En septembre 1941, la situation paraît si désespérée sur le front de l’Est que Churchill exige l’envoi régulier de navires marchands tous les dix jours : désignés par un chiffre précédé du code PQ à l’aller et QP au retour, ces convois sont d’abord bien modestes.
Au mois d’octobre, la mission anglo-américaine Beaverbrook-Harriman accepte à Moscou les demandes considérables du gouvernement soviétique aux abois. Dès le 21 août, un premier convoi fortement protégé a quitté l’Écosse pour Arkhangelsk. A la fin de l’année, 48 bâtiments alliés, en 13 convois, ont déjà emprunté la route du cap Nord et ont débarqué 2 373 véhicules, 481 chars, 705 avions, près de 87 000 tonnes de munitions et 25 000 tonnes d’essence de haute qualité. Ces premiers passages n’ont pratiquement entraîné aucune réaction de l’ennemi ; un seul cargo a été perdu. Mais les convois font l’expérience des terribles conditions climatiques de l’Arctique.
Au nord du cercle polaire, le mauvais temps règne en permanence et cette région mérite bien le nom de « chaudière aux tempêtes ». En hiver, dans une nuit pratiquement ininterrompue, la route, délimitée par la banquise qui descend à moins de 250 milles du cap Nord, passe au sud de Jean-Mayen et de l’île de l’Ours. D’énormes lames balaient les ponts et les superstructures des navires, bientôt recouverts d’une carapace de glace qui bloque les tourelles, paralyse les armes et compromet la stabilité des bâtiments. L’été, le pack recule vers le nord ; une clarté perpétuelle rompt l’alternance du jour et de la nuit. Mais le temps n’en reste pas moins capricieux ; de brusques refroidissements succèdent à de courts réchauffements accompagnés d’une brume épaisse à couper au couteau. L’île de l’Ours bat le record du brouillard avec 300 jours par an.
A leur arrivée, les équipages, épuisés, font connaissance avec les installations primitives des ports russes. En principe, les Alliés disposent des ports de Mourmansk et d’Iokanka, au nord de la presqu’île de Kola, d’Arkhangelsk et de Molotovsk, en mer Blanche. Seuls, les deux premiers sont accessibles toute l’année. Dès le 12 décembre 1941, le détroit de Gourlo est bloqué par la banquise malgré les efforts désespérés des brise-glaces. A Mourmansk, les déchargements traînent en longueur. Si l’attaque allemande du général Dietl, lancée à partir de Petsamo, a échoué, le port n’en est pas moins soumis aux raids incessants de la Luftwaffe.
Au début de 1942, les conditions militaires changent brutalement. Le commandement allemand dirige vers le nord de la Norvège de puissantes forces aéronavales. La route de Mourmansk va devenir, pour la Royal Navy, un véritable calvaire. En janvier 1942, Hitler manifeste un intérêt particulièrement vif pour le théâtre nordique. A la suite de raids de commandos, il redoute un débarquement britannique en Norvège, qui ébranlerait les positions allemandes en Scandinavie ; la Suède pourrait alors réviser son attitude et cesser ses exportations de minerai de fer à destination de la Ruhr ; quant à la Finlande, alliée de l’Allemagne, sa position deviendrait délicate. Enfin, l’occupation du nord de la Norvège faciliterait le passage des convois de l’U.R.S.S. Or le Führer veut maintenant interdire à tout prix la route du nord. Il n’est pas question de laisser la Russie, qui a perdu la moitié de son potentiel industriel, bénéficier des ressources de l’arsenal anglo-saxon.
Malgré les réticences de Doenitz qui commande la flotte sous-marine, le grand amiral Raeder dirige une vingtaine d’U-boote dans l’Arctique. En même temps, il décide de concentrer à Trondheim et à Narvik le gros des forces de surface allemandes, qui n’auront plus rien à redouter de la menace aérienne.
C’est ainsi que l’escadre de Brest reçoit l’ordre de regagner la mer du Nord ; l’opération est un brillant succès tactique. Mais le Scharnhorst et le Gneisenau sont endommagés en mer du Nord par des mines et doivent subir de longues réparations. Quant au Prinz Eugen, en route vers Trondheim, il est torpillé par un sous-marin anglais, ce qui entraîne encore une sérieuse immobilisation. Toute fois, le croiseur lourd Hipper, le cuirassé de poche Scheer réussissent à gagner la Norvège où ils sont rejoints par le navire de ligne Tirpitz, frère du Bismarck. L’arrivée de cette formidable unité dans l’Arctique va peser lourd dans la stratégie navale.
Enfin, Goering accepte de transférer dans l’extrême nord de puissantes escadres aériennes. Au mois de mai, plus de 260 bombardiers, avions torpilleurs ou chasseurs sont basés sur les aérodromes de Petsamo, Kirkenes, Banak, , Tromsô et Bardufoss. Leur rayon d’action s’exerce jusqu’à l’île de l’Espérance et au sud du Spitzberg.
L’apparition de ces forces allemandes dans un théâtre jusque-là délaissé constitue pour la Royal Navy une nouvelle et terrible servitude. Ses forces, engagées dans l’Atlantique, en Méditerranée ou dans l’océan Indien, sont alors tendues à l’extrême. Depuis les désastres de la fin de 1941, elle manque de navires de ligne et de porte-avions, tandis que la pénurie d’escorteurs reste dramatique.
Dans ces conditions, au début de 1942, l’Amirauté met au point un système de protection des convois de l’Arctique dont l’importance décroît d’ouest en est. Les convois se rendant en U.R.S.S., baptisés PQ, disposent d’une escorte directe, contre sous-marins et avions, composée de chalutiers de haute mer et de destroyers obligés de ravitailler en mer, en particulier en été quand le pack remonte vers le nord. A l’entrée de la mer de Barents, une partie de l’escorte fait demi-tour et prend en charge, jusqu’en Islande, les convois de retour, baptisés QP. Des bâtiments russes assurent alors la protection du convoi jusqu’à l’entrée du golfe de Kola. Une escorte rapprochée préserve encore les convois de type PQ des croiseurs ou des grands destroyers de l’ennemi ; elle comprend le plus souvent deux croiseurs et plusieurs destroyers.
Enfin, la Home Fleet, basée à Scapa Flow assure, dans le nord-est de l’Islande, une couverture éloignée. Sa tâche est double et terriblement ardue. Elle doit d’abord assurer la sécurité des convois contre les navires de surface allemands et en particulier contre le Tirpitz. La présence de ce seul bâtiment l’oblige à conserver trois navires de ligne récents pour en avoir deux perpétuellement disponibles. Le Tirpitz, par sa vitesse, sa protection et son armement (huit pièces de 380), surclasse en effet les récents cuirassés britanniques de la classe King George V armés de canons de 357.
Les convois de mars passent encore facilement, sous la protection de la nuit polaire. Les Allemands mettent au point leur dispositif et expérimentent différentes tactiques. C’est ainsi que, le 6 mars, le Tirpitz exécute sa première sortie et tente d’intercepter le PQ- I 2 repéré par l’aviation. Mais, à peine sorti de Trondheim, le navire de ligne est signalé par un sous-marin britannique et la Home Fleet se lance à sa recherche. Pendant deux jours, on tente vainement, des deux côtés, d’atteindre son objectif à travers les bourrasques de neige et le brouillard qui paralysent toute reconnaissance aérienne. Le 8 mars, à un moment donné, les deux groupes et le convoi occupent les sommets d’un triangle de 80 milles de côté…
Le lendemain, un appareil du Victorious repère le Tirpitz en route vers sa base. Douze « Albacore » équipés de torpilles sont immédiatement lancés contre le cuirassé. L’attaque est gênée par un vent violent et se heurte au feu d’enfer de la D.C.A. du bord. A pleine vitesse, le capitaine de vaisseau Karl Topp manœuvre son navire comme un destroyer. Le Tirpitz évite toutes les torpilles et abat deux avions.