Les bombes tombent, Berlin tremble. Mais pas Eva. Elle est là, à côté de lui, le Führer, son amour. Le 29 avril 1945, dans son bunker à Berlin, Adolf Hitler épouse sa maîtresse, près de seize ans après leur première rencontre. Eva Braun devient enfin madame Hitler.
Lasse d’avoir, pendant des jours et des semaines, attendu l’homme qui régnait en maître sur tous les faits de sa vie, Eva Braun se logea une balle de revolver près de la carotide et se manqua. Trois ans plus tard, elle devait récidiver, avec aussi peu de succès, en absorbant une dose massive de barbituriques, vingt cachets de Vanodorm.
La mère de la malheureuse Geli Raubal (nièce de Hitler), qui haïssait Eva Braun, la considérait comme une sournoise pimbêche, qui se suicidait périodiquement et, tout aussi périodiquement, se manquait.
Munich, septembre 1929. L’assistante d’Heinrich Hoffmann, photographe du parti nazi, grimpe sur un escabeau pour ranger des archives lorsqu’un certain Herr Wolf fait son entrée dans le studio.
Moustache frétillante et regard de braise sous un large chapeau de feutre noir, le prédateur tombe en arrêt devant les longues jambes de la belle blonde de 17 ans. La quarantaine pontifiante, il monologue sur Wagner, commande des saucisses et de la bière …
Ach ! Sa mèche gominée souligne un air habité et fanatique, qui fait frémir la jeune femme bien plus que ses longs discours. Deux ans plus tard, Eva Braun est l’amante d’ Adolf Hitler.
Malheureuse comme les pierres, mais obsédée par son Führer. Celle qu’il appelle « ma charmante bécasse » l’attend pendant des heures, il la trompe et brouille les pistes qui démontreraient une relation suivie. Hitler tient à sa réputation de leader absolu, libre de toute attache. Mais Eva l’a dans la peau, déterminée à l’alpaguer à tout prix. Elle se coiffe comme Geli, la nièce défunte d’ Adolf, dont il chérit la mémoire sur un mode plus qu’ambigu.
Tenue à l’écart, silencieuse et soumise, Eva Braun allait devenir l’un des secrets les plus jalousement et efficacement gardés du Troisième Reich.
Pendant des années, personne ne soupçonna son existence. Son nom même n’était, pour ainsi dire, jamais prononcé en public. En tout cas, nul ne pouvait l’associer à celui du Führer de l’Allemagne nationale-socialiste. Seuls, quelques rares initiés de la cour hitlérienne la désignaient sous ses initiales : E.B.
Sur l’ordre d’Hitler, les services du protocole du Reich l’avaient, une fois pour toutes, exclue des grandes manifestations et, à plus forte raison, des réceptions officielle, ou alors, elle n’y assistait que de loin, rejetée dans un total incognito, perdue dans la foule ou mêlée à des invités anonymes. Dès que des personnalités de marque pénétraient dans le hall du Berghof, à Berchtesgaden, la règle prescrivait que Fraülein E.B. fût, instantanément, consignée dans ses appartements, avec la seule ressource de photographier de sa fenêtre les visiteurs au télé-objectif, qu’il s’agisse du président américain Hoover, de sir Neville Chamberlain, du duc et de la duchesse de Windsor ou de l’Agha Khan, du roi Carol de Roumanie, du roi de Suède, du prince Paul de Yougoslavie, du roi de Bulgarie, du général français Vuillemin ou du cardinal Eugenio Pacelli, futur Pie XII. (Seul, un jour, Ciano, le gendre de Mussolini, réputé pour ses conquêtes amoureuses et dont, à ce titre, Hitler se méfiait, réussit à entrevoir Eva Braun et posa des questions à son sujet.)
Eva boude en lisant Autant en emporte le vent pendant que son amant organise la solution finale. Elle se dénude pour prendre des bains de soleil alors que les camps de la mort se remplissent.
Ce total déni de la réalité comble Hitler. Du coup, elle est la seule dont il accepte les critiques. Elle se moque de sa « casquette de facteur », lui reproche de n’être pas aussi élégant que Mussolini, claque la porte de son bureau, écoute la musique américaine interdite par Goebbels, consomme viande et alcool que son Führer refuse à table. Il lui pardonne d’autant mieux qu’il ne la satisfait pas sexuellement, car la libido d’Hitler décroît de manière inversement proportionnelle à sa puissance politique. Le monde peut bien s’écrouler autour d’ Eva sans lui arracher un soupir.
Lorsqu’arrive l’inéluctable défaite du Reich, elle se prépare à mourir avec une déconcertante euphorie. Le 28 avril 1945, Hitler l’épouse dans son bunker. Deux jours plus tard, elle se suicide à ses côtés en avalant une capsule d’acide prussique (cyanure), sourire aux lèvres.
Son corps se recroqueville, son monstrueux amant s’achève d’ une balle dans la tête. Hitler appartient à Eva pour l’éternité.