Témoignage d'un poilu à la bataille de Verdun en 1916

Gaston était le seul fils d’une famille de sept enfants. Ses soeurs, Berthe, Hélène, Blanche, Marguerite, Madeleine et Marie, apprirent sa disparition à la fin de l’été: Blessé le 8 septembre 1916, il mourut de ses blessures le 11 septembre 1916 à l’hôpital de Chartres.

Lettre du poilu à sa mère

Lettre d'un poilu à sa mère

Par quel miracle suis-je sorti de cet enfer, je me demande encore bien des fois s’il est vrai que je suis encore vivant; pense donc nous sommes montés 1 200 et nous sommes redescendus 300; pourquoi suis-je de ces 300 qui ont eu la chance de s’en tirer, je n’en sais rien, pourtant j’aurais dû être tué cent fois, et à chaque minute, pendant ces huit longs jours, j’ai cru ma dernière heure arrivée. Nous étions tous montés là-haut après avoir fait le sacrifice de notre vie, car nous ne pensions pas qu’il fût possible de se tirer d’une pareille fournaise. Oui, ma chère mère, nous avons beaucoup souffert et personne ne pourra jamais savoir par quelles transes et quelles souffrances horribles nous avons passé.
A la souffrance morale de croire à chaque instant la mort nous surprendre viennent s’ajouter les souffrances physiques de longues nuits sans dormir : huit jours sans boire et presque sans manger, huit jours à vivre au milieu d’un charnier humain, couchant au milieu des cadavres, marchant sur nos camarades tombés la veille; ah ! J’ai bien pensé à vous tous durant des heures terribles, et ce fut ma plus grande souffrance que l’idée de ne jamais vous revoir. Nous avons tous bien vieilli, ma chère mère, et pour beaucoup, les cheveux grisonnants seront la marque éternelle des souffrances endurées; et je suis de ceux-là. Plus de rires, plus de gaieté au bataillon, nous portons dans notre coeur le deuil de tous nos camarades tombés à Verdun du 5 au 12 mars. Est-ce un bonheur pour moi d’en être réchappé? Je l’ignore mais si je dois tomber plus tard, il eût été préférable que je reste là-bas. Tu as raison de prier pour moi, nous avons tous besoin que quelqu’un prie pour nous, et moi-même bien souvent quand les obus tombaient autour de moi, je murmurais les prières que j’ai apprises quand j’étais tout petit, et tu peux croire que jamais prières ne furent dites avec plus de ferveur.
Ton fils qui te chérit et t’embrasse un million de fois. Gaston.

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