur la civilisation. […] C’est la plus ignorante des démocraties que le monde ait connues. »

Quarante acres et une mûle

Jusqu'à la moitié des années 1960,les Etats-Unis pratiquent une violente politique de séparation des races à l'encontre des Afro-Américains et des autres minorités.

Conflit économique, politique, culturel, la guerre civile éclate au printemps de 1861, alors qu’Abraham Lincoln vient d’accéder à la présidence des États-Unis. Le gouvernement fédéral mène d’abord le combat pour sauver l’Union. Il ne tarde pas à proclamer l’émancipation des esclaves. Au terme d’un conflit qui a fait plus d’un demi-million de morts, trois amendements modifient la Constitution. Le 13e entre en vigueur le 18 décembre 1865 et supprime l’esclavage. Le 14e (28 juillet 1868) reconnaît les mêmes droits, la protection égale des lois à tous les citoyens des États-Unis. Le 15e (30 mars 1870), enfin, interdit de dénier ou de restreindre le droit de vote à des citoyens pour cause de race, couleur ou condition antérieure de servitude.
Ces dispositions constitutionnelles démontrent à l’évidence que les Etats anciennement sécessionnistes résistent à tout changement et que les partisans de l’égalité raciale ont choisi pour terrain de combat l’égalité politique.
Du coup, l’accession à l’indépendance économique tombe dans les oubliettes de l’histoire. Les esclaves libérés ne possèdent pas de terres. Ils réclament en vain quarante acres et une mule. Les maîtres d’hier deviennent les patrons d’aujourd’hui. Les conditions de travail restent fort pénibles. Ce sont les exploitations les moins rentables qui sont confiées, suivant des procédures draconiennes, aux « émancipés » qui, de plus, n’ont reçu aucune formation technique. Libres de leurs mouvements, oui, mais incapables de sortir de la pauvreté.
Quant à l’égalité politique, elle ne dure pas. Tant que des troupes fédérales occupent les États vaincus, les Noirs parviennent à voter, et des élus noirs siègent dans les assemblées législatives. Au grand scandale de ceux qui n’ont pas renoncé à afficher la supériorité naturelle, voire biologique des Blancs.

Ku Klux Klan et clause du grand-père

Ku Klux Klan et clause du grand-père

Les adversaires résolus du changement forment des associations de défense. Le Ku Klux Klan naît en 1866 pour combattre le Noir insolent et ses amis. Les adeptes du mouvement, revêtus de cagoules et de robes blanches, divisés en dragons, titans, géants et cyclopes, répandent la terreur jusqu’au moment où, en 1871, le Congrès fédéral interdit le Klan. La reconstruction prend fin officiellement en 1877 avec le retrait des troupes fédérales qui occupaient les États du Sud, en fait dès les années 1873-1875. Les esclavagistes recouvrent leur liberté de manoeuvre. Ils ne demandent pas que les Noirs retombent en esclavage. Mais ils généralisent des pratiques, jusque-là exceptionnelles, qu’on désigne par le terme de ségrégations. Celle-ci revient à séparer les races. Elles coexistent ; elles ne vivent pas ensemble.
La séparation physique vaut pour tous les moments de la vie, et aussi pour la mort. Elle entraîne une profonde inégalité qui, jour après jour, creuse le fossé entre les Noirs et les Blancs. Certes, dans un premier temps, la plupart des Américains n’y prennent pas garde. C’est l’affaire du Sud. Ailleurs, l’essor économique continue ; par centaines de milliers, des immigrants débarquent dans les ports de l’Atlantique et tâchent d’entrer de plain-pied dans la société ; les États-Unis deviennent peu à peu une superpuissance industrielle et financière. Et puis, sous l’influence du darwinisme social, ils sont nombreux ceux qui pensent que l’évolution naturelle donne le pouvoir et la richesse aux plus forts, aux plus intelligents, aux mieux adaptés. Si les Noirs restent à la traîne, ne portent-ils pas la responsabilité de leur sort ?

Tant pis si, là-bas, au fin fond de Dixieland, on interdit aux illettrés de voter, si, avant de laisser un citoyen accéder aux urnes, on l’interroge sur sa compréhension de la Constitution, si de bons esprits terrorisent les Noirs qui, malgré tout, tenteraient de venir exprimer leurs opinions politiques, si l’on déplace au dernier moment les bureaux de vote sans en avertir les électeurs noirs. Trucages et discriminations sont alors les deux mamelles de la vie politique dans le Sud. La Louisiane imagine même d’inscrire dans sa Constitution la « clause du grand-père », qui supprime le droit de vote pour ceux dont l’aïeul ne votait pas; ce qui est le cas, bien sûr, pour les fils et petits-fils d’esclaves. Le corps électoral de l’État tombe de 130 344 en 1896 à 5 320 en 1900.

La séparation des races au quotidien

Là où la ségrégation est légale, Noirs et Blancs ne fréquentent pas les mêmes hôpitaux, les mêmes églises, les mêmes écoles, les mêmes restaurants.

La ségrégation spatiale devient une pratique courante. Si courante qu’en 1896, la Cour suprême fédérale ne voit aucun inconvénient à rendre un arrêt qu’on résume en trois mots : «Séparé mais égal. » Les juges estiment conforme à la Constitution la séparation entre les races dans les wagons de chemins de fer, donc dans tous les lieux publics. Du moment, précisent-ils, que l’égalité de traitement est respectée. Ainsi vivront les Américains dans les États du Sud, pendant trois quarts de siècle. Tous les États ne suivent pas l’exemple, loin de là. Mais la contamination frappe les esprits. Là où la ségrégation est légale, Noirs et Blancs ne fréquentent pas les mêmes hôpitaux, les mêmes églises, les mêmes écoles, les mêmes restaurants. Ils ne sont pas enterrés dans les mêmes cimetières.
Appelés à témoigner devant un tribunal, ils ne prêtent pas serment sur la même Bible. Ils ne voyagent pas dans les mêmes wagons, ne boivent pas aux mêmes robinets, n’utilisent pas les mêmes toilettes. Dans les autobus urbains, les Noirs sont tenus de céder leur place aux Blancs et d’aller au fond de la voiture. Partout, ils sont exclus des syndicats, reçoivent pour un travail identique un salaire inférieur à celui des Blancs, sont embauchés après tous les autres et licenciés en priorité. Pas question, bien évidemment, de légaliser les mariages interraciaux, d’autant moins que les Noirs, soumis à leurs instincts, sont tous, si l’on en croit les tenants de la ségrégation, des violeurs potentiels, des brutes sexuelles, à la recherche de Blanches.

La naissance des ghettos noirs

Le ghetto fait surgir une culture de la pauvreté avec ses rites et ses mythes, ses lois et ses règles, ses préjugés raciaux, des loyers élevés aussi en raison des fortes primes qu'exigent le compagnies d'assurances.

Les grandes villes du Nord et du Middle West subissent des transformations profondes. La ségrégation résidentielle y apparaît. Elle n’est pas imposée par la loi. Elle résulte d’une discrimination officieuse, quotidienne, encouragée par les mentalités dominantes. C’est que les Noirs du Sud commencent leur migration vers les métropoles qui offrent du travail, l’espoir d’une société de liberté, la possibilité d’échapper à l’atmosphère étouffante du Sud. La migration continue et croît encore après 1940. De 1910 à 1960, la population noire de New York passe de 4 700 000 à 7 800 000 ; celle de Chicago, de 2 200 000 à 3 500 000 ; celle de Detroit, de 466 000 à 1 700 000. La place des Noirs dans la société américaine concerne désormais la nation tout entière et éclaire d’un jour nouveau le problème de la pauvreté urbaine.
Des ghettos naissent dans les grandes villes, les uns après les autres. Ce sont des quartiers qui regroupent les Noirs, et en fait des Noirs seulement. Chacun a son histoire. Harlem était encore, dans les premières années du XXe siècle, un quartier bourgeois. La crise économique rend difficile la location des appartements. Un agent immobilier conçoit l’idée de louer le même appartement à plusieurs familles noires. Opération réussie. Mais les logements cessent d’être entretenus. Ils perdent de leur valeur. Seuls des Noirs pauvres acceptent d’y habiter. Les Blancs déménagent. Le quartier bourgeois devient un ghetto. Et la dégradation continue. Financées par les impôts locaux, les écoles sont moins bien dotées, et la qualité de l’enseignement chute brutalement. Les rues ne sont pas nettoyées. Plus personne ne se préoccupe de la salubrité des maisons et des immeubles. Le chômage favorise l’usage des drogues, la prostitution, la violence, la formation des gangs, la criminalité. Le ghetto fait surgir une culture de la pauvreté avec ses rites et ses mythes, ses lois et ses règles, ses préjugés raciaux, des loyers élevés aussi en raison des fortes primes qu’exigent le compagnies d’assurances. De temps à autre, le ghetto explose, comme si ses habitants ne supportaient plus d’y survivre. Puis, il retombe dans la léthargie, la saleté et la misère.

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