Deux hommes, engagés volontairement dans un duel à mort. Pour la gloire, pour l’exploit. A la seule fin de distraire des dizaines de milliers de personnes venues les voir mourir.
Une institution sans équivalent dans l’histoire
Une fausse formule célèbre Ave, Caesar, morituri te salutant. Bonjour, César, ceux qui vont mourir te saluent.
Qui ne connaît la formule popularisée par les romans et le cinéma, et qui semble inséparable des combats de gladiateurs? Et pourtant, nous le savons par l’historien Suétone, elle n’a été utilisée qu’une seule fois.
En l’an 52, l’empereur Claude inaugure le barrage qu’il a fait établir sur le lac Fucin, au sud de Rome. Pour célébrer l’événement, il donne une naumachie, un combat naval de gladiateurs, coûteux et difficile à organiser. Le metteur en scène, avant le combat, a soufflé aux hommes ce salut inusité dont il est l’inventeur. Surpris par la formule, l’empereur y répond en disant: «Ceux qui vont mourir, ou pas… ». A ces mots, les gladiateurs, des condamnés à mort dont on a commué la peine pour l’occasion, croient que Claude leur promet la vie sauve. Il faut les détromper. Alors, dépités, ils refusent de combattre. Finalement, Claude accorde leur grâce à tous. La naumachie sanglante se transforme en charmant divertissement nautique, au grand dam des spectateurs venus voir autre chose. Après ce désastre, personne ne se servira plus
jamais de cette formule ambiguë.
Il y avait trois sortes de dénouement possibles. Soit l’un des deux duellistes mourait au cours du combat. Soit les deux s’entretuaient. Soit, enfin, l’un des deux hommes était renversé, ou blessé, ou bien s’effondrait par épuisement, s’avouant vaincu.
Dans ce dernier cas, le combat s’interrompait et le vainqueur s’en remettait à la décision des spectateurs. Cela par l’intermédiaire du mécène qui offrait le spectacle et qui le présidait, ou du magistrat qui était tenu d’offrir ce spectacle à ses frais, pour célébrer son entrée en fonction. Ce président, selon ce que lui criait le public, lui faisait signe de laisser la vie sauve au vaincu ou de le tuer (avec le geste fameux du pouce renversé vers le sol).
Si les gladiateurs s’étaient tous les deux bien battus, si leur duel avait enthousiasmé le public, le président pouvait décider de saluer le mérite du vaincu en le graciant. Celui-ci se battrait ainsi dans d’autres matchs et on aurait plaisir à le revoir se produire dans l’arène. Si, au contraire, les deux hommes avaient combattu mollement, en donnant l’impression de se ménager entre eux, pas question d’épargner le perdant !
Le vaincu était égorgé par son adversaire. Et son point d’honneur était alors de rester digne et courageux devant son bourreau, de ne pas fuir la sentence du public, de ne pas montrer de crainte devant la mort et de se laisser abattre honorablement.
« Un gladiateur, même moyen, ne pleure pas, écrivait Cicéron, ne change pas de visage ; il reste ferme, il tend la gorge sans faiblesse» (Tusculanes). Il se cachait simplement le visage avec son bouclier pour ne pas voir arriver le coup fatal. La chose passionnante, pour le public, était de contempler le vaincu attendant la sentence.
Il semblerait que les gladiateurs étaient soumis à l’infamia, c’est-à-dire qu’ils partageaient la condition des assassins et des suicidés en ce qu’il leur était interdit de recevoir une sépulture. C’est là un élément important lorsque l’on se souvient du rôle capital qu’elle revêtait dans les croyances pour assurer le repos de l’âme.
Un haut personnage désire organiser un « munus ». Sauf s’il possède lui-même une troupe, il s’adresse à un ou à plusieurs lanistes avec lesquels il passe un contrat, disons, pour transposer, de « location-vente » : tout ce qui, à l’issue des jeux, sera récupérable sera réputé lui avoir été loué; en revanche, tout ce qui sera détruit lui aura été vendu. Autrement dit, si tel gladiateur repart vivant et en bon état, il aura fait l’objet d’une location; s’il est mort ou irrémédiablement perdu pour l’arène, le capital correspondant est dû au laniste.
Or, c’est là que la règle place celui qui donne les jeux dans une position très spéciale. Démontons le mécanisme : le combat de gladiateurs n’est pas conçu pour aller jusqu’au moment où l’un des deux combattants serait tué ou grièvement blessé par,son adversaire (cela pouvait arriver, mais rarement); il se déroule jusqu’au moment où l’un des adversaires (même non blessé) demande grâce, il sait qu’il va perdre, son seul salut réside dans cette grâce.
La décision est entre les mains du président, c’est-à-dire de celui qui offre les jeux. Tout s’interrompt : le vaincu a baissé les armes, le vainqueur, la tête tournée et le glaive levé, interroge des yeux la présidence. La foule manifeste, elle baisse éventuellement le pouce, geste fameux. Si la mort est demandée, le président sait ce qu’elle lui coûte, à lui : la valeur d’un gladiateur, une somme peut-être très importante et l’affaire va se reproduire plusieurs fois, peut-être des dizaines si nous sommes à Rome ou même à Narbonne ou à Lyon. Conflit à trancher rapidement entre des intérêts matériels et le désir de plaire à la foule. Car celle-ci n’est pas venue assister à un combat à mort : elle a vu un combat (dont elle aura pu apprécier ou non la tenue) au terme duquel, par l’intermédiaire du président, elle juge de la vie ou de la mort d’un homme, ce qui est bien différent. Elle sait que, très probablement, elle aura le dernier mot. Elle jouit de ce pouvoir suprême qui lui est délégué de loin en loin : le droit de vie ou de mort sur un de ses semblables.
Les armes entraînaient d’horribles blessures. Sur des squelettes provenant du cimetière de gladiateurs les archéologues ont observé des traumatismes très graves. Ils ont pu reconstituer la façon dont les combattants vaincus étaient tués, soit par un coup de poignard porté à la nuque ou asséné par en haut, à travers le cœur.
Les armes entraînaient d’horribles blessures. Sur des squelettes provenant du cimetière de gladiateurs les archéologues ont observé des traumatismes très graves. Ils ont pu reconstituer la façon dont les combattants vaincus étaient tués, soit par un coup de poignard porté à la nuque ou asséné par en haut, à travers le cœur.