Une marchandise humaine prisée
Aux IIe et Ier siècles av.J.-C. les Romains se livraient au trafic d’esclaves à grande échelle. Les généraux victorieux des campagnes menées dans toute la Méditerranée faisaient des milliers de prisonniers, vendus comme esclaves lors d’enchères publiques à des trafiquants professionnels. Ceux-ci ramenaient des contingents d’esclaves à Rome et dans d’autres villes pour les revendre aux citoyens. Certains historiens estiment qu’à la fin de la République, les esclaves ont pu constituer jusqu’au tiers de la population.
Comment on entre en esclavage
Un débiteur incapable de rembourser ses dettes, un villageois kidnappé par des pirates, un citoyen privé de sa liberté pour mauvaise conduite, un enfant bossu abandonné et recueilli… Bien des voies mènent à l’esclavage. Mais ce sont les guerres de conquête entreprises par Rome qui gonflent le réservoir de main-d’oeuvre à partir du IIIe siècle avant J.-C. En mettant la main sur la Gaule, César jette sur le marché 500000 à 1 million de captifs de guerre gaulois. L’île grecque de Délos accueille Le plus grand marché de l’époque, jusqu’à 10000 individus vendus par jour !
Leur prix ? Très variable: un vieillard peut être offert en bonus avec un lot: un esclave normal peut valoir te même prix qu’une amphore de vin mais une pièce de choix, que les acquéreurs se disputent pour son savoir ou sa beauté, atteint le prix d’une maison !
Au commencement de son histoire, l’indigène qui se promène de l’autre côté du Tibre sur le territoire de Véies, prend aux yeux des Romains l’aspect repoussant et odieux de l’étranger, c’est-à-dire de l’ennemi : la langue latine ne fait pas la distinction entre ces deux notions ; elle utilise un seul mot, Hostis.
Aussi est-ce sans remords que les Romains de la période archaïque, aux temps des rois, et au début de la République, font de larges razzias chez leur voisins, ramènent des milliers de captifs, femmes, hommes et enfants, servant de vulgaire butin aux soldats en vertu du principe que le vaincu est à la disposition du vainqueur.
Bien souvent il est vrai, au lieu de réduire en esclavage les nations et les villes conquises, Rome les transformera, non sans ambiguïté, en alliées et amies du peuple romain : elle ne peut logiquement régner sur un empire d’esclaves. Parfois, par souci de publicité, elle fera preuve de magnanimité à l’égard des vaincus. Mais si Rome trouve en face d’elle un adversaire décidé, elle n’hésite pas à transformer les prisonniers en esclaves.
L’empire carthaginois est ainsi saigné par Rome au cours des trois guerres puniques et sous tous les fronts où elles se déroulent pendant un siècle (267-146 av. J.-C.). En Afrique, en Espagne, en Italie, en Grèce, elles drainent vers l’Italie des centaines de milliers d’esclaves.
A Agrigente, en Sicile, 250 000 personnes; à Palerme, toujours en Sicile, 14 000 prisonniers; à Capoue les habitants qui avaient collaboré avec l’ennemi carthaginois sont tous réduits en esclavage. En Afrique, au cours des opérations que Scipion mène pendant la troisième guerre punique (148 à 146), plus de 20 000 prisonniers seront mis à la disposition des Romains.
Une fois Carthage anéantie et les habitants vendus sur les marchés d’esclaves, les Romains achèvent la conquête de la Grèce. Certaines cités qui s’étaient alliées aux ennemis de Rome sont vouées au pillage sur l’ordre du Sénat en 166. Paul Émile pénètre ainsi avec ses troupes dans les villes d’Epire.
L’or, l’argent et un considérable butin sont amassés, mais surtout on réduit en esclavage 150 000 habitants, chiffre considérable.
Plusieurs années passent en diverses opérations militaires. puis la fièvre de conquête s’apaise, Rome désormais regorge d’esclaves. Mais déjà les premiers envahisseurs barbares menacent la République. A Aix en 102 et à Verceil en 101, les Teutons et les Cimbres sont défaits par les armées de Marius qui emmène en captivité, respectivement 90 000 et 60 000 futurs esclaves.
Ce ne sont là que quelques chiffres : ils ne représentent que le dixième du nombre total des esclaves dont Rome dispose à la fin de la conquête au IIe siècle. Et la dernière expédition de Rome, celle dirigée contre la Gaule rapportera plus d’un million d’esclaves!
C’est surtout la Thrace, la Dacie, la Scythie, la Gétie, la Phrygie, le Pont, le Sud-Est de l’Europe occidentale et une partie de l’Asie Mineure qui fourniront la majeure partie du « cheptel esclave ».
Il est vrai que les lois de la guerre, pour atroces qu’elles soient. sont connues dans l’Antiquité. Chaque soldat qui part en campagne sait qu’il risque non seulement sa vie, mais aussi sa liberté.
Source aussi de ravitaillement en esclaves frais, la terrible coutume romaine qui voulait que le père de famille eût sur ses enfants à leur naissance un droit de vie et de mort. De nombreux nouveau-nés étaient exposés, c’est-à-dire abandonnés, et devenaient des esclaves de ceux qui les recueillaient. Parfois même, pour éponger des dettes trop criantes, ou parce qu’il ne pouvait nourrir une famille nombreuse, le père vendait son enfant et savait qu’il le réduisait ainsi en esclavage.
Enfin, au commencement de l’histoire de Rome, en un temps de grandes pénuries d’esclaves, la législation imagine, imitant en cela les civilisations orientales, l’esclavage pour dette. Les citoyens incapables de rembourser leurs usuriers, donc insolvables, sont mis aux fers, puis au bout de quelques semaines, ils sont exécutés ou vendus.
En 325 une loi, dite loi Pétilia, met fin à cet abus et supprime en fait l’esclavage pour dettes, affront fait à la noblesse de la citoyenneté romaine qui n’aurait jamais dû être révocable. Cette loi soutient « qu’aucun citoyen, s’il n’était prévenu d’un crime, ne pût, avant de subir sa peine, être retenu dans les entraves ou dans les liens, que les créanciers eussent pour garant les biens des débiteurs et non sa personne ». Par là les citoyens détenus pour dettes, furent délivrés, et on prenait soin qu’ils ne pussent être détenus à l’avenir.
L’esclavage pour dettes n’est plus appliqué que sur des étrangers ou sur les indigènes de nations dites « alliées ». Ceux-ci refusent-ils de payer l’impôt aux publicains romains, ils sont immédiatement vendus comme esclaves.
Ces mesures draconiennes si elles augmentent le nombre des esclaves provoquent aussi le mécontentement des nations et réduisent fortement le nombre des soldats alliés sur lesquels Rome espère compter lors de ses campagnes, comme l’atteste cette anecdote :
« Pendant son expédition contre les Cimbres, Marius fut autorisé par le Sénat à tirer des troupes auxiliaires des nations transmarines. Marius envoya donc des députés auprès de Nicomède, roi de Bithynie pour lui demander des secours. Ce dernier répondit que la plupart des Bithyniens avaient été enlevés par les percepteurs d’impôts et servaient comme esclaves dans les provinces. Le Sénat rendit alors un décret, d’après lequel aucun allié de condition libre ne devait servir comme esclave dans les provinces et les préteurs furent chargés de l’exécution de ce décret. » .
En revanche, l’esclavage de naissance présente de nombreux avantages. Un enfant né d’une mère esclave est esclave.
Ce verna qui n’a pas connu la liberté et qui est élevé dans la demeure du maître, hors de toutes influences étrangères, est un esclave à la fois disponible, confiant, souple et très attaché à son maître. Il n’a rien coûté ; il est simplement le fruit gratuit d’un capital-esclave, du placement de l’acheteur sur une esclave féconde.
Quand au premier siècle il devient de plus en plus difficile de s’approvisionner en esclavés et que la main-d’oeuvre servile vient à manquer, on élève des petits verna comme des poulains pour le travail et les différentes fonctions que réclament l’envahissement du luxe au sein des grandes familles romaines.
Voici donc des hommes et des femmes, des enfants, dépouillés de leur liberté et de leur dignité qui forment peu à peu le peuple immense et anonyme des esclaves. Sur les routes terrestres et maritimes, ils sont drainés pour une part vers les provinces, pour une autre part, la plus importante, vers l’Italie et vers Rome afin d’être répartis et distribués selon les lois de l’offre et de la demande : ainsi au sortir d’harassants périples où beaucoup ont péri, ils deviennent des marchandises, au même titre que les épices, les soieries, les fruits et les légumes importés et sont soumis aux usages du commerce.