Pompéi avant le drame

Morte en 79, ressuscitée dix-sept siècles plus tard, bombardée en 1943, Pompéi fascine. On redécouvre sans cesse ce témoignage fantastique de la vie quotidienne dans l’Antiquité. Revenir à Pompéi avec Alain Decaux, c’est voir s’animer et se pétrifier une ville et une population qui, jusqu’au 24 août 79, respiraient la joie de vivre.

Ve siècle av.J.C.
La cité est conquise par les Étrusques, comme le montrent des fouilles entreprises près du Temple Apollon. Avant de passer sous hégémonie grecque.
-300 av.J.C.
La ville, sous domination romaine, reçoit de nouvelles fortifications.
-218 av.J.C.
Début de la Deuxième Guerre punique : Pompéi reste fidèle à Rome.
-100 av.J.C.
L’exportation de vin et d’huile enrichit les habitants qui se font construire de magnifiques demeures, comme celle de la Maison du Faune (3000 m2!). Au cours de ce IIe siècle, s’élèvent la basilique, le forum, le marché, les thermes, les théâtres.
– 80 av.J.C.
Sylla transfère 2 000 vétérans dans la cité.
– 57 av.J.C.
Le grand orateur Cicéron possède une maison à Pompéi, la Maison Cicéron, connue pour la richesse de ses mosaïques et de ses marbres.
59 ap.J.C.
Scandale dans les gradins de l’amphithéâtre. Nucériens et Pompéiens se battent. Néron interdit alors pour dix ans toute rencontre de gladiateurs.
62 ap.J.C.
Violent tremblement de terre. De nombreux bâtiments sont touchés.
79 ap.J.C.
Éruption du Vésuve, Le 24 août – certains disent le 24 octobre – le volcan crache des cendres brûlantes et des nuées ardentes, recouvrant la ville pour six siècles. Les habitants n’ont pas le temps de s’enfuir et meurent asphyxiés.

Une datation douteuse
Le déroulement de l’éruption de 79 apr. J.-C. nous est connu grâce à deux lettres de Pline le Jeune qui avait assisté à la catastrophe depuis sa villa de Misène. C’est sur la foi de son récit que la date du 24 août fut établie. Pourtant, l’étude des vêtements chauds que les gens portaient le jour du drame, des fruits et légumes de saison retrouvés sur les lieux tendraient vers une datation à la fin octobre ou même fin novembre.

Promenade dans la ville de Pompéi

C'était le bonheur de vivre à Pompéi avant l'éruption du Vésuve

Comme tout un chacun, je suis entré dans la ville par la porte Marina. Huit portes donnaient accès à la ville. Elles étaient percées dans les remparts et on les fermait chaque soir. Chaque matin, chaque soir, l’ouverture des portes donnait lieu à une petite cérémonie. Chaque porte était luxueusement décorée et ornée de statues de divinités. Ainsi, à la porte Marina, dans cette niche que l’on voit à droite, on avait placé la statue de Minerve, sa déesse protectrice.
j’ai gagné le forum, cette grande aire de cent quarante-deux mètres sur trente-huit, ce véritable centre de la ville où les Pompéiens se retrouvaient sans cesse. J’ai rêvé à la magnificence de cette place, à sa grande colonnade, à ses statues grandioses et aux édifices publics qui l’entouraient. J’ai rêvé à la cohue qui l’encombrait. Il faut imaginer ici la place peuplée de boutiques en plein vent, et aussi des éventaire de marchands ambulants, proposant à la clientèle aussi bien des poteries, des pâtisseries, des fruits, des légumes que des sandales ou des outils. Il faut imaginer les murs couverts d’affiches annonçant les jeux du cirque, une vente aux enchères, ou encore appelant les électeurs à voter pour tel ou tel candidat aux élections municipales. Le 24 août 79, on était précisément en période électorale. Que de renseignements sur les habitants de Pompéi, au moins sur les candidats, nous ont livrés les murs épargnés !
Sur le forum, aucune crainte d’être dérangé par les voitures : des bornes leur barraient le passage.
J’ai continué ma promenade. Je suis entré dans la basilique, l’édifice public le plus important de la ville. Là on administrait la justice, là les commerçants venaient traiter leurs affaires. Traversant la place, j’ai rencontré le comitium, où avaient lieu les élections pour les charges publiques. A côté, j’ai découvert l’édifice Eumachia, ainsi appelé du nom de la prêtresse qui l’a fait construire à ses frais pour que la corporation des fullones trouve en lui un lieu de rassemblement. Les fullones, c’étaient les fabricants de tissu, les blanchisseurs et les teinturiers.
En face, j’ai admiré le temple d’Apollon, avec son portique de quarante-huit colonnes. Quand j’en suis sorti je me suis porté vers le temple de Jupiter, consacré aussi bien au roi des dieux qu’à Junon et à Minerve. j’ai gagné le macellum, ce marché couvert réservé à l’alimentation, notamment au commerce de la viande et du poisson. Je suis passé, à droite, sous l’arc du temple de Jupiter et j’ai rejoint les thermes du forum. J’ai admiré leur état de conservation. J’ai pénétré dans le frigidarium et j’y ai rêvé que je prenais un bain froid. Je suis entré dans le tepidarium, où l’on passait du bain froid au bain chaud ; j’ai gagné le calidarium, où j’aurais pu prendre un bain chaud ou encore transpirer pour éliminer de mon organisme ce que les Pompéiens n’appelaient pas encore les toxines. Et puis, rafraîchi, réchauffé, je me suis avancé dans ces rues où tout appelle au bonheur de vivre.

Du lupanar à la caserne des gladiateurs

A Pompéi, du lupanar à la caserne des gladiateursJ’ai envié ces deux marchands enrichis, les frères Vettii, qui n’ont pas craint d’étaler leur fortune devant les visiteurs de leur demeure devenue un palais. J’ai aimé la maison, plus modeste, de Paquius Proculus, cet édile si influent dont on a retrouvé partout le nom sur les affiches électorales. J’ai cru les voir, Proculus et son épouse, en contemplant leur effigie. Je suis entré dans l’atelier de Verecondus, où l’on tissait la laine, le lin, et où l’on confectionnait des vêtements. J’ai rêvé que j’allais boire une coupe de vin du Vésuve dans cet établissement qu’on appelle le thermopolium d’Asellina, où m’attendaient quelques jeunes et jolies personnes nullement farouches dont les noms ont été, pour l’éternité, tracés sur la façade par leurs admirateurs : Asellina, Aegle, Maria, Smyrna. Mis en goût, comment n’aurais-je pas cherché, et trouvé, le lupanar ?
J’ai aimé le petit théâtre couvert, qui pouvait recevoir mille spectateurs ; on y donnait des concerts ainsi que des représentations théâtrales. J’ai voulu aussitôt comparer avec le grand théâtre qui, lui, pouvait recevoir cinq mille personnes. C’est tout près de là que j’ai trouvé la caserne des gladiateurs. Ils y habitaient, ils s’y entraînaient. La plupart étaient des esclaves et ne pouvaient rien contre la fatalité qui les conduirait à tuer leur meilleur compagnon avant de mourir eux-mêmes pour le plaisir des spectateurs. Et pourtant, quelques hommes libres se faisaient volontairement gladiateurs, acceptant, pendant la durée de leur contrat, d’être traités comme des esclaves.

La joie de vivre inscrite sur les murs

Les murs de Pompéi avant l'éruption du Vésuve

J’ai marché jusqu’à cet amphithéâtre où douze mille spectateurs pouvaient prendre place. Quand il faisait trop
chaud ou quand il pleuvait, on pouvait tendre une grande toile qui prenait appui sur ces gros anneaux que l’on voit encore au sommet des gradins. Là, des bêtes ont combattu entre elles, des hommes ont affronté des bêtes, des hommes ont donné la mort à d’autres hommes.
J’ai cru humer le vin conservé dans la cella vinaria des marchands. J’ai cru sentir l’odeur du pain cuit chez de gros boulangers, comme Terentius Neo. J’ai vu, chez celui-ci, les moulins qui transformaient le grain en farine, les pétrins où l’on confectionnait la pâte et j’ai même considéré les pains de Pompéi, retrouvés dans le four où, le 24 août 79, on venait de les placer, ces pains dont nous savons qu’ils étaient peu compacts et divisés sur le dessus en huit tranches.
J’ai cherché les teintureries, la tannerie, les ateliers de céramique. J’ai cru voir dans le port les bateaux lever l’ancre, chargés du vin de Campanie que Pompéi exportait surtout vers la Gaule, mais aussi vers Carthage. J’ai cru voir d’autres bateaux emporter vers des contrées éloignées des tuiles très prisées. J’ai cru rencontrer, à Pompéi, tous ces commerçants étrangers qui y venaient vendre et échanger ; ces banquiers qui enregistraient les opérations, encaissaient ou prêtaient. A côté de cette aristocratie fortunée, j’ai aussi découvert tout un peuple de travailleurs. Des esclaves, certes, par milliers mais aussi des hommes libres réduits à une condition souvent pénible.
Mais, partout, quelque chose me disait que même les pauvres étaient plus heureux à Pompéi qu’ailleurs. Toutes les inscriptions retrouvées, les innombrables graffiti témoignent d’un peuple débordant de joie de vivre. On disait de Pompéi qu’elle était protégée par Vénus et par Sylla le Bienheureux, donc placée sous le double signe de l’amour et du bonheur.
On dirait qu’il éclate à chaque instant, ce bonheur. Il n’est que de lire les inscriptions dénombrées par M. Robert Etienne : « Ici habite le bonheur », « Ce lieu est béni », « Heureux, Januarius Fuficius qui habite ici ». Impossible d’en douter : c’est l’amour qui est responsable de tout. Bien sûr, les graffiti laissés près des lupanars sont bien vulgaires, bien grossiers : on admire des prouesses amoureuses, les filles racolent avec des mots crus la clientèle, des jeunes gens offrent leurs charmes. Mais ailleurs, c’est tout simplement l’amour, le vrai, que l’on chante

Il ne faudra que trois heures pour tuer ce bonheur !

C’est tout cela que j’ai trouvé dans les rues de Pompéi, là même où, la fraîcheur du soir venue, tant d’hommes et de femmes s’entrecroisaient, se bousculaient, s’interpellaient joyeusement ou comiquement, comme à Naples aujourd’hui. Les graffiti relevés un peu partout ont été soumis aux graphologues. Ils y ont découvert la propension à l’emphase, la fantaisie, le goût de l’étrangeté et du mouvement. Et encore, et surtout, une vitalité exubérante.

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