Le 2 juin 1793 des députes de la Montagne sont montés à la tribune de l’Assemblée pour proposer l’arrestation de 29 députés girondins. Le décret n’a pas été voté mais acclamé. Les sans-culottes voulaient en finir avec la Gironde. A leur yeux, les Girondins n’étaient plus modérés mais réactionnaires : ils soutenaient la province. C’est Paris qu’a gagné. La rue a imposé sa loi et la Convention a suivi.
La guillotine en rime
Monsieur Guillotin,
Ce grand médecin,
Que l’amour du prochain
Occupe sans fin, ‘
Un papier en main,
S’avance soudain,
Prend la parole enfin.
Et, d’un air bénin :
En rêvant à la sourdine
J’ai fait une machine,
Tralalala, lalala, lala, lalala, ala,
Qui met les têtes à bas.
C’est un coup que l’on reçoit,
Avant qu’on s’en doute,
A peine on s’en aperçoit,
Car on n’y voit goutte,
Un certain ressort caché,
Tout à coup étant lâché,
Fait tomber, ber, ber,
Fait sauter, ter, ter,
Fait tomber,
Fait sauter,
Fait voler ta tête,
C’est bien plus honnête.
136 Girondins avaient devant et contre eux 267 Montagnards. Entre eux, siègeait le Marais ou la Plaine. Les Girondins menèrent un combat d’arrière garde en jouant un rôle politique important dans la Commission des Douze créée, sous leur instigation, le 18 mai 1793, pour enquêter sur les agissements de la Commune.
La Commission des Douze crut frapper un grand coup en faisant arrêter le 24 mai Hébert qui, grâce à son journal le Père Duchesne, montait les esprits contre les Girondins. Mais, dès le 27 les sections parisiennes qui apportaient aux Montagnards un soutien acharné firent libérer Hébert.
Les Girondins avaient encore essayé de sauver la situation en délibérant dans le calme et le respect des lois. Mais ils se trouvaient maintenant acculés par leurs adversaires qui les accusaient de fédéralisme. Il leur était reproché de s’appuyer sur les 83 départements et de vouloir en faire des Etats. Les soulèvements de Bordeaux, Marseille et Lyon leur étaient aussi imputés.
Les événements se précipitèrent pour le plus grand malheur des Girondins.
Le 26 mai, au club des Jacobins, Robespierre appela le peuple de Paris à l’insurrection. « Quand le peuple est opprimé, quand il ne reste plus que lui-même, celui-là serait un lâche qui ne lui dirait pas de se lever. C’est quand toutes les lois sont violées, c’est quand le despotisme est à son comble, c’est quand on foule aux pieds la bonne foi et la pudeur que le peuple doit s’insurger. Le moment est arrivé. »
Le 27 mai les sections parisiennes apportèrent aux Montagnards leur soutien dans la lutte qui les opposait aux Girondins. Les Montagnards passèrent à l’action et, soutenus par le peuple de Paris, vinrent réclamer la tête des Girondins à la barre de la Convention. Dans la nuit du 30 mai au 31 mai 1793 le tocsin sonna, tandis que les 35 sections de la capitale, sous le commandement d’Hanriot, s’insurgeaient, soutenues par l’armée des sans-culottes.
Le 31 mai, des pétitions furent déposées sur le bureau de l’Assemblée ; les plus inquiétantes étaient la demande d’arrestation de vingt-deux députés brissotins et l’organisation d’une armée révolutionnaire. La Commission des Douze fut supprimée, mettant fin aux dernières prérogatives politiques des Girondins.
Robespierre, Marat et Danton avaient en fait conquis le pouvoir, qu’il semblait impossible de reprendre avec Paris. Les Girondins se réunirent pour examiner les possibilités d’un soulèvement dé la province contre la dictature parisienne qui comptait une force armée de 80 000 à 100 000 hommes disposant de soixante canons. C’est ce soutien militaire qui permit aux Montagnards de poursuivre leur action violente. L’émeute reprit dans la nuit du 1er au 2 juin et la Convention se réunit, entourée par 600 hommes en armes.
La séance du 2 juin 1793 ne commença qu’à 10 heures et les discussions furent longues avant que soit promulgué le tristement célèbre décret, dont la rédaction a été attribuée à Saint-Just, qui obligeait les vingt-neuf députés girondins les plus influents, ainsi que deux ministres, Clavière et Lebrun, à rester à leur domicile et à ne circuler qu’escorté d’un gendarme. Ce n’était pas l’arrestation pure et simple demandée par Hanriot, mais c’était la chute de la Gironde, de ce groupe d’hommes dans l’ensemble modérés, qui avaient cru à la Révolution, mais l’avaient vue leur échapper. Les vingt neuf députés décrétés d’arrestation à leur domicile étaient : Brissot, Gensonné, Guadet, Vergniaud, Pétion, Gorgas, Salle, Barbaroux, Buzot, Chambon, Biroteau, Lidon, Lasource, Lanjuinais, Grangeneuve, Lehardy, Lesage, Louvet, Dufriche-Valazé, Kervélégan, Gardien, Rabaut Saint-Etienne, Bertrand Lahosdinière, Viger, Mollevaut, Larivière, Gomaire, Bergoing.
Ce fut l’affolement dans le rang des Girondins. Nombreux furent ceux qui refusèrent absolument de rester à la disposition de la justice populaire, ne connaissant que trop les procédures expéditives et fatales, iniques s’il en fut. Ainsi Brissot, qui savait que Robespierre, son ennemi implacable, ne lui ferait pas quartier, avait préféré s’enfuir avec un faux passeport. Mais il fut arrêté à Moulins et reconduit sous bonne escorte à Paris pour y être incarcéré.
Vergniaud, ancien ami de Robespierre, ne voulut pas fuir et fut emprisonné en juillet.
Le sort de ceux qui quittèrent Paris et ses dangers ne fut généralement pas meilleur. Pétion, l’ancien maire de Paris, tenta un soulèvement fédéraliste en Normandie, s’enfuit en Bretagne puis se réfugia à Bordeaux où il préféra se suicider plutôt que d’être pris. Celui qui avait été, lui aussi, l’ami de Robespierre était devenu son ennemi. Il avait eu l’imprudence de déclarer le 12 avril 1793 : « Il faudra que Robespierre soit enfin marqué du fer chaud destiné aux calomniateurs…»
Buzot, qui s’était compromis à la Convention en votant contre la création du Tribunal révolutionnaire et du Comité du Salut public et pour l’expulsion de Marat, suivit la même route que Pétion par la Bretagne et Bordeaux. Surpris dans les bois, il se suicida aussi. Leurs deux corps furent retrouvés, à demi dévorés par les loups. Guadet, dont l’éloquence avait fait autrefois l’admiration des foules, participa aussi à l’insurrection fédéraliste de Normandie, avant de rejoindre le Bordelais, son pays d’origine. Il se cacha chez son père à Saint-Emilion, mais, découvert, fut guillotiné le 19 juin 1794.
Les Montagnards se trouvèrent après la journée du 2 juin les seuls maîtres de la France. Ils terminèrent la Constitution dont le texte fut adopté le 24 juin 1793. Les comités eurent une importance et une autorité accrue et la Convention était en fait sous leur autorité. Robespierre entra au Comité de Salut public en août 1793 où il fut chargé de la Police et des Affaires étrangères et en devint un des membres les plus influents. Ce coup de force qui avait éclaté à Paris et mis en danger l’existence des proscrits fut aussitôt connu dans les grandes villes de France et la nouvelle provoqua un profond émoi. Soixante-seize députés, dont cinquante-deux dès le 6 juin, protestèrent contre l’exclusion des Girondins.