L’Irakien Ibn al-Athîr (1160-1233), auteur du Kâmii at-Tawiiiikh (Somme des histoires), montre dans quelle piètre estime les musulmans tenaient leurs agresseurs francs, dont il condamne la cruauté.
En vérité… Il y a bien eu une croisade pacifique
Toutes les croisades ne sont pas militaires. Exemple, la sixième, celle de l’empereur Frédéric II, petit-fils de Frédéric Barberousse.
Lors de son couronnement à Aix-la-Chapelle, en 1220, l’impétrant promet au pape Honorius III de prendre la croix. Il honore là un voeu de son illustre aïeul, à moins que le souverain pontife ne lui ait un peu forcé la main…
Or, Frédéric est en proie à des difficultés de politique intérieure, ou bien cherche à tergiverser. Toujours est-il qu’il tarde à partir. De plus, ce fin lettré qui a grandi en Sicile où les Arabes sont encore nombreux, entretient de bonnes relations avec le monde musulman et n’a pas du tout envie d’aller ferrailler contre eux. Le voilà excommunié.
Il décide alors de mener sa croisade, non pas en chevalier, mais en diplomate: il signe en 1229 le traité de Jaffa avec le sultan d’Égypte Malik al-Kamel et, avec tact, se fait remettre les Lieux saints. C’est donc sans avoir levé l’épée qu’il récupère Jérusalem, dont il devient roi en mars 1229. Mais les barons francs et les ordres militaires religieux ne l’entendent pas de cette oreille, si bien que Frédéric reste excommunié et l’interdit est jeté sur les Lieux saints! Il sera absous à son retour en Europe par Grégoire IX.
Toute sa vie, il aura tenté de s’entremettre entre musulmans et chrétiens, afin d’établir sinon une paix durable, du moins une coexistence pacifique. Il a été bien près de réussir.
«Comme ils avaient essayé sans succès de prendre la ville d’Acre, ils [les Francs] se portèrent vers Jérusalem et l’assiégèrent pendant plus de quarante jours. […] La ville sainte fut prise dans la matinée du 22 du mois de shaban [le 15 juillet 1099]. Aussitôt, la foule prit la fuite. Les Francs restèrent une semaine dans la ville, occupés à massacrer les musulmans. Une troupe de musulmans s’était retirée dans le Mirhab [sanctuaire] de David et s’y était fortifiée. Elle se défendit pendant trois jours. Les Francs ayant offert de les recevoir à capitulation, ils se rendirent et eurent la vie sauve.
Les Francs massacrèrent plus de soixante-dix mille musulmans dans la mosquée al-Aqsa. Parmi eux, on remarquait un grand nombre d’imams, d’ulémas [savants], et de personnes menant une vie pieuse et austère qui avaient quitté leur patrie pour venir prier dans ce noble lieu. Les Francs enlevèrent de la chapelle de la Sakhra [dépendance de la mosquée al-Aqsa] plus de quarante lampes d’argent, chacune d’un poids de trois mille six cents dirhems. Ils y prirent aussi un tennour [grande lampe] d’argent de Syrie ainsi que cent cinquante lampes de moindre grandeur. Le butin fait par le Francs était immense.
Les personnes qui avaient quitté la Syrie arrivèrent à Bagdad au mois de ramadan [fin juillet-début août] et y firent un récit qui anacha des larmes de tous les yeux. La douleur était dans tous les coeurs. Ces personnes, le vendredi qui suivit leur arrivée, restèrent dans la grande mosquée, invoquant la miséricorde divine. Elles pleuraient, et le peuple entier pleurait avec elles. Elles racontèrent les malheurs qui avaient frappé les musulmans de nobles et vastes contrées, le massacre des hommes, l’enlèvement des femmes et des enfants, le pillage des propriétés. Telle était la douleur générale qu’on ne pensa plus à observer le jeûne. »
Fantassins et chevaliers se frayaient un chemin à travers les cadavres. Mais tout cela n’était encore que peu de choses. Accédons au Temple de Salomon, où les Sarrasins avaient coutume de célébrer les solennités de leur culte. Qu’arriva-t-il en ces lieux ? Si nous disons la vérité, nous outrepassons les limites du croyable.
Qu’il suffise de dire que dans le Temple et dans le portique de Salomon, on chevauchait dans le sang jusqu’aux genoux du cavalier et jusqu’à la bride du cheval. Juste et admirable jugement de Dieu, qui voulut que ce lieu même reçut le sang de ceux dont les blasphèmes contre lui l’avaient si longtemps souillé. La ville se trouvant ainsi comble de cadavres et inondée de sang, quelques Sarrasins se réfugièrent dans la tour de David, et ayant demandé au comte Raimond de leur garantir la sécurité par sa droite, ils lui rendirent la citadelle.