La vie quotidienne dans la capitale est infernale: vacarme, incendies, circulation, écroulements d’immeuble… Mais pour rien au monde, un vrai Romain ne quitterait sa chère cité.
Les maisons romaines
L’habitation la plus courante est l’insula, très semblable d’aspect et de conception à nos immeubles modernes. Avec ou sans cour centrale, elle possède jusqu’à sept étages, hauteur maximum, parce que les quarante-cinq centimètres d’épaisseur de murs ne permettent pas davantage. Les accidents sont alors nombreux ; il arrive souvent que l’insula s’effondre ou brûle, car pour le chauffage et la cuisine, on utilise des braséros. Pas de vitre aux larges fenêtres ; pour se protéger de la pluie et du froid, on ferme les volets. Pas d’eau courante ; on va aux fontaines publiques.
Aucun plan d’urbanisation n’a présidé à la répartition des voies et des habitations. Le centre de Rome est un réseau inextricable de ruelles étroites qui gravissent ou descendent les pentes des collines.
La superficie de la ville est fort réduite par rapport à la population qui, au 1er siècle, atteint sans doute près d’un million d’habitants. Auguste a agrandi le périmètre urbain en annexant les faubourgs et divisé la ville en quatorze régions (arrondissements), comportant chacune un chef de région, des cohortes de vigiles (pompiers) et des cohortes urbaines (police).
Les riches, les nobles vivent dans des hôtels particuliers n’ayant pas d’ouverture sur la rue à l’exception de la porte d’entrée et disposés à l’intérieur autour de jardins paisibles. Ces demeures sont concentrées sur certaines collines, le Palatin et l’Aventin. La plus grande partie des Romains est logée dans des insulae (îlots) ou immeubles de rapport qui peuvent s’élever jusqu’à cinq ou six étages. Si les deux ou trois premiers niveaux sont en briques cimentées, les étages supérieurs sont en torchis ou en bois. Aussi les écroulements sont-ils fréquents, aubaine pour les spéculateurs qui achètent à bas prix les terrains sinistrés pour reconstruire à la va-vite des logements loués très cher.
On accède aux derniers étages par des escaliers extérieurs. Des fenêtres donnant sur la rue apportent la lumière aux appartements. Ceux-ci ne disposent pas d’arrivée d’eau ni d’évacuation des eaux usées. Généralement, des latrines se trouvent au rez-de-chaussée pour l’ensemble des locataires. Sinon, on déverse ses ordures dans la rue, sur un tas de fumier. Pour chauffer en hiver, il faut se contenter d’un rudimentaire brasero en argile, cause fréquente d’incendies, et la fumée oblige à laisser portes et fenêtres ouvertes.
Dans ces immeubles élevés (jusqu’à 30 mètres), la lumière pénètre mal. Dès que la nuit tombe, plutôt que d’allumer une lampe à huile ou une chandelle, les locataires préfèrent se coucher. Parfois, au niveau du toit, on a planté des petits jardins suspendus et des pots de plantes aromatiques ornent les appuis de fenêtre. Le rez-de-chaussée de l’insula est occupé par des boutiques et des ateliers et, au pied des escaliers, se trouve la loge du concierge chargé de veiller au bon ordre dans l’immeuble et de percevoir les loyers. Les locataires les plus nécessiteux sont relégués dans des mansardes sous les combles et parfois même dans les sous-sols de l’immeuble.
Malgré ces conditions difficiles de vie, le Romain n’abandonnerait pour rien au monde sa ville pour aller s’installer en province! Il faut dire qu’à l’exception des malades, tout le monde passe la journée dans la rue.
L’approvisionnement en eau a toujours constitué un problème que l’on résout par la multiplication d’aqueducs qui vont chercher l’eau de plus en plus loin de Rome. Frontin, spécialiste des aqueducs au 1er siècle, en dénombre neuf débitant au total 992000 m³ par jour. Cette eau est répartie dans des châteaux d’eau qui la distribuent dans les fontaines et les bassins publics. Seuls les hôtels particuliers sont alimentés en eau courante. Dans les insulae, il faut s’approvisionner aux fontaines publiques. En 11 av. J.-C., un sénatus-consulte crée le service des eaux de Rome administré par des curateurs qui veillent à l’entretien et à la réparation des canalisations et vérifient que des particuliers ne dérivent indûment l’eau publique dans leurs demeures. Un vaste réseau d’égouts évacue les eaux usées vers le Tibre dont le lit et les berges sont entretenus par un service particulier.
La circulation est dominée par cette opposition du jour et de la nuit. Dans la journée, c’est une animation intense, une bousculade échevelée, un infernal vacarme.
Ici, les barbiers rasent leurs clients au milieu de la chaussée. Là, les colporteurs du Trastevere s’en vont troquant leurs paquets d’allumettes soufrées contre des verroteries. Ailleurs, des gargotiers, enroués à force d’appeler une clientèle qui fait la sourde oreille, exhibent leurs saucisses fumantes dans leurs casseroles chaudes. Des maîtres d’école et leurs élèves s’égosillent en plein vent.
D’un côté, un changeur fait sonner sur une table malpropre sa provision de pièces à l’effigie de Néron ; de l’autre, un batteur de poussière d’or frappe à coups redoublés de son maillet brillant sur sa pierre usée ; au carrefour, un cercle de badauds s’exclame autour d’un charmeur de vipères ; partout retentissent les marteaux des chaudronniers, et. chevrotent les voix des mendiants qui, au nom de Bellone ou bien en souvenir de leurs infortunes aventureuses, s’efforcent d’attendrir les passants.
Ceux-ci s’écoulent en un flot ininterrompu que les obstacles qu’il rencontre n’empêchent point de devenir bientôt torrentiel.
Par des ruelles indignes d’un village, c’est tout un monde, dans l’ombre ou le soleil, qui va, vient, crie, se presse et se pousse ; et, quinze siècles avant les embarras de Paris, qui excitèrent la verve de Boileau, les embarras de l’ancienne Rome ont défrayé celle de Juvénal.
La nuit, on pourrait croire qu’ils vont s’abolir dans le silence de la peur et une paix sépulcrale. Ils sont seulement remplacés par d’autres. Au défilé des hommes, maintenant réfugiés dans leurs immeubles, succède, par la volonté de César, celui des bêtes de somme, de leurs charretiers et de leurs convois.
César avait, en effet, compris que, dans des venelles aussi accidentées, réduites et passantes que les vici de Rome, la circulation des véhicules, nécessitée par les besoins de centaines de mille habitants, eût amené, de jour, un embouteillage immédiat et constitué un danger permanent. D’où la mesure radicale qu’il a prise et que nous signifie sa loi posthume.
Après le lever du soleil et jusqu’aux abords du crépuscule, il ne sera plus toléré de chariots en déplacement à l’intérieur de l’Urbs. Ceux qui y auront été introduits pendant la nuit et que l’aube y aura surpris avant leur départ n’auront que le droit d’y stationner vides ; et quatre exceptions seulement seront admises à cette règle désormais inflexible.
Trois exceptions temporaires, d’abord, respectivement consenties : les jours de cérémonies solennelles, aux chars des Vestales, du Roi des Sacrifices, des Flamines ; les jours de triomphe, aux chars indispensables à la procession de la victoire ; les jours de jeux publics, aux chars que requiert cette célébration officielle.
Ensuite, une exception perpétuelle acordée tous les jours de l’année aux chariots des entrepreneurs qui démolissent une ville asphyxiante pour la rebâtir plus saine et plus belle.
Hors ces cas très nettement déterminés, ne circulent, dans la vieille Rome, pendant la journée, que les piétons, les cavaliers, les possesseurs de litières et de chaises à porteurs.
En revanche, aux approches de la nuit, commencera le légitime branle-bas des charrois de toutes sortes qui remplissent la ville de leur tintamarre.
Car il ne faut pas croire que la législation de César ne lui ait guère survécu, que les particuliers en aient fait tôt ou tard sauter les dispositions draconiennes sous la pression de leurs aises ou de leurs convenances. La main de fer du dictateur a ployé les siècles, et les empereurs, ses héritiers, n’ont jamais affranchi les Romains des sujétions auxquelles, dans l’intérêt vital de la collectivité, il les avait durement soumis. Ils les ont, à tour de rôle, consacrées, renforcées.