Le verdict des jurés au procès du Maréchal Pétain

Le 15 août 1945, Pétain est reconnu coupable d’intelligence avec l’ennemi et de haute trahison.
Sa condamnation à mort sera ensuite commuée en détention à perpétuité.

Les remords de coscience du Procureur Général

Les débats sont clos à 21 h 05. Les jurés parlementaires et résistants. Mongibeaux, Donat-Guigue et Picard se retirent dans la salle des délibérations. Pétain rejoint sa femme dans leur chambre près de la salle d’audience; fatigué, il s’étend sur son lit où il attendra la lecture de l’arrêt. Quand  aura-t-elle lieu ?
Transportons-nous dans la salle de jurés. Au centre, une estrade où siégeront les trois présidents. De part et d’autre, les jurés, à droite les parlementaires, à gauche les résistants. Dans un coin, un buffet a été dressé ( colin froid mayonnaise, fromages, fruits) afin qu’ils puissent se restaurer pour le cas d’une délibération longue.
Cette délibération, on en connaît tous les détails par les confidences de deux jurés parlementaires, Pétrus Faure et Gabriel Delattre, qui ont décidé de lever le secret sur la dernière phrase du procès de Philippe Pétain, estimant devoir verser leur témoignage à la grande barre de l’Histoire. Une seule question s’est posée au jury : votera-t-il ou non la peine de mort requise par Mornet ? A chacun de répondre selon sa conscience.
Celle de Pétrus Faure est déchirée. Il reste encore sous le coup d’un bref échange de propos avec le procureur général, après la clôture des débats, Pétrus Faure ayant croisé Mornet dans son bureau. Depuis trois semaines que nous avions des rencontres, raconte Pétrus Faure, il s’était établi entre nous des relations de politesse et même de cordialité. Je lui posai la question suivante : « Que pensez-vous sur ce que sera le verdict ? » Il me répondit : «J’ai moi-même demandé la peine de mort, mais vous, il ne faut pas la voter… » Que penser d’un procureur général qui, quelques jours auparavant, avait déclaré à la fin de son réquisitoire « Je demande la peine de mort pour celui qui fut le maréchal Pétain » et qui me demandait, à moi juré, de ne pas la voter ?
A cette première surprise, le président Mongibeaux va en ajouter une seconde. Ouvrant les débats, il déclare:
Messieurs les Jurés, mes assesseurs et moi-même vous demandons : seriez-vous d’accord pour une peine de cinq ans de bannissement ?
Cette demande imprévue et imprévisible suscite une vague de réprobation chez tous les jurés de la Résistance. La presque totalité des jurés repousse la suggestion des trois juges.

Verdict des jurés pour la peine des morts

Verdict des jurés pour la peine de mort

Cette parenthèse terminée, cet incident clos. Mongibeaux questionne chaque juré l’un après l’autre : est-il oui ou non partisan de la peine de mort ? Consultés les premiers, les jurés de la Résistance font connaître leur réponse: après eux, les parlementaires. Deux d’entre eux, Gabriel Delattre et Lévy-Alphandery, s’opposent à la peine capitale.
Des bulletins sont alors distribués aux jurés, qui doivent les remplir par un seul mot : « pour » ou « contre » la peine de mort. Leur dépouillement donne quatorze voix « pour » et treize voix « contre » — la peine de mort a été votée à une voix de majorité.
Et c’est alors que se produit la dernière péripétie de la délibération : plusieurs jurés demandent que le jury se prononce, par un second vote, sur un voeu qui pourrait figurer dans l’arrêt, voeu selon lequel la Haute Cour demanderait au chef de l’État une mesure de grâce pour que la peine de mort ne soit pas appliquée. Cette proposition fait l’objet de la même procédure que pour la fixation de la peine : dix-sept jurés sont favorables au vote du voeu demandant la clémence, dix sont contre. Ainsi trois jurés, partisans de la condamnation à mort, estiment qu’elle ne doit pas être exécutée: et ce déplacement de trois voix orientera la rédaction de l’ultime phrase de l’arrêt.

Pétain reconnu coupable

A 3 h 30, le texte est prêt; il est lu et accepté sans discussion. A 4 h 2, une longue sonnerie retentit : l’heure est venue.
Pour la dernière fois, précédé de Joseph Simon et accompagné par ses trois avocats, Philippe Pétain parcourt les quelques mètres qui le séparent de la salle d’audience. Son visage est resté de marbre, quoique ses traits soient tirés par cette nuit d’une veille angoissée.
Il entre dans cette salle où, depuis le lundi 23 juillet, il se soumet à la justice des hommes; elle est plongée dans une semi-obscurité. Le silence est total quand y pénètrent à leur tour les juges et les jurés.
Mongibeaux allume une lampe placée devant lui et approche un micro de la bouche : la lecture de l’arrêt sera enregistrée afin d’être diffusée par les ondes dans le monde entier.
De sa voix monotone, Mongibeaux égrène les attendus : ils reprennent, presque sans modification, ceux de l’acte de l’accusation. En foi de quoi, Pétain est reconnu coupable d’avoir entretenu des intelligences avec l’Allemagne, puissance en guerre avec la France, en vue de favoriser les entreprises de l’ennemi.
Et c’est la phrase irrévocable :
Par ces motifs, condamne Pétain à la peine de mort, à l’indignité nationale et à la confiscation de ses biens. Tenant compte du grand âge de l’accusé, la Haute Cour de justice émet le voeu que la condamnation à mort ne soit pas exécutée.
Gardes, emmenez le condamné.
L’audience est levée.
Très pâle, Pétain, qui est resté debout pendant la lecture de l’arrêt, comme tous les spectateurs, refait pour la dernière fois le chemin jusqu’à sa chambre où le rejoignent ses avocats. Nous lui expliquâmes le sens de l’arrêt, raconte Jacques Isorni, de telle manière qu’il fut surpris de cette indulgence. Il trouvait ironiquement que les juges avaient été bien gentils.

Pétain en route vers la prison

Le condamné se dépouille de son uniforme de maréchal de France : c'est en costume bleu, pardessus foncé, chapeau gris et souliers jaunes qu'il quitte le palais de justice.

Le condamné se dépouille de son uniforme de maréchal de France : c’est en costume bleu, pardessus foncé, chapeau gris et souliers jaunes qu’il quitte le palais de justice. Ses valises ont été faites dans la soirée et il ne porte à la main qu’une petite serviette noire contenant quelques papiers.
Quand le directeur général de l’administration pénitentiaire se présente à lui pour l’accompagner, il décline son nom :
Amor (tel est en effet le patronyme de ce haut fonctionnaire)…
Amor ?… Comme moi, réplique le condamné en esquissant un sourire.
Avec le médecin qui l’a suivi depuis Montrouge, le docteur Racine, Philippe Pétain prend place dans une ambulance qui le conduit à Villacoublay.
Chic ! Un avion ! s’exclame-t-il quand il aperçoit le Dakota personnel du général de Gaulle qui doit le transporter jusqu’aux portes de sa nouvelle prison. Avec Pétain montent dans l’appareil Simon, Racine, quelques fonctionnaires de la Sûreté et de l’administration pénitentiaire.
L’avion décolle au petit matin, emportant le condamné vers sa nouvelle destinée : celle d’un prisonnier perpétuel.
Philippe Pétain est entré dans sa quatre-vingt-dixième année. Il aura encore près de six ans à vivre dans trois cellules militaires de deux forts désaffectés dont les murs constitueront son seul horizon.

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