Durant ses marches à travers l’Europe et pendant les périodes de guerre ou de repos, les soldats des armées napoléoniennes adoptèrent, de gré ou de force, différents modes de vie: souvent ils couchaient à même le sol et repartaient le lendemain, c’est le simple bivouac, plus ou moins organisé.
Dans les simples bivouacs, les grognards mangent et dorment autour du feu avec comme couverture le manteau ou la capote, et comme oreiller le sac à dos ou le portemanteau chez les cavaliers. Cette méthode, agréable aux beaux jours, devient vite un enfer par temps de pluie ou de neige el le réveil est particulièrement difficile : membres engourdis, reins brisés, courbatures, mâchoires resserrées, moustaches mouillées de rosée !
Durant la marche qui précédait l’arrivée au bivouac, les corvées étaient réservées aux nouveaux venus dans les corps, Ainsi, le futur capitaine Desboeufs raconte qu’avant Marengo, en plus de ses objets personnels, il portait une pioche, trois piquets, une grosse marmite, un morceau de viande et un petit sac de sel. Quand les régiments étaient arrivés à la portion de terrain désignée par le général de brigade pour installer le bivouac, on plaçait immédiatement des sentinelles et on formait des faisceaux d’armes ; les soldats déposaient ensuite les sacs à dos en rond derrière eux pour indiquer l’emplacement où chaque groupe passerait la nuit sur le terrain. Le corps d’avant-garde bivouaquait ordinairement sans abri et il ne lui était guère permis de s’écarter.
Parfois, l’ordre était donné à 20 hommes par compagnie d’aller chercher dans les villages voisins du bois, de la paille et des vivres. Après cela, les soldats quittaient souliers, guêtres, uniforme, et, vêtus de la simple capote et du pantalon de toile, se rendaient aux vivres, au bois, à l’eau.
Dormir ! Pour le soldat en campagne, il n’est pas question de se montrer difficile. Un toit, ce n’est, la plupart du temps, pas la peine d’y compter, d’autant que tout ce qui est susceptible d’offrir un abri est généralement démoli pour alimenter le feu du bivouac. Hormis celle des haut gradés et encore ! La situation est la même, ou peu s’en faut, pour le simple soldat et l’officier subalterne.
Ainsi, trois jours avant la bataille d’Eylau, un des aides de camp du maréchal Augereau, a le rare bonheur de trouver une grange accueillante et une confortable botte de paille. Il s’endort paisiblement. Son sommeil est troublé par des bruits divers et des objets tombant sur le manteau dont il s’est enveloppé. Habitué à l’inconfort de la vie en campagne, il s’obstine dans son sommeil jusqu’à ce qu’un froid intense le morde. Cette fois, il ouvre les yeux, et que voit-il ? Rien d’autre que la voûte brumeuse d’un brouillard épais. De son refuge, hormis les poteaux auxquels sont attachés les chevaux, il ne reste rien. Les troupes cantonnées dans le voisinage ont tout simplement cannibalisé la grange : le chaume a nourri les montures des cavaliers et le bois a permis d’allumer le feu et de faire bouillir la marmite. Exquise délicatesse : les démolisseurs ont pris soin de ne pas éveiller le dormeur
Le pain et la soupe constituaient la base de l’alimentation du soldat. Parfois une volaille venait améliorer l’ordinaire si les maraudeurs avaient bien fricoté. Les caporaux ou les brigadiers qui avaient une hachette s’en servaient pour la découper. Elle était alors cuite devant le feu, attachée par des ficelles, et fixée à un bâton maintenu horizontalement par des piquets. un soldat était chargé de faire tourner la broche el de vérifier la cuisson. A défaut de volaille et le plus souvent, on mangeait le bouilli, plat ressemblant à notre actuel pot-au-feu dont la recette était la suivante: Pour chaque homme il faut un litre d’eau et 250 grammes de viande que l’on fait bouillir à grand feu et que l’on écume en même temps, ajouter du sel (ou à défaut de la poudre à canon qui contient du salpêtre) et les légumes de saison, laisser cuire le tout et mettre le pain dans la soupe au dernier moment !
Les marmites et les gamelles en fer blanc étaient ensuite nettoyées à l’eau claire ou avec du sable quand il y en avait. L’ordre de départ pouvait être donné avant que la soupe ne soit mangée. Dans ce cas, deux hommes emportaient la précieuse pitance suspendue à un bâton et à la première halte on la remettait au feu.
Le soldat couche tout habillé, quand il fait froid c’est auprès du feu, il grille d’un côté et gèle de l’autre. Les officiers ont des sacs en toile où ils dorment.. Si la journée n’a pas été trop éprouvante, et si le temps le permet, les soldats veillent, ils aiment écouter et raconter des histoires, fumer, chiquer, boire du vin chaud à la cannelle ; les plus instruits lisent la gazette et les lettres reçues de France, ou bien écrivent..
Quand tout le monde est couché, les cuisiniers entretiennent le feu pour qu’il ne s’éteigne pas et qu’il ne prenne pas à la paille. Dans la neige, les soldats coupent, quand il y en a, des branches de sapin pour se coucher dessus, ce qui constitue un bon isolant.
Les officiers supérieurs et les hauts placés ne sont pas toujours les mieux logés, ainsi, le chirurgien en chef Percy écrit dans ses mémoires qu’il dormait souvent sur de la paille, un coussin sous la tête et sa schabraque sur les pieds, sa couverture sur le corps et son tablier de cuir, qui servait à pratiquer les amputations, sur la couverture ! Une autre fois, il note : On a étendu la paille, mes draps dessus, ma couverture, et, je me suis couché en remerciant le ciel.
Pendant la terrible campagne de Russie, on assista chez certains à une véritable organisation des bivouacs sous le nom de coteries. ll s’agissait. de groupes qui vivaient à part, avec leurs réserves. Le principe de base était d’exclure formellement tout étranger au groupe. Les soldats se levaient à l’aube avant tous les autres de manière à arriver les premiers dans un abri la nuit suivante. L’avant garde de la coterie indiquait le point de ralliement au groupe principal par des signes particuliers.
Les journées étaient courtes en hiver 1812, les hommes ne faisaient que 4 ou 5 lieues par jour (20 à 25 km) entre 8 heures du matin et 14 heures. Si il y avait des retardataires, on les attendait, mais pas trop longtemps. Arrivé sur les lieux, les corvées étaient distribuées : faire fondre de la neige pour obtenir de l’eau, ramasser le bois pour allumer le feu, confectionner la bouillie avec de la farine et de l’eau, etc…
Lors de cette campagne, on vit même des officiers commander une coterie. Dans les régiments de cavalerie, il existait une clique composée des mauvaises têtes et des maraudeurs qui se reconnaissaient entre eux par une échancrure pratiquée dans l’étain du premier bouton de la rangée droite de la pelisse et du dolman.