Si Goethe a pu parler avec admiration d’« armée de tailleurs et de savetiers » à propos des volontaires républicains de Valmy, celle de l’insurrection vendéenne est une armée de métayers et de tisserands, de meuniers et de sauniers.
À la différence de la chouannerie, encadrée dès le début par des nobles, le soulèvement de la Vendée militaire est éminemment celui du peuple.
Malheur à qui tente de s’opposer à leur colère ! Des patriotes, englobés de force dans la masse, se virent contraints de marcher. Des communes entièrement acquises à la Révolution suivirent bon gré mal gré les communes rebelles. Des enfants de dix à douze ans furent entraînés dans le flot. Un cyclone, un raz de marée, une éruption volcanique.
Bientôt, prenant conscience du cas fâcheux dans lequel ils se sont mis, les insurgés s’aperçoivent qu’ils ne pourront pas, eux de simples paysans, se tirer seuls d’affaire. La stratégie élémentaire des tout premiers jours, marcher sur les petites villes où sont installés les bureaux de recrutement, leur apparaît tout à fait insuffisante. C’est alors qu’ils songent à mettre les nobles de leur côté. Mais les nobles ne se laissent point convaincre sans hésitation. Ils savent la puissance de la Convention et la force des courants qui dans toute une partie du pays entraînent encore les pensées vers la Révolution. Ils se rappellent les échecs de la Proustière en 1791 et de Bressuire en 1792. Ils résistent, puis ils cèdent.
Avec les nobles à la tête des armées l’insurrection prendra un caractère un peu différent. Les nobles gardent intacte leur foi royaliste. A leur contact, il est facile de reconnaître et de comprendre l’évolution rapide des sentiments vendéens. L’horreur de la conscription a mis sur pied la Vendée Militaire, c’est entendu mais dès ses premiers vagissements celle-ci a avoué, elle a crié, son but primordial. La révolte a éclaté pour Dieu.
Aux premières heures du soulèvement, il n’est point question de restaurer la royauté, de venger la mort de Louis XVI, de libérer Louis XVII. L’idée royaliste apparaîtra, le mouvement depuis quelques semaines déclenché. Les insurgés de mars 1793 vont se faire royalistes par intérêt il s’agit, au moyen du trône, de rétablir l’autel. A l’instigation de leurs nouveaux chefs, les nobles, qui savent bien que, pour réussir, la révolte doit s’appuyer sur la royauté, les Vendéens se déclareront royalistes et antipatriotes.
Les habits bleus, ce sont les gardes nationaux. Les Vendéens se savent hors-la-loi. Leurs adversaires les appellent les brigands ; ils adoptent eux-mêmes ce qualificatif qui ne leur semble en rien malsonnant. Mme de Sapinaud, dans ses Mémoires, n’hésite pas à faire usage de ce mot brigands appliqué aux Vendéens. Parfois, cependant, les Vendéens retournent aux Républicains leur compliment et les traitent aussi de brigands.
Tous des brigands, brigands républicains, brigands royalistes. Non seulement la confusion règne dans les mots, mais la division, une division cruelle, règne dans beaucoup de familles. Des nobles vendéens figurent dans les troupes de la Convention : Servanteau de l’Echasserie et son beau-frère, le baron de Douhet, Josnet de la Violais, Baudry d’Asson. frère du chef vendéen, l’Angevin de Beaurepaire dont la dépouille mortelle aura les honneurs du Panthéon, un noble nantais, le major général de la Bourdonnaye ; enfin Duhoux qui commandera une colonne envoyée contre son neveu, le chevalier Duhoux. Comme il y a les deux Baudry d’Asson, il y a les deux Duhoux et les deux Marigny, fort braves également, mais dans des camps différents. Le pays est atrocement déchiré.