la Luftwaffe avant la bataille d'Angleterre en 1940

Le problème tenait au fond même de la conception qui avait présidé à la formation de la force aérienne allemande. Ses créateurs ne l’avaient développé que comme une arme auxiliaire de l’armée allemande destinée à l’appui tactique des troupes au sol. La Luftwaffe n’avait pas été prévu pour des missions stratégiques.

La courte vue des chefs de la Luftwaffe

Ce qui frappe, c’est le manque de vision globale stratégique et à long terme des principaux chefs de la Luftwaffe. Sur le plan de la construction aéronautique, la situation est encore plus grave. Au printemps 1939, la production britannique a rattrapé son retard par rapport à celle de l’Allemagne et, un an plus tard, elle fait la course en tête (un fait non négligeable qui passe totalement inaperçu des responsables de la Luftwaffe, qui tablent, en juillet 1940, sur des chiffres totalement erronés). Or, un mois plus tard, quand ils recouperont ces statistiques avec des revendications de victoires fantaisistes, ils obtiendront un tableau de la situation sans aucun rapport avec la réalité.
Alors que la production de chasseurs monomoteurs allemands stagne, passant de 180 en juillet 1940 à 220 le mois suivant, pour retomber à 160 en septembre, l’industrie aéronautique britannique en produit 1 439 au cours de ces trois mois, soit une réalisation supérieure de 43% aux objectifs fixés. La mise en place par Lord Beaverbrook, ministre de la Production aéronautique, d’un circuit rapide et performant de réparations n’est pas non plus étrangère à cet état de fait.
Peu de temps après la fin de la campagne de France, Göring annule tous les programmes d’avions nouveaux qui ne pourront pas déboucher sur une mise en production avant 1941 (à l’exception notable du Me 262). Cette décision n’aura aucune influence directe sur la Bataille d’Angleterre, mais elle montre à quel point les responsables de la Luftwaffe ont une vision à courte vue et explique pourquoi l’aviation allemande finira la guerre avec pratiquement les mêmes avions que ceux avec lesquels elle l’a commencée.
Néanmoins, il devient vite manifeste que les conditions préalables à la mise en œuvre de l’opération Seelôwe ne peuvent être remplies que par la Luftwaffe, la supériorité aérienne en étant la principale. Lentement mais sûrement, le Führer et son état-major glissent vers une solution « tout aérienne ». De son côté, Göring fanfaronne : « sa » Luftwaffe mettra l’Angleterre à genoux, ce qui rendra tout débarquement inutile.
L’adjoint du chef d’état-major de la Wehrmacht, écrira dans ses mémoires : « De toute évidence, Hitler n’était que trop disposé à accepter la moindre objection à l’idée du débarquement ».

Le rapport de force entre les protagonistes de la bataille d'Angleterre

Avant la bataille d'Angleterre la Royal Air Force pouvait rivaliser avec la Luftwaffe

Le rapport des forces entre les protagonistes de la bataille d’Angleterre était beaucoup plus équilibré qu’il ne semblait à première vue. Par la qualité, sinon par la quantité des avions, la Royal Air Force pouvait rivaliser avec la Luftwaffe. En outre, la Grande-Bretagne avait des atouts que son adversaire ne possédait pas: l’oeil omniprésent du radar, et le fait de combattre au-dessus de son propre sol. Un grand nombre de pilotes de la R.A.F., abattus en combattant, pourraient être récupérés et renvoyés à l’action, alors que les pilotes allemands descendus en vol seraient définitivement perdus pour la Luftwaffe. Enfin, chaque jour de délai imposé par Hitler pour le déclenchement de son offensive aérienne, l’Angleterre l’employait à accélérer fiévreusement la production de ses usines aéronautiques, réduisant de la sorte son retard quantitatif.
En cela, d’ailleurs, l’ennemi faisait indirectement son jeu. Au milieu de l’année 1940, l’industrie aéronautique allemande continuait à fonctionner au même rythme qu’en temps de paix. Hitler ne voulait pas risquer, en accélérant la production, d’alarmer une population à laquelle on avait fréquemment répété qu’elle verrait une suite de succès faciles. D’ailleurs, le Führer lui-même pensait qu’il allait bientôt gagner la guerre. La production s’orientait différemment: les matières premières se faisaient rares et la priorité était donnée à la fabrication des canons.
Les Anglais tirèrent aussi profit de la mauvaise organisation de la Luftwaffe dans le domaine de la répartition des avions et du développement de nouveaux modèles. Ces tâches essentielles incombaient au général Udet, un as de la Première Guerre mondiale, bon vivant porté sur l’alcool et les femmes, et qui avait servi sous les ordres de Goering dans le «Cirque Volant» de Richtofen. L’idée de confier à Udet le poste de responsable technique de la Luftwaffe venait de Hitler. Le Führer avait décidé, dès 1938, que le général était non seulement un bon pilote, ce en quoi il avait raison, mais aussi un technicien génial, ce en quoi il se trompait.
Udet n’était pas non plus un administrateur. Sous la pression des préparatifs de guerre, son fief passa de 9 à 28 départements, et leurs responsables devaient souvent attendre des mois ses décisions capitales. Il aimait rêver avec ses collaborateurs aux avions de l’avenir. Et même ses entrevues avec le maréchal Goering, ménagées pour résoudre des problèmes immédiats de la Luftwaffe, se terminaient souvent par de longues évocations de leurs exploits de la Première Guerre mondiale.
Sa qualité d’ancien compagnon de Goering ne suffit pourtant pas à le sauver, lorsque les failles internes de la Luftwaffe commencèrent à apparaître en 1940. Goering et son adjoint Milch (les deux hommes qui décidaient réellement quels types d’avions devaient être produits et en quelle quantité) se retournèrent contre Udet et en firent leur bouc émissaire, l’acculant au suicide un an plus tard.

L'incompétence de Goering chef de la Luftwaffe

La Luftwaffe est la création d’un homme, Hermann Göring. Pourtant, elle est née de la volonté du Generaloberst Hans von Seeckt, chef de la Reichswehr (forces armées autorisées par les Alliés), de reconstituer secrètement une aviation militaire dans les années vingt, c’est-à-dire sous la République de Weimar. Avec l’arrivée des Nazis au pouvoir, Göring va s’approprier l’héritage et façonner « sa » Luftwaffe selon sa volonté.
Cependant, Göring, promu Reichsmarschall le 19 juillet 1940, est un homme profondément incompétent. Bras droit et dauphin de Hitler, cumulant diverses hautes fonctions, père de la Gestapo et des camps de concentration, il s’intéresse davantage à sa collection d’oeuvres d’art pillées dans les territoires conquis, à la chasse dans sa résidence en Prusse-Orientale et à sa garde-robe, souvent très imaginative, qu’à la guerre aérienne à laquelle il ne comprend pas grand-chose, son compteur personnel étant resté bloqué à 1918.
Logique d’un état totalitaire, il s’entoure de collaborateurs choisis plus pour leur servilité que pour leurs compétences. Comme si cela ne suffisait pas, son grand patron se mêle de tout en faisant croire qu’il peut en remontrer aux spécialistes. Rien d’étonnant à ce que les programmes, les directives et les ordres relèvent souvent de la science-fiction ou du « yaka-faukon ».
Pourtant, celui que les pilotes appellent affectueusement « der Dicke » (le gros) est plutôt populaire parmi les équipages. D’ailleurs, il est assez proche d’eux et les couvre d’honneurs et de décorations. Le divorce entre Goering et les pilotes de chasse s’amorce pendant la Bataille d’Angleterre, quand son incapacité à appréhender la stratégie aérienne l’amène à leur donner des ordres absurdes, puis à les agonir d’injures jusqu’à leur reprocher la défaite face à la RAF, dont il est pourtant en grande partie responsable.

Ordre de bataille de la Luftwaffe

Sur le plan géographique, la Luftwaffe a réparti ses effectifs en cinq Luftflotten (flottes aériennes), dont trois vont participer à la Bataille d’Angleterre :
– Luftflotte 2,Albert Kesselring, QG à Bruxelles (à dater du 17 juillet), contrôle les unités basées dans le nord de la France, en Belgique et aux Pays-Bas;
Luftflotte 3, Hugo Sperrle, QG à Paris, contrôle les unités basées en France occupée, à l’exception de celles qui se trouvent (en gros) au nord d’une ligne Rouen-Paris-Reims;
– Luftflotte 5, Hans-Jùrgen Stumpff, QG à Oslo, contrôle les unités basées dans le nord de l’Europe.
Les chefs de ces Luftflotten sont des officiers assez compétents, bien que Kesselring et Stumpff n’aient été versés dans l’aviation qu’en octobre 1933 et n’aient lamais eu de commandement opérationnel. De toute façon, de par le mode de fonctionnement de l’Armée allemande, leur marge de manœuvre est assez réduite.
Il existe deux échelons intermédiaires entre ces grands commandements et les unités combattantes, les Fliegerkorps et Fliegerdivisionen. Les premiers rassemblent des avions de même spécialité (chasse, assaut), les secondes sont des flottes aériennes réduites, les deux étant généralement concentrés sur un secteur particulier.
Les escadres sont dirigées par des officiers capables et expérimentés, quoique dans l’ensemble plutôt âgés. Les Kommodores participent aux opérations aériennes, ce qui, sur le plan du moral des troupes, est une bonne chose.
À partir de la mi-août 1940, Goering entreprend une cure de rajeunissement au sein des unités de chasse et la « vieille garde » cède progressivement sa place aux jeunes étoiles montantes. Si, pour la propagande, la promotion des as est un bon coup médiatique, le fait qu’ils aient abattu 30 ou 40 avions ennemis n’implique en rien leur capacité à commander 200 ou 300 hommes. Toutefois, certains (Mölders, Galland, notamment) démontreront leur aptitude à des commandements plus élevés.

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