Louis XVI humilié ne cède pas (20 juin 1792)

Vieux symbole de la liberté dont se paraient sous l’Antiquité les esclaves affranchis, le bonnet phrygien apparut en France en août 1789 dans un projet d’enseigne pour un drapeau de la garde nationale. Vingt mois plus tard, le bonnet rouge devenait l’emblème de la Révolution.
Les soldats révoltés du régiment de Châteauroux, graciés par la Législative, l’arborèrent le jour de la fête donnée en leur honneur.
En ce printemps de 1792, ce bonnet symbolique était déjà très à la mode.
Le premier membre des jacobins qui se présenta au Club coiffé du bonnet de la liberté fut le girondin Grangeneuve (14 mars 1792). Cette apparition de l’emblème révolutionnaire provoqua des applaudissements, qui redoublèrent lorsque le président Thuriot posa à son tour le bonnet sur sa tête.
Quelques jours plus tard, le général Dumouriez, nouvellement promu ministre et venu rendre visite au fameux club, monta à la tribune en arborant le couvre-chef écarlate. Il fut acclamé, mais Robespierre, peu désireux de poser le bonnet couleur de sang sur ses cheveux soigneusement poudrés, manifesta son mécontentement en s’élevant contre le port abusif de la coiffure phrygienne.
La mode du bonnet révolutionnaire continua à s’étendre. Le 20 juin, aux Tuileries, le roi lui-même fut contraint par les émeutiers de s’affubler du couvre-chef rouge.
La monarchie disparue, tous les tape-dur, tous les carmagnoles de la République arborèrent triomphalement la coiffure patriotique.

Le bonnet rouge et Louis XVI, aux Tuileries, en 1792

Un homme offre un bonnet rouge à Louis XVI qui le met sur sa tête en 1792 aux TuileriesVers lui s’avance un homme qui lui présente un bonnet rouge au bout d’un bâton. Mouchet le prend et l’offre à Louis qui le met sur sa tête, geste regrettable, que le roi n’eût jamais dû faire. Le peuple applaudit, criant Vive la nation et même Vive le roi !
La chaleur dans la haute salle où se pressent plusieurs centaines de personnes est devenue affreuse. Le roi sue à grosses gouttes. Un grenadier, une bouteille et un verre dans les mains, s’approche de lui.
Sire, dit-il avec une familiarité d’ailleurs respectueuse, vous devez avoir bien soif. Car moi, je meurs. Si j’osais vous offrir… Ne craignez rien, je suis un honnête homme, je boirai le premier, si vous le permettez.
Oui, mon ami, répond Louis.
Et, s’humiliant à nouveau de la façon la plus inutile, il lève son verre : Peuple de Paris, je bois à votre santé et à celle de la nation française !
Pour récompense, dans la cohue, des plaisants crient : Le roi boit!
Il est six heures. Un remous se produit dans la foule, on fait place au maire de Paris, Pétion, qui s’excuse de venir si tard : Sire, je viens d’apprendre à l’instant la situation où vous êtes…
Mensonge évident; Pétion est derrière l’émeute. Le roi le toise. Il y a ainsi chez lui de curieuses alternances d’abandon et de dignité. C’est bien étonnant, dit-il, car voilà déjà deux heures que cela dure.

Louis XVI ne cède pas devant la foule

Pétion pense que cela a assez duré. L’abaissement du roi doit suffire pour qu’il se résigne maintenant à retirer son veto. Peut-être aussi ont-ils quelque pitié. Chez tous ces hommes les sentiments sont si complexes! Pétion se fait hisser sur les épaules de deux grenadiers.
Citoyens, dit-il, vous venez de présenter votre vote au représentant héréditaire de la nation. Vous ne pouvez aller plus loin. Le roi ne peut ni ne doit répondre à votre pétition présentée à main armée. Le roi verra dans le calme et la réflexion ce qu’il a à faire.
Le peuple approuve, mais ne s’en va pas. Un escogriffe blond continue de protester contre le veto, de réclamer le rappel des ministres girondins. Et il ajoute, tourné vers le roi : La sanction des décrets, ou vous périrez !
Exténué, pourtant Louis XVI ne cède pas : Vous vous écartez de la loi, murmure-t-il.
Pétion flatte l’émeute pour faire enfin évacuer la salle : Vous avez agi avec la fierté et la dignité des hommes libres. Mais en voilà assez, que chacun se retire…
Les portes des appartements ont été ouvertes pour ménager une issue par l’intérieur du château. Grâce à quelques gardes nationaux de bonne volonté qui forment la haie, la foule commence de défiler. Des têtes chaudes s’attardent encore, répétant : Nous attendons la réponse du roi!
Mais le courant les entraîne. Une députation de l’Assemblée arrive qui empêche de nouveaux arrivants de pénétrer. Le roi peut alors se glisser chez lui. Son supplice n’a pas duré moins de quatre heures.
En s’écoulant par la chambre de parade, le peuple lance des quolibets :
Est-ce là le lit du gros Veto ?
Monsieur Veto a un plus beau lit que nous !
Il passe ensuite par le cabinet du roi et, de là, dans la salle du Conseil où la reine est restée avec ses enfants, quelques amis et serviteurs. Des gardes nationaux voulant la protéger, Santerre qui survient les écarte :
Faites place, pour que le peuple entre et voie la reine… Et, tourné vers elle : Vous êtes trompée, madame, le peuple ne vous veut pas de mal! Elle répond : Je ne suis ni trompée ni égarée; on ne craint rien lorsqu’on est avec de braves gens.

Portes brisées et parquets souillés

Marie-Antoinette et Louis XVI devant le peuple de Paris aux Tuileries

Santerre se place à côté de la reine. Seule la table du Conseil les sépare du flot roulant des émeutiers. Le dauphin est assis sur cette table devant sa mère. Elle l’a coiffé lui aussi d’un bonnet rouge qui lui descend jusqu’aux yeux et sous lequel il étouffe.
Otez le bonnet à cet enfant ! dit Santerre après un moment. Vous voyez bien qu’il a trop chaud… La reine le prend et le garde à la main. Droite, le visage levé, elle fait bonne contenance.
Regardez la reine et le prince royal ! répète Santerre, comme un montreur de foire…
Et pourtant Santerre lui-même est ému. Il ne peut s’empêcher, pendant cette affreuse revue, de se pencher vers la reine et de murmurer à son oreille :Ah ! madame, vous avez des amis bien maladroits ! D’autres vous serviraient mieux.
Est-ce une offre? Peut-être. Mais, dans une telle extrémité, comment croire encore à un secours? La malheureuse n’ose pas répondre, et sans doute a-t-elle tort.
Survient Pétion, le fourbe à molle figure qui plus que personne est responsable de la journée. Il engage la foule à partir. Elle ne se presse guère; ce n’est qu’à la nuit tombante, que le château est vide.
La famille royale se réunit en pleurant. Louis, apercevant dans une glace le bonnet qui l’affuble encore, l’arrache avec dégoût et le foule aux pieds. Une députation de l’Assemblée arrive pour constater l’état du château. La reine l’accompagne, lui montre les portes brisées, les meubles salis, les parquets souillés. Elle-même semble un spectre. Ses cheveux sont défaits, la poussière couvre ses joues. Un député républicain, Merlin de Thionville, ne peut cacher son trouble.
— Vous pleurez, monsieur ? dit Marie-Antoinette, surprise.
Oui, madame, répond le député, je pleure sur les malheurs d’une femme belle, sensible et mère de famille, mais je ne pleure pas sur la reine. Je hais les rois et les reines.
Elle soupire et se détourne… 

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