Le 21 mai 1942, appareille le PQ-16, plus grand convoi jamais envoyé à Mourmansk jusque-là : 35 navires marchands accompagnés par 6 destroyers, 4 corvettes, un navire de DCA et un dragueur de mines. Deux groupes de soutien, constitués de croiseurs et de destroyers et même du porte-avions HMS Victorious, croisent à distance en cas de besoin.
A la fin de mars, la situation s’aggrave sérieusement. Indépendamment des tempêtes, du brouillard ou des glaces dérivantes qui obligent 16 cargos sur 24 du PQ-I4 à rebrousser chemin, les attaques allemandes, conduites par des destroyers, des sous-marins et de l’aviation, gagnent en intensité et en précision. Les convois PQ-13, 14 et 15 perdent quinze navires, dont une partie est coulée par la Luftwaffe. La marine britannique perd en outre deux beaux bâtiments : les croiseurs Edinburgh et Trinidad. L’Edinburgh, qui escorte un convoi de retour, est atteint, en mer de Barents, de deux torpilles lancées par l’U-456.
Quant au Trinidad, il a d’abord été endommagé d’une façon peu orthodoxe en assurant l’escorte du PQ-13 : au cours d’une attaque de destroyers allemands, il a été atteint par une de ses propres torpilles qui, après avoir décrit une trajectoire aberrante, est revenue le frapper ! Gravement touché, le navire réussit à atteindre Mourmansk. Quinze jours plus tard, sommairement réparé, le Trinidad tente de regagner l’Angleterre. Repéré le 14 mai, il repousse deux violentes attaques de la Luftwaffe. Mais, à 2 h 40, il’ est atteint par plusieurs bombes qui déclenchent de violents incendies. Il faut l’achever après avoir recueilli tous les survivants.
La perte de ces deux magnifiques unités est un avertissement pour l’Amirauté et pour l’amiral Tovey, commandant la Home Fleet. La disparition de la nuit supprime toute protection pour les convois et facilite la tâche de la Luftwaffe, que ce soit dans ses redoutables attaques à la bombe ou à la torpille ou dans l’éclairage et la protection d’une sortie des bâtiments de surface. Le Premier Lord de l’Amirauté et le commandant de la Home Fleet déclarent nettement qu’il faut interrompre les convois jusqu’à l’automne.
Le premier ministre se heurte en même temps aux sollicitations des Russes et des Américains. Staline lui demande de « prendre toutes les mesures possibles pour assurer l’arrivée en U.R.S.S., au cours du mois de mai, du matériel mentionné, car il a une importance extrême pour le front russe ». Les Allemands sont, en effet, à la veille de lancer leur grande offensive d’été. Roosevelt, de son côté, est bien décidé au maintien des convois. L’U.R.S.S. occupe dans la stratégie américaine une place considérable : l’armée Rouge retient et use le gros des forces allemandes. En cas de paix séparée avec les Soviétiques, hantise de certains conseillers du président, il sera pratiquement impossible de vaincre les puissances de l’Axe. Dans l’absence de second front, il n’y a qu’une façon pour les États-Unis et la Grande-Bretagne de prouver à Staline leur bonne volonté, c’est de faire parvenir en U.R.S.S. les approvisionnements demandés. Pour renforcer la Home Fleet et montrer l’importance qu’il accorde aux convois de l’Arctique, Roosevelt envoie à Scapa Flow ses deux plus récents navires de ligne, le Washington et le North Carolina, escortés de deux croiseurs et d’un porte-avions. En même temps, il presse Churchill d’accélérer la rotation des convois ; près de cent cargos, pour la plupart venus des États-Unis, embouteillent les ports d’Islande.
Churchill soumis à des pressions contradictoires, malgré les risques et la pénurie d’escorteurs qui entraîne un allégement inquiétant de la défense des routes de l’Atlantique, décide de maintenir les convois de Mourmansk pendant l’été, mais selon le rythme habituel. « Trois convois tous les deux mois, de 25 à 35 navires, c’est, comme l’expérience l’a démontré, l’extrême limite de nos possibilités », écrit-il à Roosevelt.
Bref, les raisons politiques et stratégiques commandent. Le PQ- 16 appareille d’Islande le 21 mai. C’est le premier des « convois de la mauvaise chance ». Il compte 35 bateaux, nombre inhabituel, et son escorte directe ne comprend pas moins de 4 chalutiers de haute mer, 5 corvettes et 5 destroyers. Le 25 au matin, le convoi se trouve à 20 milles au sud-est de Jean-Mayen ; il est rejoint par les 4 croiseurs de l’amiral Burrough, accompagnés de 3 destroyers. La Home Fleet assure la couverture habituelle au nord-est de l’Islande. Au cours de la journée, le premier avion de reconnaissance allemand fait son apparition.
La première attaque menée par les « Stuka » commence le même jour à 20 h 30. Le convoi navigue en huit colonnes, ce qui donne une forte concentration de feu. Douze Junkers-88 attaquent d’abord ; deux sont abattus ; sept avions torpilleurs prennent la suite. Le péril est suffisamment grave pour que le commandant du convoi décide d’envoyer contre eux le chasseur de l’Empire Laurence. Avec la pénurie de porte-avions, ce n’est qu’une solution de fortune. L’avion, catapulté d’un cargo, ne peut effectuer qu’une seule mission ; le pilote a le choix entre un amerrissage de fortune ou un saut en parachute avec l’espoir d’être rapidement repêché dans ces eaux glaciales. L’appareil du capitaine Hay abat un bombardier et en endommage un autre ; mais, au retour, il est pris pour un avion allemand : la D.C.A. se déchaîne et le malheureux « Hurricane » s’abat en flammes.
Le 26, à l’aube (ce qui ne veut plus dire grand-chose à cette latitude), un sous-marin torpille le cargo Syros ; il a réussi à franchir l’écran de destroyers dont les sonars sont perturbés par la température inégale des couches d’eau de l’Arctique. Tout le reste de la journée, les sous-marins multiplient, sans succès, les tentatives. C’est le 27, à partir de 4 heures, que la Luftwaffe apparaît en force. Bombardiers en altitude, « Stuka .», avions torpilleurs attaquent de tous les côtés. Les navires ripostent de toutes leurs pièces, rageusement. Deux cargos sont bientôt coulés ; à 14 heures, six avions s’en prennent à l’Empire Laurence, qui se désintègre au milieu de violentes explosions.
L’attaque se poursuit ; le City of Joliet est touché ; il coulera le lendemain. Le cargo Empire Baffin disparaît ensuite. Un chapelet de bombes s’abat sur le destroyer polonais Garland; la première bombe explose dans l’eau, mais trois autres éclatent en l’air, à la verticale du navire ; les superstructures sont hachées par les éclats, tandis que les servants des pièces de D.C.A. sont atrocement déchiquetés. Quarante-trois tués et blessés seront débarqués à Mourmansk. Enfin, le pétrolier soviétique Stari Bolchevik brûle. Son équipage, composé en partie de femmes, refuse de l’abandonner et réussit à le sauver.
Après une interruption de quelques heures, les Junkers-88 reviennent à la charge dans la soirée. Le transport de munitions Empire Purcell est atteint de deux bombes. Il connaît le sort des navires de ce genre et saute dans un bruit assourdissant, au milieu d’immenses flammes orange. Avant de disparaître, les « Stuka » coulent encore le Lowther Castle.
Le 28, trois destroyers russes se joignent à l’escorte et aident à repousser d’ultimes attaques allemandes. « Réduits en nombre, délabrés et las, mais tenant toujours parfaitement leur poste », les navires font leur entrée dans le golfe de Kola.
Dans les deux camps, on tire aussitôt les enseignements de l’opération. Du côté allemand, l’attaque du PQ-16 a révélé les possibilités de la Luftwaffe, d’autant plus que les rapports des pilotes sont empreints d’une nette exagération ; en revanche, les sous-marins sont handicapés par l’absence d’obscurité. Il ne leur est pas possible de recourir à leur tactique habituelle : les attaques en « meutes », en surface et de nuit. Enfin, la maîtrise aérienne sur la mer de Barents donne de larges possibilités d’intervention aux bâtiments de surface à l’est du méridien du cap Nord.
L’Amirauté britannique, grâce à son service de renseignements, est avertie de cette nouvelle tactique allemande qu’elle avait toujours redoutée. Le Premier Lord, l’amiral Dudley Pound, ne cache pas ses appréhensions ; il ne se gêne pas pour affirmer qu’à la place du commandement allemand, il se ferait fort d’interdire la route de Mourmansk !