La soupe du Poilu et le cuisinier

La ration quotidienne d’un Poilu est de 700 g de pain, 500 g de viande, 100 g de légumes, du café, du lard pour la soupe, et du vin. Parfois, la quantité n’y est pas et Il faut compter sur la débrouille et les rations de combat pour se garnir la panse.

Le rab du rab
Il faut qu’il y alt toujours du rab de rab dans la répartition des aliments. L’art du parfait caporal est de savoir diviser une boite de sardines en quinze rations égales et de faire en sorte qu’il y ait un rab. Le rab de rab. donne la sensation de L’infini ; Il est nécessaire au moral des armées.
L’ordinaire du Poilu
On appelait ordinaire le budget alimenté par les primes de nourriture, qui procuraient des suppléments aux distributions de l’intendance et parfois un bénéfice, dit boni. Il était géré par le sergent-major, le chef, sous le contrôle du commandant de compagnie, qui est le Deus ex machina pour ses 100 à 150 hommes. Mais l’ordinaire dépend en fait du cabot
d’ordinaire personnage considérable qui fait les achats sous le contrôle du sergent-major et qui détermine pour une bonne part le moral de l’unité, car l’homme, tout comme un sac, ne tient debout que s’il est plein. Aussi fallait-il que le capitaine tint la bride extrêmement courte aux petits privilégiés (proches de la cuisine), car, dès qu’on cesse de les avoir à l’œil, Ils s’entendent pour fricoter.

La grande figure de cette guerre
Le cuisinier est pour moi la grande figure de cette guerre. J’en ai vu un au petit jour, accroupi, les deux poings dans la gelée blanche, le nez sur un brasier où il ne restait que de la peluche, immobile. Je le crus malade.
« Qu’est-ce que tu fous là? Tu ne vois pas que tu te brûles la barbe ? »
Et je le tirai brusquement en arrière par le cou. Il ouvrit sur moi des yeux morts, navrants :« Je souffle le feu, pardi I Et le café I »
C’était l’époque héroïque d’avant les roulantes, quand les cuistots apportaient, de très loin, de la soupe, du café et du vin.
Ils sentent bien mauvais, plus mauvais encore que leur cuisine. Mais ce sont de bien braves gars. Les feux à deux ou trois kilomètres des lignes, les distributions à trois ou quatre des feux, quinze kilomètres de marche par jour avec des quarante kilos sur le dos ou au bout des bras, leurs chapelets de boules de pain percées au milieu et passées dans une courroie. Quand est-ce donc que ces gens se reposent ?

La soupe, plat principal et unique du Poilu

La soupe du poilu, c'était l'appellation générale du plat principal, au reste unique, mêlant la viande, la barbaque, à des pâtes ou du riz formant un magma caoutchouteux

La soupe, c’était l’appellation générale du plat principal, au reste unique, mêlant la viande, la barbaque, à des pâtes ou du riz formant un magma caoutchouteux, ou bien à des fayots plus ou moins cuits ou à des patates plus ou moins bien épluchées, en un brouet liquide, ce qui justifiait son nom, bien qu’il fût revêtu d’une couche de graisse figée. Il n’était pas alors question de légumes verts ni de vitamines. Pourtant la qualité variait d’une compagnie à une autre, suivant que son chef laissait ou non s’installer aux cuisines désordre et pillage.
La soupe c’était aussi, par extension, les boules de pain, cuites par les boulangeries de campagne ; on les considérait comme fraîches quand la date de fabrication, imprimée sur la croûte, ne remontait pas à plus de huit jours. C’était encore parfois du fromage ou du singe, que les cuisiniers diligents accommodaient assez bien en salade. La soupe, c’était enfin, curieusement, le café, trop clair, mais bien sucré, bouillant au départ mais qui arrivait généralement froid.
Le pinard. C’était le vin de l’ordinaire, variable en qualité suivant les arrivages, et qu’on accusait bien souvent les cuistots de mouiller, pour augmenter leur propre part. Quand les effectifs officiels étaient supérieurs aux effectifs réels, ce qui arrivait souvent, en fonction des morts, de départs encore ignorés, des blessés évacués ou des hommes détachés, la ration minima s’augmentait d’un rabiot, et même d’un rab de rab, que le caporal se faisait un devoir de distribuer équitablement à son escouade. Lorsque l’ordinaire permettait des achats sur le boni, le sergent-major obtenait de l’intendance du vin remboursable, à quatorze sous le litre, d’où son nom habituel de rembour.
Pour les achats à l’arrière, le cycliste de bataillon était l’intermédiaire qualifié. Du bataillon de seconde ligne, chaque jour, des types à la coule, sous un prétexte plus ou moins acceptable, s’en vont vers le village voisin, portant en bandoulière vingt ou trente bidons qu’ils apportent pleins au grand enthousiasme des destinataires . Quand les hommes pouvaient se ravitailler individuellement en vin ils en remplissaient leur bidon, que certains savaient gonfler jusqu’à l’extrême limite, en tirant une cartouche à blanc à l’intérieur, obtenant de ce vaisseau d’apparence définitive, une contenance qui valait un demi-quart de rab pour le moins. L’importance du vin, ce gros rouge, source de réconfort et de vie, de joies et de conversations inépuisables, n’a pas été exagérée dans le célèbre « Salut Pinard » de la Passion de notre frère, le Poilu.

Les roulantes pour le transport de la soupe en 1914-1918

Au début de la Grande Guerre, la plupart des unités, notamment les régiments de réserve, ne disposaient pas de cuisines roulantes

Ce que les biffins portaient de meilleur cœur, c’étaient les charges de la nourriture et de la boisson, y compris les ustensiles pour utiliser la première et contenir la seconde. Le capitaine Tuffrau parle d’une queue de morue, arrimée sur le sac d’un soldat, entre deux godillots, et d’une voiture de bébé, chargée de macaroni, poussée à l’arrière d’une colonne.
Dès le départ de la caserne, furent distribués les vivres de réserve, ceux auxquels il ne fallait toucher qu’en cas d’impossibilité de ravitaillement quotidien, et qui constituèrent, bien souvent, la nourriture de plusieurs jours consécutifs. Le singe, viande de boeuf en conserve, le plus souvent filandreuse, en formait l’essentiel avec les douze biscuits carrés, faits d’une pâte percée de petits trous, durs comme la pierre, les sachets de sucre, les tablettes de café et les paquets de potage condensé.
Au début de la guerre, la plupart des unités, notamment les régiments de réserve, ne disposaient pas de cuisines roulantes (on disait les roulantes tout court) qui se généralisèrent à partir de 1915, alors que toutes les unités allemandes en disposaient dès 1914. On fit donc d’abord la cuisine par escouade. Aussi, chaque soldat, en plus de sa gamelle et de son quart, dont l’aluminium était vite rougi par le vin, de sa cuillère et de sa fourchette, moins utiles toutefois que le couteau personnel dont il existait autant de variétés que de régions et de métiers d’origine, devait-il ajouter sur son sac l’échafaudage du matériel de campement : marmite, seau en toile et jusqu’au moulin à café.
L’incontestable avantage des roulantes rendit superflus certains de ces ustensiles. Mais il fallut toujours faire transporter, soit par les cuistots, soit par les hommes de corvée désignés dans l’escouade ou la section, le ravitaillement quotidien, depuis le ravin des cuisines, dissimulées en seconde ligne ou plus à l’arrière, jusqu’aux tranchées. Pour ces transports tous terrains, si le pain et les conserves pouvaient se placer dans des musettes ou dans un sac de toile, si le pinard était transvasé, à raison d’un quart ou deux par homme et par jour, dans les bidons correspondant à l’effectif, le jus et la soupe requéraient l’indispensable bouthéon. C’était un récipient d’une curieuse forme empruntée au haricot, dont le nom était celui de l’intendant militaire, son inventeur, mais avait été universellement transformé par la logique assimilatrice du soldat en bouteillon.

Les hommes de soupe dans les tranchées de 1914 à 1918

Acheminer la nourriture chaude des roulantes jusqu’aux premières lignes est l’affaire des hommes de soupe prélevés sur les troupes du front. Une place enviée dans les secteurs calmes parce qu’elle permet de gratter un peu sur la nourriture mais qui, dans les zones tourmentées, est lourde de peine et de dangers.
Les hommes de soupe partent généralement la nuit, emportant avec eux tout leur fourniment. Leur première qualité doit être d’être forts en gueule car il leur faut lutter, lors des distributions, pour obtenir les meilleurs morceaux. Ensuite, terriblement chargés, portant les récipients à bout de bras et les boules de pain enfilées par sept ou huit sur un bâton, il leur faut remonter en ligne, cheminer dans les étroits boyaux, franchir les trous d’obus, traverser parfois un bombardement.
Qu’ils tombent et voilà la soupe renversée, la viande et les légumes pleins de terre. Ce n’est pas une petite affaire, dans les nuits sans lune et par un paysage bouleversé, que de retrouver le bon chemin. Il arrive que certains se perdent et se retrouvent dans les lignes ennemies.
Héros obscurs, les hommes de soupe sont en même temps les messagers des bonnes et des mauvaises nouvelles, les fameux « tuyaux de cuisine ». Les cuisiniers qui travaillent en permanence aux roulantes sont en effet des personnages importants. Ils sont à l’arrière, ils observent les mouvements des troupes, font des petites faveurs aux ordonnances des officiers supérieurs, voient défiler chez eux les hommes de soupe de plusieurs unités. Si bien qu’ils en arrivent à développer une sorte de sixième sens. Lorsqu’une attaque, un coup de main vont avoir lieu, ils sont parmi les premiers à le savoir et ils l’annoncent à mots couverts, fiers de leur importance. Ainsi colportent-ils les nouvelles, vraies ou fausses, qui sont reçues dans les tranchées comme paroles d’Evangile.

Les cuisiniers, des héros obscurs de la Première Guerre Mondiale

Les cuisiniers du début se plaignaient souvent de leur fatigue à coltiner le ravitaillement des dépôts à leurs feux

Les cuisiniers du début se plaignaient souvent de leur fatigue à coltiner le ravitaillement des dépôts à leurs feux. En vérité, qu’ils fussent choisis en fonction de leur métier antérieur, qu’ils eussent obtenu leur désignation par intrigue ou habileté, les cuistots étaient, comme on l’a dit, toujours à la peine, quelquefois au plaisir (au moins celui de « déguster » moins que les camarades des tranchées), jamais à l’honneur.
Les cuisiniers d’alors payaient de leur lourde peine leur relatif privilège. Quand ils furent fixés à leurs roulantes, à l’abri des grenades et des mitrailleuses, sinon des obus, ils firent vite figure, surtout quand la cuisine était particulièrement mauvaise et les parts trop réduites, et davantage (ce qui n’était pourtant pas leur faute) quand la soupe n’arrivait pas aux bonshommes, de sales embusqués, car le terme était loin de s’appliquer exclusivement à ceux du véritable « arrière » : Rien que du gras, chameaux de cuisiniers

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