L’idée en appartient au doyen des leaders noirs, A. Philip Randolph, celui même qui avait menacé d’une marche analogue le gouvernement fédéral en 1941. L’objet de cette nouvelle marche était, en montrant l’unanimité des Noirs, de faire pression sur le Congrès pour le passage de la loi sur les droits civiques, perpétuellement différée.
La guerre ouverte
Une des plus sévères révoltes de la décennie se déroule du 11 au 16 août 1965 à Los Angeles, dans le quartier de Watts , à plus de 80% noir. A l’origine, un incident banal : un policier blanc arrête un jeune conducteur noir en état d’ivresse. Plusieurs maladresses provoquent la fureur des badauds et le bilan est de 34 morts et 1 032 blessés, presque tous noirs, environ 4 000 arrestations et quelque 1 000 bâtiments détruits.
A Watts, les conditions de vie étaient pourtant moins dramatiques qu’à Chicago, Detroit ou Harlem. Mais l’arrivée de nombreux Noirs après la Seconde Guerre mondiale a ravivé les réflexes ségrégationnistes des Blancs.
Repoussés au bas de l’échelle sociale, isolés dans un quartier situé sous une des autoroutes qui sillonnent la ville, humiliés par la police, les Noirs trouvent dans la violence un moyen de manifester leur colère
Ce n’est pas sans mal que les divers leaders, Bayard Rustin, Martin Luther King, et d’autres, se mirent d’accord sur cette manifestation destinée à impressionner l’opinion. Les organisations syndicales nationales, consultées, maintinrent une attitude de neutralité à l’exception de l’U.A.W. de Walter Reuther, mais des unions locales se joignirent aux Noirs. Un soutien très actif fut fourni par les églises blanches : le bouillant cardinal Cushing, de Boston, délégua onze prêtres pour représenter son diocèse, les diverses églises protestantes, le Congrès juif américain envoyèrent plusieurs de leurs membres. Par milliers, Blancs et Noirs rallièrent Washington, qui en auto, qui en autobus, par avion, en train et même, dit-on, en patins à roulettes, pour se regrouper, symboliquement, devant le mémorial de Lincoln. A combien d’individus se montait cette foule ? Les estimations varient : 210 000 selon l’hebdomadaire Newsweek, 250 000 selon Martin Luther King. Les manifestants écoutèrent les nombreux discours, en général modérés, de leurs leaders. C’est dans ces circonstances que le pasteur King prononça son allocution « J’ai un rêve », le rêve de voir bientôt des millions de Noirs égaux dans une société d’où auraient disparu tous préjugés de race.
Faut-il mettre à l’actif de cette manifestation le vote de la loi sur les droits civiques signée le 2 juillet 1964 ? Longue et diffuse, elle cherche à remédier aux deux maux essentiels : la non-participation politique et la ségrégation. Sur le premier point, elle renverse des positions traditionnelles : c’est à l’office électoral à faire la preuve de l’incapacité du postulant, et l’instance supérieure ne peut être que la Cour suprême fédérale.
La ségrégation est sapée dans ses bases, qu’il s’agisse des établissements publics (hôtels, restaurants, spectacles) ou des lieux publics (parcs, terrains de sports)… et les infractions relèvent désormais du ministère fédéral de la Justice, qui se substitue ainsi, et c’est là une nouveauté, aux cours locales. La discrimination dans l’emploi est formellement prohibée, en même temps que d’autres pratiques relevant du domaine économique et social. Des sanctions, comme l’annulation de crédits fédéraux, sont prévues contre les Etats récalcitrants. Jamais texte fédéral n’était allé aussi loin, en ce domaine, dans l’affirmation de la suprématie fédérale.
A-t-elle plus de chance d’être appliquée que les lois précédentes ? L’égalité civile est-elle réalisable dans un proche avenir ? Les résistances locales s’affaiblissent, et un pouvoir fédéral bien décidé a plus de chances de l’emporter en 1964 qu’en 1957.
Sur le plan géographique, violences et manifestations se sont déplacées, du Sud vers le Nord, pendant l’été 1964. Des émeutes ont eu lieu dans les ghettos des grandes villes industrielles, où règnent la misère, la surpopulation, la sous-alimentation, bref tous les signes du désespoir : Chicago, Cleveland, Philadelphie et, à nouveau, Harlem. Il ne suffit pas, en effet, de briser les cadres légaux qui séquestrent le Noir, il faut en faire de même pour ceux qui le maintiennent dans un état d’ostracisme ailleurs, et lui assurer des moyens décents de vivre.
De 1965 à 1968, de violentes émeutes urbaines et raciales, à Watts, un ghetto de Los Angeles, à Detroit et à Newark, dans le New Jersey, mais aussi dans de nombreuses autres villes, enflamment le pays, notamment en 1968, année de l’assassinat de Luther King à Memphis, dans le Tennessee. On dénombre des centaines de morts. Trois ans plus tôt, en 1965, Malcolm X, l’un des leaders de Nation of Islam, un groupe rejetant le christianisme comme étant la religion de l’esclavagisme, tombait lui aussi sous les balles. Le mouvement des droits civiques des années 1960 est un des grands tournants de l’histoire américaine. Il aura donc fallu un siècle pour que les mesures des années 1860 soient appliquées dans le Sud et intégrées dans l’esprit collectif du pays. Le jeu politique s’est inversé : ce sont désormais les démocrates, et non plus les républicains, qui soutiennent la cause et le combat des Afro-Américains. De ce fait, le Sud bascule majoritairement dans le camp républicain.