Comment les brigands s’organisaient-ils ? Comment organisaient-ils les villes « libérées » ? Comment combattaient-ils ?
Si l’on peut répondre à la troisième question, on glissera sur les deux premières. En effet, l’individualisme des chefs, l’absence d’armée permanente, l’incapacité par conséquent de contrôler, d’administrer et finalement de garder durablement une ville conquise et enfin la brièveté de la période victorieuse des Vendéens ne permirent pas, ni en matière de commandement militaire ni en matière de gouvernement civil des pays conquis, une organisation cohérente et applicable.
Que de pertes, de peines et de souffrances elles ont infligé aux Bleus ces bandes de paysans aussi promptes à déferler par surprise qu’à s’évanouir dans la nature.
Ces hommes robustes, endurcis à la fatigue, craignant le prêtre et le sorcier, attentifs à la messe et à la haute pierre mystérieuse debout au milieu des bruyères, se rassemblent gravement au signal du tocsin.
Ils abandonnent la charrue, prennent du pain pour trois ou quatre jours et se mettent en marche, un chapelet autour du cou, un crucifix sur la poitrine ou l’image de quelque saint. Il en est qui cousent sur leurs habits un Sacré-Coeur en laine rouge et ornent leurs chapeaux de cocardes blanches vertes ou rouges, de feuillages, de papiers multicolores, de plumes et de rubans.
Un prisonnier républicain raconte :
Pendant la marche. un morne silence était observé dans toute la colonne : les soldats portaient leurs chapelets dans leurs mains avec leurs armes, et on n’entendait que les prières qui étaient récitées et le chant des hymnes religieux. Tout cela formait un spectacle très singulier.
On connaît le vêtement. De la paix à la guerre il ne varie pas : la veste ronde, la culotte ample et le vaste chapeau de feutre qui atteint jusqu’à deux pieds de diamètre et qu’on relève par devant pour placer la cocarde et viser plus commodément. Sur le dos un havresac, et surtout le légendaire mouchoir de Cholet. Ecoutons encore Mme de La Rochejaquelein :
On faisait surtout une grande dépense de mouchoirs rouges il s’en fabriquait beaucoup dans le pays et une circonstance particulière avait contribué à les rendre d’un usage général. M. de La Rochejaquelein en mettait ordinairement autour de sa tête, à son cou, et plusieurs à sa ceinture pour ses pistolets. Les mouchoirs rouges devinrent ainsi à la mode dans l’armée : tout le monde voulut en porter.
Cependant quelques compagnies d’élite ont un uniforme, rouge chez Bonchamps, vert chez Royrand. Il y en aura aussi chez Charette en 1796, fourni par les Anglais.
Comme armes, des bâtons, des piques, des faux emmanchées à l’envers, des fourches aiguisées, des couteaux de sabotier et, bientôt, les fusils et les baionnettes prises sur l’ennemi.
Quant à leur force redoutable, il faut la rechercher, dit le général Turreau qui va tant batailler contre eux, dans « un attachement inviolable à leur parti, une confiance sans borne dans leurs chefs, une telle fidélité dans leurs promesses qu’elle peut suppléer à la discipline un courage indomptable et à l’épreuve de toutes sortes de dangers, de fatigues, de privations ».
Fanatisés par leurs prêtres. munis d’une absolution générale, beaucoup regardent le trépas comme un sacrifice léger à leur âme, qui les mène tout droit en Paradis. Ce qui n’empêche pas ces bandes paysannes capables d’élans torrentueux et ravageurs d’être parfois saisies de terribles paniques collectives comme à Cholet en octobre 1793, notamment quand leurs chefs sont blessés ou de découragements soudains quand les opérations s’éternisent.
Turreau nous dit encore : On allait au combat comme à une fête des femmes, des vieillards, des enfants même de douze à treize ans excitaient, partageaient la fureur des soldats.
Ils se groupent par paroisse. Ignorants de l’art militaire, ils avancent sans aucun ordre, surtout au début de l’insurrection. Quand ils sont organisés, ce qui est rarement le cas, sauf chez Bonchamps dont la division est la seule à offrir réellement un aspect militaire, ils marchent souvent sur trois colonnes. Celle du centre destinée à l’attaque est dotée de l’artillerie. Les deux autres progressent en tirailleur, le long des haies, les fusils devant, les faux derrière. Parfois, mais seulement dans les premières semaines de l’insurrection, quand ils s’attaquent à une ville, ils poussent devant eux des prisonniers républicains, comme ils firent à Cholet en mars 1793. Ou bien ces boucliers humains reçoivent la mitraille ou bien ils dissuadent les patriotes.
Au plus dur de Faction, ils se couchent, laissant passer la rafale et se relèvent, bondissant furieusement sur l’ennemi en hurlant « Rembarre ! Rembarre ! » ou en criant « Vive le roi ! ». Quand l’affaire tourne mal on entend « Egaillez-vous les gars ! »
Leurs chefs sont à leur tête, à cheval, les encourageant de la voix et du geste, leur donnant l’exemple par leur bravoure qui compense certaines insuffisances techniques.