Mussolini reçoit Hitler à Venise, en juin 1934, pour mieux sonder ses intentions sur l’Autriche. La veille de la rencontre, Mussolini ironise sur le fait que les Lapons, se trouvant plus au nord que tous les autres peuples, doivent constituer la plus supérieure des races. Dans le même esprit, le Duce demande à la presse de réserver un bon écho à la visite que lui a faite le grand rabbin de Rome. Il accueille Hitler en grand uniforme fasciste, le visage rayonnant. Hitler fait piètre figure dans un costume civil qui lui va mal. Lorsqu’il salue Mussolini, c’est l’élève qui salue le maître. La rencontre est un échec retentissant pour Hitler. Mussolini lui déclare que l’Autriche doit conserver son indépendance et sa totale liberté. Après cette rencontre, le Duce juge sévèrement Hitler : «Ce raseur m’a récité Mein Kampf, ce livre indigeste que je ne suis jamais parvenu à lire. Je ne me sens aucunement flatté de savoir que cet aventurier de mauvais goût a copié sa révolution sur la mienne. Les Allemands finiront par ruiner notre idée. Cet Hitler est un être féroce et cruel qui fait penser à Attila. Les Allemands resteront les barbares de Tacite et de la Réforme, les éternels ennemis de Rome. »
Mussolini vient de déclarer, au cours d’un long entretien avec la presse et des amis autrichiens, que « Hitler est un affreux dégénéré sexuel et un fou dangereux. Le national-socialisme en Allemagne représente la barbarie sauvage et ce serait la fin de notre civilisation européenne si ce pays d’assassins et de pédérastes devait submerger le continent. Toutefois, je ne puis être toujours le seul à marcher sur le Brenner ». Gabriele D’Annunzio, très antinazi, a adressé ses félicitations à Mussolini pour sa courageuse attitude contre « l’Attila barbouilleur ». « Je sais, écrit-il, que tes hésitations cèdent la place à ta sagacité virile, et que tu as si bien su repousser ce félon d’Adolf Hitler, à l’ignoble face ternie sous les taches indélébiles de peinture où il avait trempé sa mèche de clown féroce qui se prolonge jusqu’à la racine de son nez nazi. Avec son gros pinceau de barbouilleur, il couvre de sang l’humain et le divin. »
Après avoir refusé à cinq reprises de se rendre en Allemagne, Mussolini a finalement accepté l’invitation du Führer. L’homme qui a accueilli, le 24 à Munich, le chef du fascisme n’a plus grand-chose de commun avec l’humble solliciteur de Venise, en 1934. Revêtu de l’uniforme des SA, Adolf Hitler lui présente durant une semaine, dans une succession de parades militaires et de meetings monstres, le spectacle fascinant de la machine de guerre allemande et de son emprise sur les foules. Le choc subi par Mussolini au contact de cette discipline, de cette force militaire et de cet enthousiasme est décisif. A Berlin, le Duce déclare à à la foule : « Puisque le fascisme a un ami, il marchera avec cet ami jusqu’au bout. »
Un déséquilibre psychique, un délire presque identique, ont atteint les deux dictateurs. A côté d’un Hitler hystérique et paranoïaque, s’agite un Mussolini dont la mégalomanie atteint à certains moments l’extase. Il semble parfois si déséquilibré à Bochini, chef de la police romaine, que ce dernier ne peut s’empêcher de confier à Galeazzo Ciano : « Le Duce devrait faire une rapide cure antisyphilitique, car son excitation constante est une évidence pour son entourage. » Le succès en Ethiopie a développé chez lui le sentiment d’une destinée hors du commun. Il se croit infaillible. Il reste surtout un grand solitaire, méfiant des autres.