Au long XIXe siècle, avec la prise de conscience de l’isolement grandissant des servantes, du grave problème social et moral posé par leurs grossesses, on voit se multiplier les organisations charitables se chargeant de l’accueil et de la réinsertion des servantes malades, enceintes ou au chômage. Peu à peu, l’idée naîtra que pour répondre aux difficultés du placement, pour lutter aussi contre le chômage, il est nécessaire de former les domestiques. Les premières écoles ménagères apparaissent au début du XXe siècle.
Curieusement, si les sociétés charitables tentent dès avant 1850 d’apporter une réponse à la détresse des servantes, l’Etat s’abstient de toute intervention jusqu’en 1914. La domesticité semble toucher de trop près à la famille pour qu’il s’y risque. Sans doute faut-il aussi considérer le manque d’intérêt électoral, la féminisation de la profession, et l’isolement de ces femmes dans les causes de cet immobilisme. En outre, la domesticité s’inscrit trop bien dans la société, et elle est trop mal organisée, pour se sentir révolutionnaire. C’est d’ailleurs avec un bon temps de retard sur le monde ouvrier, et une grande timidité que naît le syndicalisme des gens de maison : les premiers journaux datent de 1885-1886, la première chambre syndicale de 1886. Encore s’y intéresse-t-on essentiellement au problème du placement. Même les socialistes et les féministes attendront l’aube du XXe siècle pour enfourcher ce cheval de bataille.
Ainsi le domestique reste-t-il, aux yeux de l’Etat, un oublié de la liberté, un oublié du progrès social. Politiquement, les serviteurs sont privés du droit électoral, jusqu’en 1848. Ils sont inéligibles aux conseils municipaux, exclus de la composition du jury, soumis à la contrainte du livret jusqu’en 1890 (officiellement aboli… en 1930). Socialement, aucune des grandes lois sur la protection ouvrière ne leur est applicable : ni celle sur le travail des enfants et des femmes, ni celles sur les accidents du travail, le repos hebdomadaire, la limitation de la durée du travail, ni même celle sur le repos des femmes en couches (il faut attendre 1909 pour que la grossesse et l’accouchement ne soient plus causes légitimes de renvoi !)
Même la loi du 2 novembre 1892 fixant à 13 ans l’âge limite d’embauche des jeunes ne s’applique pas aux domestiques : on peut employer un enfant à tout âge, pourvu qu’on lui permette de fréquenter l’école obligatoire.
Le seul domaine dans lequel l’Etat ait réellement tenté d’intervenir est celui du placement, en réglementant les bureaux de placement, en luttant contre l’escroquerie à l’embauche par l’institution de bureaux municipaux gratuits, dans chaque arrondissement de la capitale. Mesures qui se soldèrent par un échec, les institutions municipales n’ayant jamais réussi à concurrencer sérieusement les bureaux de placement privés.
Dans les années 1895-1896, une crise de la domesticité se manifeste : baisse du nombre des domestiques hommes et des nourrices, augmentation sensible de celui des femmes de ménage ; baisse de la qualité du recrutement (alors que la moitié des servantes ont entre 15 et 30 ans), hausse des salaires… L’opinion publique sensibilisée, les études sur la domesticité se multiplient. La guerre de 1914 marque la vraie rupture. Le nombre des domestiques baisse nettement. Les femmes, qui avec la guerre ont pris le chemin des usines et des ouvroirs, préfèrent finalement cela à la servitude. Les plus instruites trouvent un débouché plus rentable et moins contraignant dans les emplois de bureau. Après la guerre, les jeunes refusent d’entrer en condition : un travail trop dur, des contraintes trop fortes, pour un salaire trop bas, et surtout le manque de considération en sont cause. Le mépris est devenu insupportable.