Jusqu’au printemps de 1946, les auditions des accusés et des témoins vont se succéder à un rythme étourdissant. Les avocats font de leurs mieux pour minimiser les responsabilités de leurs clients, qui ont eux-mêmes tout loisir de s’exprimer.
A partir du mois de mars, la défense passa à la contre-attaque. Goering se défendit avec habileté, niant toute participation aux atrocités. Sa cônnaissance du parti lui permit de contrer à plusieurs reprises l’avocat général américain Jackson. Sir Norman Birkett, l’assesseur du juge britannique, devait écrire : « On se trouvait indiscutablement en présence d’un personnage doté de qualités diaboliques, habile, adroit, mielleux, capable, plein de ressources. »
On vit Jackson, excédé, jeter ses écouteurs et accuser Goering d’adopter à l’égard de la cour, un air arrogant et satisfait. L’ex-maréchal du Reich était ravi. Il déclara aux autres : « Si vous faites comme moi, vous serez acquittés ! »
Finalement, ce fut l’avocat général britannique, sir David Maxwell-Fyfe, qui réussit à mettre Goering en contradiction avec lui-même. Comment pouvait-il être un des personnages clés de l’État et ignorer l’ordre de Hitler d’exterminer les juifs ?
Les autres accusés furent beaucoup moins brillants. Ribbentrop ne réussit qu’à prouver ses insuffisances et même son insignifiance à côté de Hitler. Keitel parla surtout de son honneur de soldat. Mais il se trouvait tellement compromis dans des actes dégradants que les autres chefs militaires l’évitaient. Speer raconta comment il avait tenté d’introduire des gaz toxiques dans le bunker de Hitler par le système de ventilation. Ce plan fut mis en échec par Hitler lui-même qui fit construire des cheminées autour des gaines de ventilation.
Speer estimait que tous les accusés étaient coupables à des degrés divers : « Si l’Allemagne avait gagné la guerre, ses chefs ne se seraient pas dérobés devant leurs responsabilités. » Cette remarque ne fut pas relevée par les défénseurs des diplomates et des hauts dignitaires, qui estimaient que leurs clients avaient été trahis par le système qu’ils servaient. Seul, le Dr. Schacht bénéficiait d’une position solide. Il avait démissionné avant la guerre, rejoint l’opposition et avait même été emprisonné.
Les chefs de la marine étaient accusés d’avoir pratiqué une guerre sous-marine totale. Les conditions de la lutte n’avaient pas permis de respecter certains « usages » ni de risquer l’existence des bâtiments pour sauver des naufragés. Dônitz et Raeder purent invoquer des ordres britanniques similaires. Quant à Rudolf Hess, il refusa de parler. Rosenberg et Streicher déclarèrent n’avoir jamais eu connaissance des exécutions massives de juifs.
La défense comptait utiliser l’ancien commandant d’Auschwitz, Rudolf Hoess, pour blanchir Kaltenbrunner. Elle obtint le résultat inverse.
D’une voix sourde, Hoess décrivit les étapes du génocide. D’après lui, 2 millions et demi d’israélites avaient été gazés et incinérés à Auschwitz et près d’un million étaient morts de faim, soit, au total, 70 à 80 % de ceux qui avaient été envoyés à Auschwitz.
Un mois entier fut consacré aux grands organismes : cabinet, direction du parti, S.S., S.D., S.A., Gestapo, état-major, haut commandement. Les six premiers furent considérés comme coupables. Mais le problème de la culpabilité militaire se révéla plus délicat. L’armée allemande était habituée à une obéissance inconditionnelle à l’État. Malgré tout, c’est dans les états-majors que se recrutèrent les opposants au Fûhrer. Le tribunal aboutit à une condamnation de principe, mais le grand état-major et le haut commandement ne furent pas jugés coupables.
En fait, le problème de l’obéissance du soldat était particulièrement délicat. La « soumission aux ordres » ne constituait qu’une excuse. Mais les codes militaires américain et britannique prévoyaient, jusqu’en 1944, l’obéissance absolue aux ordres supérieurs.
Les dernières déclarations eurent lieu le 31 août. Goering nia une fois de plus. Toute son activité avait été dictée par son amour du peuple allemand. Les propos incohérents de Hess furent interrompus par le président. Ribbentrop exprima son espoir que les États-Unis et la Grande-Bretagne fussent plus heureux dans leur lutte contre l’U.R.S.S. que ne l’avait été l’Allemagne. Keitel affirma que son loyalisme avait été trompé pour des raisons obscures. Frank implora les Allemands de se tourner vers Dieu. Les autres accusés exprimèrent leur conviction du devoir accompli. Speer annonça les pires catastrophes pour l’humanité si les armes mises au point à la fin de la guerre étaient utilisées dans un troisième conflit.