Rosalie la piquante
Ah, la légende de la baïonnette ! Cette lame fine, qui se fixe au bout du fusil, est apparue en France au XXVIIe siècle et a Ani par séduire toutes les armées du monde. Pourtant, Rosalie (son surnom) – a très peu servi dans les tranchées. Selon les statistiques militaires, les pertes par arme blanche, incluant les baïonnettes mais aussi les poignards, n’ont jamais dépassé 1 %. La raison ? Un fusil français équipé de cet appendice tranchant atteint 1,80 m de long, ce qui le rend peu maniable dans les tranchées étroites. Surtout les occasions de corps à corps sont peu fréquentes, soit parce que l’assaut sur la tranchée adverse a échoué , soit parce que l’ennemi préfère se rendre plutôt que de finir embroché.
Le modèle français, long et fin, peut paraître moins barbare que son homologue allemand muni d’un tranchant et parfois même de dents. Pourtant, il s’avère plus redoutable: il casse plus facilement, ce qui permet au fantassin de dégager son arme, en laissant dans la plaie des morceaux d’acier qui peuvent provoquer une infection.
Record pour Clotaire : six épouses
On ignore comment le roi Franc gère un tel harem. Apparemment bien puisque seule l’une d’elles, Radegonde, fuit au couvent.
A l’accoutrement du Poilu, d’autant plus lourd à chaque déplacement, qu’il était détrempé, s’ajoutait le poids de l’équipement, un harnachement compliqué de cuirs : bretelles reliées au ceinturon par des anneaux, pour diminuer la charge des cartouchières pleines. Noir au début, cet ensemble fut ensuite fabriqué en cuir fauve, ce qui valut aux nouveaux arrivants le surnom de « bretelles jaunes », mais la couleur assez voyante s’en estompait vivement.
D’ailleurs le bleu horizon de la tenue verdissait au soleil et prenait aussi bien le blanc de la craie champenoise que l’ocre de la boue universelle. Ce n’était pas là son moindre avantage ; il ne valait pourtant pas le feldgrau allemand, qui se confondait encore plus facilement avec le terrain. L’équipement comportait le légendaire bidon d’un litre, recouvert d’une étoffe de même couleur que l’uniforme quelques privilégiés avaient obtenu des bidons de deux litres.
En plus des musettes et du précieux bidon, dont on ne se délestait qu’en dernier recours, le barda, c’était surtout le sac, pesant jusqu’à 20 kg et souvent surnommé Azor. Le sac comportait d’abord le paquetage réglementaire, à savoir la couverture et la toile de tente roulées sur trois côtés, l’outil et le matériel de campement, accrochés par des courroies et, à l’intérieur, les vivres de réserve et les cartouches. Le sac, c’est la malle et même l’armoire (Barbusse).
On y faisait tenir, en plus, tout ce qui vous restait des colis familiaux, le linge, les objets de toilette (pour les délicats), les souvenirs du pays (peur les sentimentaux) et ceux du front (pour les collectionneurs), parfois quelques livres (pour les intellectuels). Impedimenta transportés à grand-peine d’un secteur à l’autre, d’une relève montante à une descendante, qui s’écrasent contre les parois des boyaux et s’accrochent à tous les obstacles.
L’armement n’était pas le moins pesant du barda. Mais son Lebel était le compagnon inséparable du soldat dans la tranchée, comme dans l’abri, où il s’assurait machinalement de sa présence même en dormant, pour sauter dessus à la première alerte. Pour le reconnaître dans la nuit, chacun avait son système de marques personnelles. Combien de fois, dans les bombardements ou sous l’envahissement de la boue, le canon de l’arme providentielle était-il bouché, la culasse bloquée, au grand désespoir du propriétaire.
Au fusil, on était rarement sûr de tuer son homme, et si cela arrivait, on s’en souvenait pour toujours. C’était davantage une arme rassurante qu’une arme décisive, car son tir collectif, même bien ajusté, n’équilibra jamais le feu d’une mitrailleuse : arme terriblement meurtrière, aussi bien par sa cadence que par sa précision, surtout quand elle prenait d’enfilade une position. On n’en pouvait venir à bout qu’à coups d’obus ou de torpilles. On fut bien trop long chez nous à reconnaître la valeur quasi absolue de la mitrailleuse dans le combat d’infanterie.
Par la suite, en France, on inventa le fusil mitrailleur, combinaison des deux engins, arme précieuse s’il en fut, très maniable, puisqu’elle reposait, dans le tir, sur un simple chevalet de tiges métalliques. Elle ne nécessitait, pour son emploi, en plus du tireur, qu’un pourvoyeur équipé de chargeurs disposés en éventail. Le F.M. équivalait à la mitrailleuse légère utilisée par les Allemands.
L’arme blanche, la baïonnette à triple arête, la fameuse « Rosalie » ne servit que dans les corps à corps, somme toute assez rares, même en 1914, ou bien aux éléments isolés luttant de trop près pour pouvoir utiliser une arme à feu. En somme, comme l’a écrit Norton Cru, dans son introduction à « Témoins », l’usage était de mettre baïonnette au canon au départ de l’attaque ; ce n’est pas une raison pour l’appeler une attaque à la baïonnette plutôt qu’une attaque en molletières.
Les couteaux-scies des Allemands, décrits souvent par des fabulateurs (il y en eut, même au front) comme des armes prohibées qui déchiraient les corps en les traversant, étaient, en fait, des outils de pionniers, destinés à détruire les obstacles ligneux. De notre côté, les couteaux de tranchée, distribués normalement à certaines unités chargées des coups de main, les corps francs, et parfois aux deuxièmes vagues d’attaque, pour « nettoyer » les tranchées dépassées, furent beaucoup moins utilisés qu’une certain littérature de guerre, tournée vers le sadisme, voulut le faire croire.. Ils servaient bien souvent à couper la viande et à tailler le pain.
Pour l’attaque ou la défense rapprochée, pour les patrouilles, la grenade s’imposa très vite. Elle seule permettait d’atteindre, en trajectoire courbe, les occupants de tranchées non exposés au tir tendu des fusils. On confectionna d’abord des pétards sommaires avec des boites de conserve ou des bouteilles munies de détonateurs. On retira des arsenaux jusqu’aux modèles sphériques des guerres de l’Empire.
On créa assez vite des types nouveaux de grenades, offensives et défensives celles à cuillère, dont la fabrication, souvent défectueuse, et le maniement délicat, coûtèrent la vie à de nombreux soldats et à bien des officiers instructeurs ;la grenade, dite citron, à cause de sa forme, entourée d’une enveloppe de fonte à quadrillage en relief, était d’un emploi plus sûr, et rien ne nettoyait mieux un abri conquis qu’un citron jeté du haut de l’escalier. Mais il suffisait d’un choc malencontreux sur la mauvaise douille en carton du détonateur, pour la faire éclater dans la main ou les pieds du bonhomme, qu’elle emportait sans merci.
Le fusil français Viven-Bessières (V.B.) était un Lebel pourvu d’un tromblon percé d’un trou : par celui-ci passait la balle qui projetait une grenade, placée dans le tromblon, à une distance que n’aurait pu atteindre le bras d’aucun lanceur ; c’était une arme simple, inspirée d’une invention de la guerre russo-japonaise.
D’autres engins, comme le mortier Stock et le canon de 37, pour bombes et obus de petit calibre, vinrent compléter l’armement collectif des fantassins ; leur regroupement en compagnie spéciale affectée au régiment n’intervint que dans la deuxième partie de la guerre et leur rôle fut surtout offensif.