En juin 1943, les U-Boote ont déserté l’Atlantique Nord. Dönitz pense devoir faire face à une crise temporaire qu’il pourra sans doute surmonter. En fait, les Alliés viennent de gagner la Bataille de l’Atlantique.
En 1942, les Alliés ont perdu près de huit millions de tonnes, soit le double de l’année précédente. Pendant les vingt premiers jours de mars, cinq cent mille tonnes sont perdues et, pire, il s’agit de navires ayant navigué en convois. Lorsque les Anglo-saxons se réunissent à la mi-mars 1943 à Washington pour faire le point, ce sont non seulement les objectifs alliés qui semblent remis en cause, mais également le système des convois.
Et puis fin mars, mais plus nettement en avril et mai, les courbes s’inversent, et en juin, il semble que les U-Boote aient déserté l’Atlantique Nord. Ce renversement de situation, qu’aucun camp n’estime définitif, n’est pas un miracle. La bataille, comme on le saura plus tard, est gagnée par la mise en oeuvre coordonnée de la totalité des moyens de lutte, malgré toutes sortes de tergiversations qui ont failli coûter leur victoire aux Alliés. Après la perte de dix-neuf unités en février, Dönitz, parfaitement conscient aussi bien de l’augmentation de ses pertes, que des dégâts infligés au tonnage allié, poursuit la bataille. Certes, les escorteurs sont plus nombreux. Ils peuvent fournir aux convois une double ligne de défense, proche et extérieure. Les U-Boote sont repérés même de nuit grâce au radar, et la bonne organisation du repérage gonio adverse explique probablement le déroutage de certains convois. Mais Dönitz espère compenser l’efficacité croissante de la défense adverse en la submergeant. Ce qu’il est tout près de réussir en mars. Car la technique des meutes est maintenant pleinement opérationnelle. Dönitz dispose d’un nombre de UBoote tel qu’il lui est possible d’engager contre un convoi une quarantaine d’unités.
Les U-Boote sont maintenant ravitaillés en mer par les vaches à lait, (sous-marin ravitailleur), ce qui augmente leur disponibilité opérationnelle de deux à trois semaines. Le petit état-major opérationnel est toujours aussi efficace. Dönitz se plaint, malgré la qualité des décryptages réalisés par le XB-Dienst de ne pas avoir autant de cartes que son adversaire, l’amiral Horton. En matière de décryptage, les deux camps sont alors à égalité. Mais ni les Allemands ni les Alliés ne le savent.
Par contre Dönitz se plaint, à juste titre, de mener sa guerre sans soutien aérien. Ce qui reste vrai, malgré le soutien apporté par Hitler à Dönitz dans ses démêlées avec Göring, peu coopérant. Malgré toutes ces difficultés, le moral de l’U-Bootwaffe est au plus haut, car la victoire semble en vue. L’amélioration de la météo permet à Dönitz d’appliquer à fond, avec une grande efficacité, la tactique des meutes. La bataille atteint alors rapidement son intensité la plus forte de toute la guerre.
La première victime du mois de mars 1943 est le SC121, qui évite cependant la double ligne de U-Boote, répartis sur 400 milles, qui le guettent. Mais la tempête disperse le convoi. Les U-Boote s’attaquent aux traînards. Ils coulent treize navires, soit 60 000 tonnes, du 7 au 11 mars. Le convoi suivant, le HX228 est également attendu par les U-Boote. Mais les Alliés ont une vue assez juste du dispositif allemand pour dérouter le HX228 et le convoi rentrant ON169. Les U-Boote perdent la piste. Mais le décryptage d’un changement de route ordonné au HX228, encore loin des U-Boote, les remet sur sa trace. Le PC de Dönitz se trouve alors confronté à son problème binaire habituel, qui est d’estimer si les Alliés connaissent ou non la position des meutes ; si oui, le convoi sera probablement dérouté, mais ce n’est pas toujours le cas. L’hypothèse choisie dépend du contexte de chaque bataille.
Cette fois-ci, tablant sur l’efficacité des moyens de repérage alliés, le PC de Dönitz estime que les Alliés connaissent la position de la meute Neuland et vont dérouter le convoi. Il n’en est rien, et la meute ne coule que quatre traînards et la frégate Harvester, non sans pertes. La corvette des FNFL l’Aconit coule dans la même journée du 11 mars le U-444 et le U-432. Exploit unique en son genre. La corvette fait ainsi honneur à son nom. L’aconit est en effet une fleur vénéneuse. Les U-Boote sont immédiatement prépositionnés pour le prochain convoi. N’oublions pas que les convois se succèdent dans les deux sens avec la régularité des trains et il ne peut en être autrement.
Les U-Boote de la meute Neuland sont, soit envoyés vers une « vache à lait », soit joints à une autre meute en formation. Avec une autre, ces deux meutes forment une ligne de 500 milles. Une troisième meute, la Raubgraf, est placée plus à l’ouest, pour boucher complètement le trou. La meute Raubgraf se fait leurrer par le groupe d’escorte du convoi ON170, commandé par le capitaine de vaisseau Macintyre, l’un des plus habiles chasseurs de sous-marins. Mais le double convoi HX229 et SC122 a moins de chance. Le convoi est repéré, comme presque toujours, grâce au décryptage des messages nécessaires à l’organisation finale des convois émis au dernier moment. Les meutes Raubgraf, Sürmer et Dränger, soit cinquante-neuf unités, sont redéployées en trois lignes de 200 à 250 milles, et couvrent 200 000 km. Les convois partent le 5 et le 8 mars. La meute Raubgraf est traversée sans que personne, ni du côté allié ni du côté des U-Boote ne se rende compte de quoi que ce soit. Le convoi est retrouvé, les U-Boote regroupés, et l’attaque commence dans la nuit du 16 au 17 mars, dure jusqu’au 19, lorsque le convoi peut enfin bénéficier d’une couverture aérienne. Les U-Boote ont coulé vingt et un navires, soit 141 000 tonnes, en ne perdant qu’une seule unité. Par le nombre des unités concernées et par le tonnage coulé, cette bataille de convoi est la plus importante de toute la guerre. Elle symbolise à elle seule le triomphe des meutes.
La coopération entre Alliés fonctionne bien de telle sorte que le « nettoyage » de l’Atlantique central et Sud est pratiquement définitif à l’été 1944 un an plus tard. Et puis bien sûr, l’efficacité des escorteurs est renforcé par le progrès technique. En mars 1943, le radar centimétrique équipe également certains escorteurs. Le détecteur de radar allemand devient inefficace. La portée du radar passe de 4 000 à 10 000 mètres en surface. Grâce à l’emploi du radiogoniomètre, la détection des U-Boote en surface devient alors très rapide et très efficace. Avec l’avantage d’être un moyen de détection passif, donc non repérable par l’adversaire. En mai, beaucoup de U-Boote sont ainsi repérés alors que, hors de vue d’un convoi, ils émettent leurs rapports au PC de Dônitz. Depuis la fin de 1942, les performances de l’Asdic sont améliorées. La portée atteint 2 milles, et le champ d’exploration est plus vaste et plus directionnel. Les échos sont reportés automatiquement sur une table traçante.
Une arme nouvelle, le mortier anti-sous-marin Hedgehog, équipe progressivement certains escorteurs. Plus dangereux qu’un canon, il tire une grappe de plusieurs obus. La vie des U-Boote devient désormais très dure. Le ravitaillement en mer des groupes d’escorte et de soutien en mazout et grenades sous-marines se généralise. La chasse aux U-Boote n’est plus limitée par le carburant disponible, et peut ainsi durer des heures, alors que la durée d’immersion d’un U-Boot est limitée. Les Alliés peuvent consacrer à l’Atlantique Nord la totalité des escorteurs dont ils n’ont pas besoin dans le Pacifique. Enfin, la bataille de l’Atlantique n’aurait jamais été gagnée par les Alliés sans le décryptage. J. Rohwer, historien allemand de la bataille de l’Atlantique, estime que l’apport du décryptage a été décisif en mars et en avril 43. En effet, 60 % des convois de cette période ont été déroutés avec succès. Seuls, seize des cent soixante-quatorze convois de cette période perdent plus de quatre navires. Il est certain que cette victoire a permis que le débarquement en Normandie ait lieu en 1944. Sinon, que serait-il arrivé ?
On peut aussi estimer que les décryptages ont empêché que les types XXI ne soient mis en service à temps. Les Alliés ne savent alors pas grand chose de ce nouveau sous-marin, mais estiment plus prudent d’éviter de l’affronter. Il est décidé, en 1944, d’entraver leur entraînement en minant la Baltique. La mer devient impraticable pour les nouveaux U-Boote au nombre de deux cent cinquante exemplaires. Le type XXI était pratiquement invincible.