Après plusieurs tentatives malheureuses, les croisés s’emparent de Jérusalem le 15 juillet 1099. Durant deux jours, ce ne sont que pillages et massacres des juifs et des musulmans de la ville sainte. Ce comportement barbare choque tout l’islam.
La prise de Jérusalem vue par les Musulmans
« La population fut passée au fil de l’épée et les Francs massacrèrent les musulmans de la ville pendant une semaine. Une petite troupe s’était retranchée dans l’Oratoire de David ; elle y résista pendant plusieurs jours. Les Francs leur accordèrent la vie sauve et, ayant respecté leur parole, les laissèrent partir de nuit pour Ascalon où ils s’établirent. Dans la mosquée al-Aqsa, au contraire, les Francs massacrèrent plus de soixante-dix mille personnes (!) parmi lesquelles une grande foule d’Imâms et de docteurs musulmans, de dévots et d’ascètes qui avaient quitté leur pays pour vivre en une pieuse retraite dans ces lieux saints. »
Ibn al-Athïr, dans F. Gabrieli, Chroniques arabes des croisades, Paris, Sindbad, 1977.
Au cours de la nuit du 9 au 10 juillet, la tour roulante et les machines furent mises en place devant la partie la plus faible des remparts, celle qui avoisinait la tour des Cigognes et la vallée du Cédron. Le premier assaut fut lancé dans la nuit du 13 au 14 juillet. Il échoua. Les assiégés arrosèrent les croisés de pots de soufre, de flèches et de tisons enflammés. Nouvel assaut le 15 juillet, encore plus violent et acharné que le précédent. Vers midi, une passerelle fut abattue de la tour roulante de Godefroy. Lui-même fut des premiers à se ruer sur le rempart. En même temps, des grappes de fantassins s’accrochaient aux échelles. Affolés, les Arabes se sauvèrent vers la mosquée el-Aqsa (le temple de Salomon). Ils tentèrent d’en organiser la défense et furent submergés.
Rien ne pouvait arrêter la fureur des croisés, ni leur appétit de vengeance. Ils massacrèrent sans pitié les défenseurs d’el-Aqsa, y compris ceux qui s’étaient réfugiés sur le toit. De l’aveu des témoins, « le temple ruisselait de sang ».
Au sud, Raymond de Saint-Gilles peinait davantage. Il avait dû faire combler le fossé pour approcher sa tour roulante. Il prit enfin pied sur le rempart, envahit le quartier voisin où les mêmes massacres effrénés furent perpétrés. Iftikhar s’était réfugié dans la tour de David avec une poignée de soldats d’élite. Il se rendit au comte de Toulouse contre la promesse d’avoir la vie sauve. Raymond de Saint-Gilles tint ses engagements. Il fit reconduire Iftikhar vers la frontière d’Egypte, il est vrai après versement d’une confortable rançon : tels étaient alors les usages de la guerre !
La tuerie se prolongea tout l’après-midi du 15 juillet et reprit le lendemain. Les juifs eux-mêmes ne furent pas épargnés, car ils avaient contribué à la défense de la ville, probablement contraints et forcés. Les survivants s’enfermèrent dans la synagogue. On incendia l’édifice.
À tout ce que les soldats du Christ avaient enduré de souffrances morales et physiques se mêlait un désir irrépressible de vengeance. On n’allait pas épargner ces chiens d’infidèles, ces détrousseurs de pèlerins ! On allait les massacrer, en faire une telle hécatombe que l’odeur de leur pourriture monterait vers le ciel comme un encens et serait agréable à Dieu.
Des vagues de croisés hurlant à la mort balayèrent les derniers défenseurs des lieux saints de l’Islam, dont certains se prosternaient pour implorer leur grâce. La grâce pour ces païens ? jamais, au grand jamais ! Plutôt la mort pour tous. Et qu’on n’aille pas épargner les enfants ! Il faut détruire l’arbre et la graine.
Les croisés pénétrèrent en masse dans la grande mosquée dont tous les occupants furent passés au fil de l’épée. Un véritable bain de sang ! On y pataugeait, on en était éclaboussé jusqu’aux genoux, et on réclamait des victimes à égorger, encore et encore ! Chacun revendiquait sa part de l’holocauste, le baron comme le simple chevalier, le pèlerin comme le moine. Tous sentaient à leur poing l’épée de Dieu, frémissante, avide de nouvelles hécatombes. On recherchait les traces du Mal jusque dans le ventre des femmes et des enfants, à la pointe des couteaux, des épées et des lances. On ignorait sous quelle forme il en jaillirait, mais on savait qu’il était là, dans ces amas de tripes fumantes.
Une rumeur courut dans les rangs des envahisseurs : des notables, hommes et femmes, avaient avalé leurs bijoux et leurs perles pour les soustraire à la convoitise de la soldatesque. On en éviscéra une centaine sans rien trouver.
Les Juifs s’étaient remparés dans leur synagogue, au nord de la ville ; des bandes de croisés et de pèlerins s’y ruèrent en masse, l’arme au poing. En voyant surgir ces hordes assoiffées de sang et d’or, le rabbin alla à leurs devants pour tâcher de se concilier leur indulgence. On l’injuria, on le frappa, on lui arracha la barbe en criant :
Race de Judas ! mécréants ! vous avez vendu le Christ, vous l’avez livré aux Romains pour trente deniers ! Aucune pitié pour vous !
Le vieil homme tenta de protester : une lance le cloua au sol. Des soldats ivres de violence firent le tour de la synagogue avec des torches, mirent le feu aux quatre coins de l’édifice et abattirent sans pitié, comme par jeu, les malheureux qui tentaient d’échapper aux flammes.