L'affaire Dominici est-elle une erreur judiciaire

jusqu’à présent, l’enquête s’était toujours tournée vers le `vieux », Gaston Dominici, ce paysan accusé d’avoir tué une famille anglaise. Personne ne s’était intéressé aux victimes, les Drummond, et à leur passé .

Que reste-t-il des lieux ?
En 1962, Gaston Dominici confie à la femme de Gustave la vente de la Grand-Terre. Les acquéreurs l’obtiennent pour 40000 F et la transforment en auberge, La Montagnière. Mise en vente en 1995, elle est estimée à 930000 F et achetée à ce prix, en septembre, par la société civile immobilière Manon. Elle est exploitée par cette dernière jusqu’à sa faillite, en 1998, et mise en vente aux enchères pour 400000 F en 1999. Aujourd’hui, la Grand-Terre est totalement à l’abandon, les fenêtres ouvertes à tout vent, le toit d’un bâtiment s’effondre, la barrière de l’entrée est envahie par la végétation. Le champ qui sépare les bâtiments du petit pont de pierre est en friche. Le promeneur aperçoit à l’extrémité ; du parapet, à gauche, un monticule de cailloux blancs avec, plantée au milieu, une très modeste croix de bois, frêle et à peine plus haute qu’une jonquille au printemps.
De la route, on n’aperçoit ni voie ferrée ni autoroute mais seulement le chemin de terre, le pont et le lit de la rivière. L’ensemble est comme une image figée, après qu’eurent retenti six coups de feu dans une nuit d’été.

Le commissaire Sébeille dissimule des preuves

Dans l'affaire Dominici le commissaire Sébeille dissimule des preuves

A l’époque des faits, d’éminents policiers comme le commissaire Chenevier avaient mis en avant la curieuse méthode Sébeille. Cultivant l’aveu, il ne s’intéresse guère aux preuves matérielles au point d’en dissimuler leur existence.
En effet, et à titre d’exemple, le policier marseillais a toujours affirmé qu’aucun relevé d’empreintes de pas n’a été effectué sur les lieux. C’est faux ! Dans le dossier de gendarmerie, figure un relevé photographique et un ensemble de croquis détaillés. Un gendarme précise même que « ces traces semblent avoir été faites avec des chaussures à semelles de crêpe d’une pointure de quarante-deux et demi […j. Ces traces sont très nettes du fait qu’elles sont imprimées dans un terrain sablonneux. »
Si le commissaire Sébeille ment, c’est peut-être parce que cette pointure et ce modèle de chaussure ne correspondent à personne de la Grande Terre. Pour le commissaire Sébeille, la carabine retrouvée dans la Durance appartient à Gaston Dominici et est un souvenir de la Résistance. Il s’agit, une nouvelle fois, d’une hypothèse gratuite. En effet, lorsque le policier découvre l’arme, il démarre une enquête de voisinage pour tenter de trouver son propriétaire. En vain. De même, aucune des cinq mille lettres anonymes épluchées par son équipe ne désigne Gaston Dominici. Mieux encore, interrogeant d’anciens responsables de la Résistance, il apprend que ce type d’arme n’a jamais été parachuté dans le département. De plus, la reconstitution démontre que Gaston ne sait pas se servir de la carabine.
Mais c’est une nouvelle fois dans le dossier que se trouve la preuve de l’innocence de Gaston Dominici. En 1947, la ferme de la Grande Terre est cambriolée. Le voleur est arrêté et avoue avoir dérobé des chargeurs de mitraillette Sten chez les Dominici. La possession d’armes de guerre étant prohibée, la gendarmerie inflige une amende à Gaston, confisque les deux armes et passe la ferme au peigne fin. Si Gaston Dominici avait possédé la carabine US-M1, elle aurait été découverte à ce moment-là.
Un des éléments à charge contre Gaston Dominici sont les accusations de Clovis et de Gustave contre leur père. Tout d’abord, il faut replacer leurs paroles dans leur contexte. La dénonciation du père est faite après 36 heures d’interrogatoire musclé et surtout après quatre cent soixante-cinq jours d’investigation. Gustave a été de nombreuses fois questionné auparavant et n’a jamais impliqué son père. Pourtant depuis plusieurs mois, il est face à une menace prononcée par le commissaire Sébeille : si ce n’est pas lui, c’est forcément le père. Le père est âgé et ne risque rien, tandis que lui aura la tête tranchée. Pour comprendre le geste de Clovis, qui jamais ne reviendra sur ses accusations, il faut s’intéresser à la famille.

Aucune enquête sur les Drumond

Dès l’âge de cinq ans, Clovis contribue par son travail à la réussite de son père. En 1945, lorsque il demande une avance sur héritage, Gaston refuse. Les deux Dominici se disputent et, en 1952, sept ans après, ils sont toujours fâchés. Clovis ne cache pas sa haine envers son père ni son amour pour Gustave. En effet, c’est Clovis qui a élevé son frère de quatorze ans son cadet. Il l’a initié à la vie et le considère comme son fils. C’est sûrement dans cette direction que se trouve l’explication du terrible choix de Clovis : dénoncer le père pour sauver le frère. Quoiqu’il en soit, Clovis a été manipulé par la police. Sinon comment expliquer que dans une lettre à son frère, il annonce à l’avance une prochaine confrontation et lui explique la manière d’y répondre? Des renseignements que ne pouvaient connaître que le commissaire Sébeille ou le juge d’instruction.
Parmi les neuf mille pièces du dossier, très peu soient consacrées aux victimes, les Drummond. Pourtant le passé de Sir Jack Drummond est à l’origine de son assassinat. En effet, en 1914, Jack Drummond rejoint les services secrets britanniques. En 1936, par exemple, il est au cœur de l’Allemagne nazie où il visite des installations chimiques. Jusqu’en 1941, Jack Drummond travaille sur l’empoisonnement des céréales. En 1942, il rejoint l’ambitieux programme allié Paperclip, chargé de récupérer le savoir nazi avant les Soviétiques. En 1952, les Américains, persuadés d’une prochaine offensive de l’Est, décident de faire passer à l’Ouest le plus grande nombre possible de scientifiques allemands et autrichiens.

Le coupable est passé aux aveux

Cette opération, baptisée Projet 63, manque totalement de confidentialité. Aussi les Soviétiques organisent une riposte en pratiquant l’enlèvement et quelquefois l’assassinat de chercheurs alliés. C’est dans ce contexte que Sir Jack Drummond et sa famille ont été assassinées. Le Britannique établissait des Grey List, des listes d’embauches de scientifiques à substituer à l’Est. Si aujourd’hui il est possible d’avancer cette théorie pour comprendre le triple meurtre de Lurs, c’est parce que les véritables assassins sont passés aux aveux !
Le 9 août 1952, soit quatre jours après le crime de Lurs, Wilhelm Bartkowski est arrêté en zone française en Allemagne. Petite frappe récidiviste, il est interrogé par la police allemande sur l’année écoulée. Il va ainsi avouer quatre-vingts crimes et délits. Tous seront vérifiés, tous sont vrais. Ses deux dernières révélations sont des plus intéressantes. Tout d’abord, il raconte l’enlèvement d’un savant atomiste et la livraison de celui-ci aux Tchécoslovaques. Une nouvelle fois, la police allemande confirme ces faits en précisant qu’ils n’ont jamais été divulgués. Mieux encore, le rapport se conclut sur cette sentence sans appel : « II s’agit de toute évidence d’un crime politique comme celui de Sir Drummond. » Car effectivement, le dernier aveu de Bartkowski est sa participation au meurtre de la famille britannique.
Dans un rapport de quinze pages daté du 12 novembre 1952, il raconte le déroulement de la nuit du crime. Il livre aussi le nom et le signalement de ses trois complices, Carlo Solet, Moradis et Roman Moesto. Les autorités germaniques, face au passé de Bartkowski et la richesse de son récit, décident d’informer la France. Le 24 novembre 1952, Charles Gillard, nommé pour contre-interroger Wilhelm Bartkowski, remet son rapport de quatorze pages au ministre de l’Intérieur Charles Brune après en avoir relevé un grande nombre de détails troublants. Pourtant son rapport reste sans suite. Plus grave encore, en 1956, les complices sont arrêtés. Ils avouent le crime de Sir Jack Drummond. Un deuxième rapport, plus complet, est envoyé en France mais aucune suite n’y est donnée.
Pourtant l’Allemand dit vrai, deux détails dans son récit ne trompent pas. Tout d’abord, il raconte qu’un portefeuille a été volé sur une des victimes. Il est vrai que l’on ne trouvera ni argent ni portefeuille sur les Drummond. Mieux encore, Bartkowski précise qu’à l’intérieur se trouvaient des francs français, des dollars américains et des shillings autrichiens, devises présentes dans l’inventaire des affaires des Drummond se trouvant dans leur villa de location. Cette information n’a jamais été publiée.
Enfin, Bartkowski raconte que des bijoux ont été dérobés. Parmi eux, l’un l’intrigue suffisamment pour qu’il puisse le décrire : il s’agit d’une bague gravée sur laquelle est montée une montre miniature. En 1956, la mère d’Ann Drummond, écrit à Scotland Yard et à son avocat français pour se plaindre que, parmi les affaires de famille qui lui ont été restituées, il manque un bijou, plus précisément une bague gravée surmontée d’une montre miniature ! Les assassins retrouvés, le gouvernement français informé dès novembre 1952, l’affaire Dominici devient une affaire d’État. En pleine guerre froide, le gouvernement français préfère sacrifier un paysan plutôt que de dévoiler la vérité. Une vérité à double tranchant puisqu’en plus d’avouer la faiblesse de nos frontières, elle obligeait la France à courir le risque que, en représailles, l’Est dénonce un ou deux cas où les services secrets tricolores avaient agi de la même manière que le commando Bartkowski.

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