Les parisiennes à l'assaut de Versailles en octobre 1789

Au cri de « Nous voulons du pain ! », les femmes du peuple marchent sur le château. Elles en reviennent accompagnées « du boulanger, de la boulangère et du petit mitron »

Le 5 octobre 1789, Marie-Antoinette a le sourire

Le 5 octobre 1789, Marie-Antoinette a le sourire; un sourire qu'elle avait perdu depuis plusieurs mois. Quelques jours auparavant, au banquet des Gardes du Corps, la famille royale a été longuement acclamée

Le 5 octobre 1789, Marie-Antoinette a le sourire; un sourire qu’elle avait perdu depuis plusieurs mois. Quelques jours auparavant, au banquet des Gardes du Corps, la famille royale a été longuement acclamée, à commencer par la souveraine elle-même. Il y avait longtemps qu’elle n’avait plus entendu ces cris de «Vive la reine !» qui la réconfortent et la rassurent, comme la rassure la venue à Versailles du régiment de Flandres, qui pallie la défection des gardes-françaises. C’est donc l’esprit serein qu’en cet après-midi d’automne Marie-Antoinette s’attarde à Trianon. Et voici qu’apparaît un officier, la mine défaite : Madame, le peuple de Paris marche sur Versailles.
Comment expliquer ce regain de fièvre ? La pénurie provoque un mécontentement qu’alimentent des rumeurs plus ou moins fantaisistes: « Versailles regorge de pain alors qu’on en manque à Paris !… La reine s’offre des repas somptueux… » Il n’en faut pas davantage pour soulever la colère populaire.

Les parisiennes à l'assaut de versailles

Dans la nuit du 4 au 5 octobre, des femmes se groupent dans le quartier Saint-Antoine et se mettent en marche vers Versailles

Dans la nuit du 4 au 5 octobre, des femmes se groupent dans le quartier Saint-Antoine et se mettent en marche avec un mot d’ordre: «Nous partons pour Versailles chercher du pain !»
Elles sont bientôt plusieurs centaines. Des hommes qui, pour la circonstance, ont revêtu des vêtements féminins, se sont joints au cortège. Un témoin commente les raisons de cet insolite travestissement : « On se déterminait plus difficilement à repousser des femmes par la force armée.»
A mesure que le temps passe, une abondante consommation de vin aidant, le ton monte chez les manifestantes. Avant de se diriger sur Versailles, la troupe force le magasin d’armes de l’Hôtel de Ville et le pille. Pendant qu’elles y sont, elles mettent la main sur les réserves d’argent de la municipalité. Maillard, un jeune clerc d’huissier, a pris la tête de la manifestation et s’efforce de contenir ses débordements.
A Sèvres, une pluie violente s’abat sur les mégères. Aux passants, interloqués, l’une d’elles lance: «Voyez comme nous sommes arrangées ! Mais la bougresse nous le paiera.»
La «bougresse», c’est évidemment Marie-Antoinette, rendue responsable de l’inclémence du temps.
Ces désirs sont clamés une nouvelle fois lorsque le cortège arrive devant l’hôtel des Menus-Plaisirs, à Versailles, où siège l’Assemblée. Déchaînées, les femmes envahissent la salle des séances. Certaines ôtent leurs bas et leurs jupes pour les faire sécher, tandis que revient sans cesse le même cri: «Du pain ! Du pain!» La confusion est à son comble; l’une des manifestantes embrasse à pleine bouche les membres de l’Assemblée y compris l’évêque de Langres, qui n’en demandait pas tant. En revanche, Mirabeau, toujours attiré par le beau sexe, ne se fait pas prier pour fraterniser. Afin de calmer les esprits, Monnier, le président de l’Assemblée, décide de se rendre auprès du roi et de l’informer sur la situation critique de Paris. Une dizaine de femmes l’accompagne.
Louis XVI accepte de recevoir Monnier ainsi que deux ouvrières, Louison Chabry et Françoise Rotin. Lorsqu’elle se trouve devant le roi, la jeune Louison s’évanouit. Celui-ci la ranime et lui promet de veiller au ravitaillement de la capitale, puis il sort sur le balcon, accompagné de la petite ouvrière. Il est ovationné par la foule.
Il semble que la promesse royale a calmé les esprits ;une délégation des manifestantes est envoyée à Paris afin d’annoncer la bonne nouvelle. Au même moment, la garde nationale de la capitale, conduite par La Fayette, parvient devant le château. Toujours aussi imprudent, le général demande au roi de renvoyer les Gardes du Corps et de confier sa sécurité et celle de sa famille aux gardes-françaises qui, un mois avant, avaient déserté leur poste. Louis XVI accède à la demande puis, l’esprit tranquille, va se coucher en recommandant à Marie-Antoinette d’en faire autant.

Sauvez la reine ! On vient pour l'assassiner !

Sauvez la reine ! On vient pour l'assassiner !

Il était 2 heures passées, le 6 octobre, à l’aube. Quelques émeutiers aperçurent une grille laissée entrouverte. Ils pénétrèrent dans la cour des princes et le jardin. En un instant, ils furent plusieurs centaines qui s’engouffrèrent dans le grand escalier. Ils assaillirent un garde du corps en faction devant la porte des appartements. On l’entendit crier :
Madame, sauvez la reine ! On vient pour l’assassiner !
On le massacra. De salle en salle, les émeutiers progressaient vers la chambre de Marie-Antoinette, blessant ou tuant les gardes qui résistaient. La reine avait trouvé refuge auprès du roi. Mme de Tourzel, nouvelle gouvernante des Enfants de France, y avait conduit le dauphin et sa soeur aînée. Les derniers fidèles entouraient la famille royale! A la tête des gardes françaises, Vaudreuil repoussa les émeutiers et leur arracha les gardes du corps prisonniers ou blessés.
Lorsque La Fayette reparut au château, flanqué de son brillant état-major et des quatre commissaires de la Commune, il y avait une heure que l’ordre était rétabli… Mais enfin le château restait cerné par l’émeute ; on pouvait craindre à tout instant que l’assaut ne fût donné. Mme Campan affirme que le duc d’Orléans avait été reconnu, à 4 heures et demie du matin, au haut de l’escalier de marbre, bien qu’il fût en redingote sombre, avec un chapeau sur les yeux : il montrait le chemin aux émeutiers. Si ce n’était le futur Philippe Egalité, ce pouvait être un de ses affidés.
La foule réclamait la reine. Elle parut au balcon, plus morte que vive, avec son fils et sa fille. On cria : « Pas d’enfants ! » Ce cri, parti des premiers rangs, équivalait à un arrêt de mort. On retira le dauphin et sa soeur. Marie-Antoinette resta seule sur le balcon, offerte à la haine du peuple, en paiement des fêtes de Versailles, des robes de Rose Bertin, des pensions de Lamballe et de Polignac, des délices de Trianon et de sa fidélité à Joseph II. Le courage de l’Autrichienne impressionna la foule. Si l’on avait armé des fusils, comme il est probable, ils ne partirent pas. La Fayette et le roi parurent enfin.
« A Paris ! A Paris ! » criaient les poissardes et leurs compagnons.
Louis demanda silence et dit :
Mes enfants, vous voulez que je vous suive à Paris, j’y consens, mais à condition que je ne me séparerai pas de ma femme et de mes enfants. II fut acclamé. Partout retentissaient les cris de Vive le roi et Vive la nation! En signe de réjouissance, il se fit une décharge générale de tous les fusils.

La famille royale quitte Versailles et marche vers Paris

Cette marche, qui préfigure la marche au supplice du couple royal, va durer sept heures.

Quelques heures plus tard, la famille royale quitte Versailles; elle n’y reviendra jamais plus. Sinistre présage, le carrosse royal est précédé d’une avant-garde arborant comme un trophée les têtes de deux gardes du Corps. Autour du carrosse, des femmes lancent aux passants :
« Nous ramenons le boulanger, la boulangère et le petit mitron. Ils nous donneront du pain ou ils verront ! »
Cette marche, qui préfigure la marche au supplice du couple royal, va durer sept heures. Il fait nuit noire quand on atteint la barrière de Chaillot. Le maire de Paris, Jean-Sylvain Bailly (qui lui aussi sera guillotiné ) prononce des paroles officielles d’une ironie involontaire : «Quel beau jour, Sire, que celui où les Parisiens vont posséder Votre Majesté et sa famille ».
Après un détour par l’Hôtel de Ville, le roi et les siens arrivent enfin au palais desTuileries. Louis XVI, optimiste selon son habitude, pense qu’en regagnant la capitale il a donné au peuple un gage de satisfaction et a coupé les ailes de la révolution. Il ne se doute pas qu’il vient de faire un premier pas vers l’échafaud

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