Le jet de propreté
Versailles n’était pas démunie de commodités, mais en raison du grand nombre de visiteurs, elles étaient insuffisantes. Chaque appartement avait en général son cabinet de la chaise, chaise percée sous Louis XIV et sous Louis XV. A la fin de la monarchie, sous Louis XVI, la chaise anglaise apportait un perfectionnement. Un tuyau amenait l’eau d’un réservoir placé en haut, un autre facilitait l’écoulement. Certains appareils comportaient même, dans l’axe de la cuvette, un jet vertical, le… jet de propreté !
Malgré les consignes, chacun circulait dans le château à son bon plaisir ; les voleurs n’y manquaient pas. Un matin, on déroba à Louis XV son pot de chambre. Car le roi, en dépit de ses gentilshommes, de ses valets, de ses garçons, de ses feutiers, de ses pages, de ses tapissiers, de ses « pousse-fauteuils » est mal servi et mal gardé.
L’étiquette, il est vrai, l’enserre et le régit en tout ce qu’elle a prévu. S’il veut prendre un bouillon, c’est une affaire : la tasse royale arrive des cuisines, au loin, escortée par la force armée ; elle est déposée sur la table de marbre de la salle du conseil, gardée par le premier maître d’hôtel ; le premier échanson goûte le consommé ; le premier médecin de service en fait autant ; puis l’huissier annonce : « Le bouillon du roi ! » : la porte de la chambre s’ouvre, et en cortège tous ceux qui ont les entrées suivent le précieux bol, que reçoit le premier gentilhomme assisté d’un médecin ; alors seulement, le roi peut boire…
Mais pour tout ce que n’a pas réglé le cérémonial, le maître du monde vit comme un étudiant dans sa mansarde ; il allume lui-même son feu. Versailles était glacial au point que l’eau et le vin gelaient dans les verres sur la table royale.
Louis XV avait si froid dans son lit que bien avant qu’il fit jour, il se réfugiait dans son cabinet, échafaudait les bûches et soufflait sur les braises.
Lorsque je me lève, disait-il, avant qu’on soit entré, j’allume mon feu et je n’ai besoin d’appeler personne ; il faut laisser dormir ces pauvres gens, je les en empêche assez souvent.
La reine, malgré les cinq cent soixante-douze serviteurs qui s’empressent autour d’elle (Dussieux les a comptés) a ce qu’on est convenu d’appeler des « ennuis de domestiques ».
Avant-hier, écrit le duc de Luynes, à la date du 15 juillet 1747, la reine, en sortant de table, et se promenant dans sa chambre, aperçut de la poussière sur la courtepointe de son grand lit ; elle le fit dire à Mme de Luynes qui envoya quérir le valet de chambre tapissier de la reine en quartier.
Celui-ci… prétendit que cela ne regardait point les tapissiers, que ce sont bien eux qui font le lit de la reine, mais qu’ils ne doivent point toucher aux meubles, que c’est l’affaire des gens du garde-meuble. Suivant ce raisonnement, non seulement le lit de la reine, mais les sièges et canapés doivent être et sont en effet remplis de poussière, sans que ce soit la faute des valets de chambre tapissiers.
Pour en revenir au vif du sujet, encore que le détail soit un peu délicat, parmi cette nuée de serviteurs inoccupés, il en était un dont l’emploi était singulier : c’était le porte-chaise d’affaires.
Ce titre énigmatique désignait un fonctionnaire qui, chapeau bas, en habit de velours, l’épée au flanc, était, dit le comte d’Hézecques, chargé de dissimuler ces dernières misères auxquelles la nature nous assujettit.
Le porte-chaise entrait au lever du roi, dès qu’on appelait la première entrée ; il passait alors dans la garde-robe, près du lit, pour voir s’il n’y avait rien dans son petit mobilier qui réclamât sa vigilance ou sa sollicitude. C’était là son seul service.
La Faculté « était sa plus déplaisante ennemie et lui faisait passer parfois de mauvais quarts d’heure » ; il est vrai qu’il s’en trouvait bien dédommagé par les vingt mille livres que lui valait sa charge, sans compter qu’il pouvait signer du titre d’officier du roi et traiter ses amis avec de fort beau linge, dont, en admirant la finesse du tissu, on oubliait la destination première.