Les petites heures du premier matin de septembre 1939. Partout, le téléphone sonne. La nouvelle se propage. C’est une bombe.
Le premier septembre 1939, à Varsovie, c’est une bombe en même temps que les bombes. Le colonel Beck (gauche), soudainement tiré de son sommeil et de ses illusions, est en communication avec l’état-major. Il n’a pas encore eu le temps de visser son monocle à l’oeil droit. Il est comme nu, les yeux grands ouverts, épouvantés. Les premiers communiqués reçus révèlent l’étendue du drame.
L’offensive est générale de la Baltique aux Carpates. Le ciel de la Pologne est déjà conquis, et la terre, fraîchement moissonnée, subit un terrifiant labour. Mais le colonel n’a plus besoin que l’état-major lui avoue la suprématie de la Luftwaffe. Il entend les bombardiers de Goering au-dessus de Varsovie.
A Paris, square de Latour-Maubourg, le colonel Rivet, le patron du 2e Bureau, a les joues pleines de crème à raser. Le téléphone sonne. Rivet met l’écouteur à son oreille. L’importun, c’est Gamelin, qui dit : — Avez-vous entendu la radio?
— Non, mon général…
— Ah ! fait Gamelin.
Au Quai d’Orsay, c’est Georges Bonnet qui décroche le téléphone. Le directeur de l’agence Havas, en personne, donne l’information au ministre. Le défenseur de la paix, tout à ses projets de conférence mussolinienne, refuse d’avoir bien compris. Il veut entendre à nouveau les quelques mots qui ruinent toutes ses espérances. Il entend : A l’aube, les troupes allemandes ont franchi la frontière polonaise…
Atterré, il raccroche, reprend son téléphone et appelle Daladier. Le président du Conseil n’est pas encore au courant. Lui aussi refuse d’abord de comprendre. Bonnet répète : à l’aube, les troupes allemandes ont franchi la frontière polonaise sans déclaration de guerre…
« A l’aube, ce premier septembre 1939, les troupes allemandes ont franchi la frontière polonaise, monsieur le Président. » A Washington, Roosevelt est réveillé en pleine nuit. C’est l’ambassadeur Bullit qui lui parle de Paris. Le décalage horaire permet en quelque sorte au président des Etats-Unis d’être prévenu le premier au monde, puisqu’il apprend la nouvelle fatidique à 2 h 50 du matin, soit deux heures avant que les divisions du colonel général von Bock et du colonel général von Rundstedt partent à l’attaque.
A Rome, dans son bureau du Palazzo Venezia, Mussolini décroche le téléphone. Il appelle Berlin, Attolico, son ambassadeur. Le dictateur italien est en proie à des sentiments contradictoires. Il est heureux et inquiet, furieux et perplexe. Certes, le pénible aveu qu’il a fait à son partenaire du dénuement italien lui permet de se tenir en dehors de cette détestable aventure. Encore faut-il que les puissances occidentales soient bien au fait de sa neutralité.
A Londres, le fonctionnaire du Foreign Office qui décroche le téléphone pour enregistrer la communication urgente de Berlin n’est pas étonné d’entendre Birger Dahlerus, le diplomate officieux suédois. Dans l’entourage de lord Halifax, le Suédois est devenu aussi familier que l’ambassadeur Henderson lui-même, aussi connu mais diversement apprécié.
Quoi qu’il en soit, l’interlocuteur britannique ne cache pas sa surprise. M. Dahlerus aurait-il perdu l’esprit ? La nouvelle parait d’autant plus insensée que Birger Dahlerus retransmet fidèlement la version qui lui a été donnée par son ami Hermann Goering : ce sont les Polonais qui ont attaqué…
Mais c’est bel et bien la guerre. A Londres comme à Paris, les ministres vont se réunir d’urgence et ordonner la mobilisation générale. A Londres comme à Paris, les ambassadeurs de Pologne, Raczynski et Lukasiewicz, vont faire une démarche identique auprès des responsables des Affaires étrangères, Halifax (gauche) et Bonnet, pour leur rappeler les traités d’alliance qui stipulent en cas d’agression une assistance immédiate.
L’Angleterre et la France vont-elles intervenir immédiatement ?
Les Alliés se hâtent lentement pendant cette journée incertaine. Londres attend Paris. Paris espère en Rome. Mais Rome ne peut rien faire sans l’accord de Berlin.
Hitler fait savoir qu’il n’est pas opposé à la conférence que propose Mussolini. Une condition : que les gouvernements français et anglais ne lui présentent pas d’ultimatum. Les Anglais, de leur côté, donnent leur accord aux Italiens. Une condition : que les troupes allemandes quittent la Pologne. Hitler, dont les soldats volent vers la victoire, ne peut pas accepter cela. Mussolini, qui le sait, abandonne. Il se retire de la paix comme il s’est retiré de la guerre.
Alors, est-ce l’ultimatum immédiat, puisque le Führer n’a pas répondu à la mise en demeure de la veille? Non. C’est la pagaille.
Lenteur française : Gamelin a besoin d’un délai de quarante-huit heures pour achever la mobilisation générale, et le gouvernement français l’admet d’autant mieux que c’est évidemment la France qui devrait supporter le choc des armées allemandes, et non l’Angleterre.
Exaspération britannique : Chamberlain voit son cabinet menacé au cours d’une séance houleuse à la Chambre, et Churchill, son vieil adversaire, ira des aboiements, quand il téléphonera à l’ambassadeur de France Corbin, aux larmes, quand ce sera à l’ambassadeur de Pologne Raczynski.
Lenteur française. Exaspération britannique. Angoisse polonaise et fureur : l’ambassadeur Lukasiewicz, perdant toute contenance et abdiquant toute diplomatie, ira jusqu’à vociférer des imprécations dans le bureau de Georges Bonnet:
— Dois-je en conclure, hurla-t-il, que la parole française n’a aucune valeur?