Chevaliers indomptables ou Don Quichotte pathétiques ? La fameuse charge, lance au poing, des cavaliers polonais contre les panzers a servi toutes les propagandes. Sauf que ce combat légendaire n’a pas eu lieu.
Les Polonais n’étaient tout simplement pas si bêtes !
En Pologne la terre s’ouvrait sous les bombes allemandes. Czestochowa, le sanctuaire national, était la proie des flammes. Près de Kutno, à l’ouest de Varsovie, un train d’évacuation rempli de femmes et d’enfants avait été écrasé. Varsovie vivait depuis le matin au son des sirènes. L’ambassadeur de France, Léon Noël, venu presser le colonel Beck de donner son accord à la conférence italienne, arriva au palais Brühl en pleine alerte. Démarche dérisoire au milieu du bombardement.
Toujours les bombes, le samedi 2 septembre. Le bombardement en piqué des stukas : effroi nouveau. La percée foudroyante des blindés : stratégie nouvelle. Les communiqués du front étaient catastrophiques, et le maréchal Rydz-Smigly passait sur son crâne chauve une main tremblante. Il avait imaginé, avec son état-major, le déroulement des opérations suivant le schéma classique de 1914, et la Blitzkrieg prenait l’armée polonaise totalement au dépourvu.
Au nord, la IIIe armée de von Küchler atteignit la position de Mlawa, dont les défenses protégeaient Varsovie, et fit sa jonction avec la Ive armée de von Kluge, prenant en tenaille le corridor de Dantzig. Au centre, la Xe armée de von Reichenau fonçait en direction de la Warta, après avoir parcouru près de cent kilomètres. Au sud, la X IV e armée de List arriva devant Cracovie. Partout, la rupture.
Tous les membres du Parlement polonais s’enrôlèrent. Rydz-Smigly lança un ordre du jour à ses troupes en déroute : « Quels que soient la durée de la guerre et les sacrifices qu’elle entraînera, la victoire finale sera à nous et à nos alliés. »
Churchill rapporte comment les lanciers polonais ont vaillamment chargé une masse grouillante de chars et voitures blindées, mais sans pouvoir leur faire grand mal avec leurs épées et leurs lances. Le général Guderian, lui, dénigre ses adversaires arriérés: « La brigade de cavalerie Pomorska, ignorant la nature de nos chars, les avait chargés avec des épées et des lances et avait souffert de pertes énormes. » Tout cela ne serait qu’un mythe ou une légende…Tout démarre le 1er septembre 1939, en début d’après-midi, aux premières heures d’une guerre qui n’est encore que germano-polonaise.
Alors que La Wehrmacht s’élance à l’assaut du couloir de Dantzig le colonel Mastalerz, commandant du 18e régiment de uhlans de La brigade Pomorska, surprend à découvert, près du village de Krojanty, un bataillon allemand d’infanterie sortant d’un bois. Chargeant sabre au poing, le colonel repousse dare-dare les envahisseurs stupéfaits. Mais avant que les cavaliers ne se réorganisent, surgissent quelques automitrailleuses à croix noires, accompagnées de troupes motorisées. Leur feu, dévastateur, abat une vingtaine de soldats polonais, dont le colonel Mastalerz. Mais les Allemands, échaudés, se méfient…« Le commandant de la 2 division motorisée allemande avertit son supérieur. Guderian, commandant du XIX corps, que son unité est attaquée par la cavalerie polonaise et, face à la pression intense, demande la permission da reculer.
Jusque-là rien d’autre qu’une escarmouche de rencontre, banale en début de conflit. Mais cette minuscule affaire va grossir dans des proportions imprévues grâce à l’apparition fortuite sur les lieux, le lendemain, du correspondant italien Indra Montanelli. Journaliste au Corriere della Serra en dépit de ses opinions antifascistes notoires, ce dernier rapporte comment la cavalerie polonaise a chargé des chars allemands sabre au poing, soulignant son courage et son héroïsme.
L’affaire de Krojanty ne serait sans doute jamais sortie de l’ombre sans un deuxième épisode, qui va donner du corps au mythe. « Le 19 septembre, à Wolka Weglovva, prés de Varsovie, le 14e régiment de uhlans charge l’infanterie allemande pour briser un encerclement. Mais il y a des chars et des mitrailleuses derrière les fantassins. Les Polonais subissent donc des pertes, ce qui ne les empêche pas de percer » Le lendemain, Maria Appelius, correspondant de guerre italien Lui aussi mais fasciste convaincu, décrit à son tour comment ta cavalerie a chargé Les panzers.
L’ affaire est décidément trop belle pour La propagande allemande, ravie de trouver là L’un de ses messages ressassés avant guerre, celui de la supériorité technologique et intellectuelle du Reich sur le barbare polonais.
Dès octobre 1939, la couverture du magazine des jeunesses nazies « Le Mouflet » affiche L’épisode. En 1941, les services de propagande réalisent un film qui met en scène une colonne motorisée chargée par les cavaliers polonais… promptement exterminés par les seigneurs de la Blitzkrieg. Faute d’archives sur les combats de septembre 1939, ces images sont réutilisées dans plusieurs documentaires, où, mélangées à des scènes authentiques, elles gagnent en crédibilité.