Les animaux jouent un rôle encore décisif. Les chevaux, pour la cavalerie, les pigeons, pour faire parvenir les messages urgents, les chiens dans les services sanitaires. Par contre les rats, les totos (poux) ou les puces, sont la hantise des poilus.
La chasse aux rats
L’horreur, c’est aussi la chasse aux rats, parce que les rats, gras car repus de chair humaine, ont pris de l’assurance, de l’arrogance, de la présence .. . de l’omniprésence. Les rats pullulent et envahissent la vie du poilu. Au point que le haut commandement promet une prime de cinq sous à chaque prise.
Ernst Jünger, côté Allemand, a su décrire avec une pointe d’humour désabusé ce passe-temps: tirer les rats, les enflammer, les piéger, jouer avec la vermine.
La chasse aux rats offre une distraction fort goûtée dans le vide des gardes. On dépose un petit bout de pain en guise d’appât et on pointe le fusil sur lui, ou bien on répand dans les trous de la poudre prise aux obus non éclatés et on y met le feu. Ils en bondissent alors en couinant, le poil roussi. Ce sont des créatures répugnantes, et je ne puis m’empêcher de penser toujours à leur activité secrète de charognards, dans les caves de la bourgade.
Le véritable ennemi, c’est le rat !
Le véritable ennemi, quand le secteur était calme, c’était le rat qui grouillait partout, qui dévorait les boules de pain et les victuailles si on négligeait de les pendre à un fil de fer, et qui vous réveillait parfois en pleine nuit en courant de toutes ses pattes sur votre visage.
Un jour où j’avais pu me déchausser, ce fut la morsure d’un rat aux doigts de pied qui me réveilla. C’était l’époque où, pour les mettre à l’abri des rats, mon ordonnance avait l’habitude de disposer sur une planchette nos gamelles, assiettes, provisions de pain et de chocolat. Mais ceux du secteur étaient des acrobates qui au prix d’un minutieux travail d’approche. finirent par atteindre la planchette. Arrivés là, ils précipitèrent à terre successivement, à raison d’un objet par quart d’heure, tous nos ustensiles de cuisine qui rebondissaient avec un bruit effrayant. Aucun rempart ne tenait et on ne faisait que multiplier les chutes retentissantes. J’ai donc enjoint à mon ordonnance de capituler et de placer tout au bord de la planchette les nourritures favorites des rats.
L’absence de graves épidémies au front est d’autant plus étonnante que les hommes des tranchées furent constamment la proie d’animaux les mieux réputés comme porteurs de germes. Car le règne animal joua surtout son rôle auprès d’eux, sous ses espèces les plus réduites… et les plus redoutables.
Les compagnons habituels de l’homme ne l’accompagnèrent pas aux tranchées. Pas de chats, sauf dans les villages abandonnés ; pas de chiens, sauf à l’arrière, et pour cause, car tout aboiement révélait dangereusement la présence humaine. Le seul qui ait comporté une histoire authentique est le « Totoche chien de guerre », de C.-M. Chenu, qui n’a pu être emmené que dans un char d’assaut. Les lièvres, lapins, et autre gibier, à pattes ou à plumes, ne firent que des apparitions furtives dans le no man’s land ou les sous-bois et n’obtinrent l’attention vigilante que des spécialistes du braconnage.
Seules, les petites espèces animales participaient à la vie des tranchées, et de très près. C’est même en proportion inverse de leur taille qu’elles étaient calamiteuses. La promiscuité de ces hommes, jamais déshabillés, rarement déchaussés et fort peu lavés, l’abondance des déchets de paille et des détritus de nourriture multipliaient les rats, comme la vermine et les poux, dans les tranchées, aussi bien que dans les abris, où l’odeur d’aigre et d’urine était indicible.
Il ne manquait pas de percherons pour tirer les convois du ravitaillement et du service de santé. Ceux de l’artillerie de campagne, ou même lourde, étaient à leur manière des combattants : fourbus pendant la retraite, il fallut en abandonner beaucoup et enterrer les morts à cause de l’odeur infecte. Dès ce moment et pendant toute la guerre, ils payèrent aux tirs de contre-batterie un lourd tribut.
En revanche, la rencontre des chevaux haut le pied du train de combat apportait aux biffins la certitude d’une sécurité au moins relative, et leur vue évoquait, pour l’homme qui descendait du pire des secteurs, tout le monde des embusqués régimentaires, les plus vilipendés, parce que les plus proches et les plus directement enviés.
Les mulets qui portaient jusqu’aux lignes les charges des mitrailleurs et dans les Vosges, celles des artilleurs et qui convoyaient souvent le ravitaillement des fantassins, n’encouraient pas leur envieux mépris ; d’autant plus que l’étrange voix de ces animaux et leurs braiements prolongés évoquaient l’appel au secours des blessés.
Procédons par ordre. D’abord, au ras du sol, les souris et les rats. Les premières sont la plaie, relativement anodine, des cantonnements de repos; les autres sont le fléau des tranchées, et leurs chantres sont légion.
Le plus horrible du fléau ratier était que la principale nourriture de ces animaux et sans doute leur premier appât était la chair des cadavres restés entre les lignes.
Le pullulement ratier devint si intense après dix-huit mois de tranchées, qu’en 1916 la chasse aux rats fut organisée par l’Intendance, sur des ordres venus de très haut : une circulaire annonça qu’il serait payé un sou par queue de rat livrée. Mais on créa, à cette occasion, une paperasserie si compliquée que l’initiative excellente des queues de rat tourna en queue poisson.
Dans les abris où, ce qui était le cas le plus fréquent, la terre n’était pas isolée par des claies, il tombait parfois, dans le plat ou l’assiette, un serpentin de terre molle d’où sortait un petit morceau de chair bien lisse et pointu, qui se tortille, s’allonge et pend comme une laine rose : un ver, qu’on tentait de brûler avec une allumette, vainement d’ailleurs, car la bête se contractait et disparaissait dans la terre.
Mais ce qui se meut sur le sol n’était pas, en fin de compte, le pire des fléaux créés par la gent animale. Les parasites et les insectes (poux, puces, moustiques et mouches) étaient sans doute les plus intolérables. Si encore les rats dévoraient les poux ! Mais généralement, on subissait les deux à la fois. A la rigueur, le sac à viande et la couverture protégeaient superficiellement des rats. Mais il n’exis tait rien contre les poux de corps, le inoubliables « totos », aux innombrables variétés. Il y avait des paysans pour croire que les poux naissaient de la chair vivante des soldats comme le ver de la chair morte du cadavre. Ils abondaient à ce point que la chasse aux poux était une vaine perte de temps, bien qu’on s’y livrât constamment comme à celle des rats.
Dans les boyaux on trouvait aussi, le matin, de nombreux petits cadavres de ces bêtes campagnardes qu’on appelle communément des taupes, qui étaient souvent des campagnols ou des mulots. Moins répugnants que les rats et ne s’attaquant pas à l’homme, ils tombaient souvent de la terre des parapets dans la fosse des boyaux où, n’ayant pas l’agilité de remonter ou de s’enterrer assez vite, le pied brutal des soldats les écrasait. Et l’un d’entre eux, nommé taupier, enlevait tous les matins et enfouissait les bêtes crevées.
En deuxième ligne ou au repos, on tâchait d’épouiller son linge. Mais le reste du temps, on se grattait sans arrêt, parfois jusqu’au sang.
Des hordes de rats énormes couraient sur les hommes durant leur sommeil et dévoraient leurs rations !
Des hordes de rats énormes couraient sur les hommes durant leur sommeil et dévoraient leurs rations !