La boue, les poux, les rats dans les tranchées en 1914-1918

On connaît les misères de la vie quotidienne du poilu : la pluie, qui fait fondre la tranchée ; la boue, qui envahit les boyaux et dans laquelle on patauge; la vermine, avec laquelle on apprend à vivre malgré les démangeaisons et les lambeaux de peau que l’on s’arrache en se grattant

Le barbelé, sinistre « séchoir »

les barbelés ont peu à peu formé de puissantes défenses fonctionnant en réseau, sans cesse renforcées. Très souvent, avant les assauts, l’artillerie ne parvenait pas à y ouvrir une brèche suffisante : dans ce cas, chacun savait qu’il allait à la mort.
La vision terrifiante des cadavres accrochés aux longues pointes des fils de fer disposés entre les lignes – d’où le nom de « séchoir » donné aux barbelés par les soldats français – rappelait, des jours durant, la terrible efficacité défensive de ces murailles de fils de fer.

Parmi des milliers de témoignages, citons celui de A. Naegelen
« Un soir, Jacques, en patrouille, a vu sur les capotes déteintes, des rats énormes, gras de viande humaine. Le coeur battant, il rampait vers un mort. L’homme montrait une tête grimaçante, vide de chair, le crâne à nu, les yeux mangés. Un dentier avait glissé sur la chemise pourrie et, de la bouche béante, une bête immonde avait sauté. »

Et ce témoignage d’un soldat Allemand
Finalement, nous nous habituâmes à l’horreur à un point tel que lorsque, derrière une traverse ou un chemin creux, nous tombions sur un mort, cet aspect ne provoquait en nous que cette pensée rapide : « un cadavre », comme nous aurions dit : « une pierre » ou « un arbre ».

La boue dans les tranchées de 1914 à 1918

Les Poilus ont de la boue jusqu'au genou parfois jusqu'au cuisses.

Jamais, tout au long de la tragique histoire humaine, autant d’hommes n’ont vécu aussi longtemps, sur un front aussi étendu, dans de telles conditions de misère. Jamais l’héroïsme n’a été aussi obscur.
Innombrables sont les lettres d’anciens combattants qui ont été publiées. Elles ne parlent que rarement d’actions d’éclat, mais elles énumèrent sans fin les mille et une souffrances de la vie quotidienne. Souffrances inouïes !
Avant tout, il y a la boue. Violentée, écrasée par les obus, sans cesse remuée par les outils de tranchée, malaxée par les godillots ou les bottes des fantassins, bouleversée par les charrois, la terre se venge. Privée de sa parure végétale, elle se fait piège.
« Je croyais, s’écrie le romancier combattant Henri Barbusse, que le pire enfer de la guerre serait la flamme des obus. Mais non, l’enfer, c’est l’eau. »
L’eau qui ruisselle, qui envahit les tranchées, comble les puisards, transforme le champ de bataille en marécage.
Que faire lorsque tout se liquéfie autour de soi, lorsque les parapets s’écroulent, que les abris s’effondrent, que des éboulements engloutissent des escouades entières ? Dans les boyaux, la marche des colonnes montantes et descendantes devient un cauchemar. On y a de la boue jusqu’aux genoux, souvent jusqu’aux cuisses et les caillebotis, les fagots qu’on y jette ont vite fait de disparaître.
Elle est partout, cette boue vampire. Elle recouvre les culasses des fusils au point que certaines positions ont été enlevées parce que les défenseurs n’avaient pas pu tirer. On la retrouve à l’intérieur des sacs les mieux fermés et jusque dans la nourriture. Les chaussures durcissent et les hommes renoncent à les enlever parce qu’ils ne pourraient plus les remettre.
Après deux ou trois jours passés en première ligne, les soldats se transforment en blocs de boue. L’un d’entre eux, rentré au cantonnement, a eu la curiosité de peser sa capote : elle pesait trente-deux kilos.
Remplis d’eau, les trous d’obus deviennent des pièges mortels. Il arrive que des hommes, des blessés surtout, rampant dans le noir, y tombent. Alors, ils sont perdus, incapables de se raccrocher à quoi que ce soit. Ils meurent noyés après une terrible agonie.
Chaque hiver, le sommet de l’horreur est atteint lors du dégel. De part et d’autre les hommes s’enlisent et en arrivent à cesser le combat. Les obus eux-mêmes n’éclatent plus. La guerre s’arrête.

La chasse aux poux dans les tranchées de la Grande Guerre

Lorsque les hommes se trouvent obligés de se terrer dans leurs abris, ils se livrent à la chasse aux poux. Car ils en sont infestés. Il y en a de toutes sortes, certains aussi gros que des grains de blé, d’autres si minuscules qu’on peut à peine les apercevoir. Il y en a des noirs, des blancs et, ce sont les plus redoutés, des gris avec une croix de fer sur le dos. Tenaces, voraces, ils résistent à tout : aux frictions d’essence ou de pétrole, aux sachets de camphre qu’on porte sous la chemise, à tous les insecticides connus. Guerre sans cesse recommencée et toujours sans espoir. « On en tue dix, se lamente un fantassin, et il en vient cent. »
Dès l’apparition des beaux jours, un autre fléau s’abat sur les habitants des tranchées : les mouches.
« Ah ! s’écrie le fantassin Louis Barthas, ces mouches du charnier de Lorette qui se répandaient jusqu’à l’arrière du front, quel immonde dégoût elles nous inspiraient ! Elles s’insinuaient partout, dans les quarts, les gamelles, les marmites, bourdonnant sans cesse autour de nous, butinant des morts aux vivants et des vivants aux morts ! »

Les rats dans les tranchées, la pire des calamités

Les rats, la pire calamité de la guerre de 1914-1918

La guerre est pour les rats l’époque de l’abondance et les tranchées leur pays de cocagne. Ils sont énormes, luisants de graisse et de santé.
La nuit, dans le no man’s land, ils font un vacarme infernal au milieu des barbelés et des boîtes de conserve jetées par-dessus les parapets. Il arrive même qu’ils provoquent des paniques lorsque des sentinelles, alertées par ces bruits suspects, se mettent à tirer.
Dans les abris, ils disputent aux hommes leur nourriture. A peine les bougies sont-elles soufflées qu’ils commencent leur sarabande, courant sur les dormeurs, pénétrant jusque dans les sacs et descendant le long des fils de fer au bout desquels les hommes précautionneux ont suspendu leur boule de pain.
Pendant près de quatre ans, la chasse aux rats a été une guerre dans la guerre. Une guerre que les hommes ont perdue.
Le problème devient si aigu que, dans l’armée française, l’intendance en arrive à promettre une prime de un sou par queue de rat présentée. De formidables battues sont alors organisées. Dans les abris, les hommes se munissent de pelles, les officiers dégainent leur sabre qui ne leur a guère servi qu’à cela. On place de la nourriture dans un endroit dégagé, on éteint toutes les lumières et on attend. Pas longtemps. Soudain, on braque les lampes électriques et on se précipite pour le carnage.
Hélas ! Le plus dur est ensuite de toucher la prime. Etant donné le goût bien connu de l’armée française pour la paperasserie, il faut pour chaque queue de rat, établir des bordereaux en deux ou trois exemplaires et attendre longtemps, si longtemps que les hommes finissent par se dégoûter.
Le plus horrible est que les rats s’attaquent aux cadavres et s’en repaissent. Les brancardiers ne peuvent soulever un mort sans en trouver deux ou trois dessous.

Les fantassins vivaient dans des charniers

Des cadavres, il y en a partout : sur le no man’s land où gisent ceux des récentes attaques, dans les barbelés où ils restent accrochés et dans les tranchées elles-mêmes où ils ont été enterrés par les obus et où ils reposent mélangés à la terre, jusqu’au moment où un autre obus fera jaillir en l’air leurs membres épars.
Ils sont si terribles à rencontrer que, souvent, les plus endurcis vomissent. Parcheminés, grouillant de vers, dévorés par les rats, couchés dans des positions grotesques.
Enterrer les morts, cela n’est pas toujours possible. Il faut souvent, pour cela, risquer sa vie, se glisser hors de la tranchée, dans cette zone de terreur où, la nuit, le moindre bruit suspect provoque la fusillade.
Alors, on vit avec. Et l’on finit par s’endurcir, par s’habituer même à cela, aux visages grimaçants, à l’odeur âcre et pénétrante qui, à la longue, imprègne tout.
Pour tous ceux qui n’ont pas vécu la Grande Guerre, une terrible question se pose : comment des millions d’hommes ont-ils pu supporter si longtemps ce tête-à-tête avec la mort sous sa forme la plus hideuse ?
Ils ont répondu eux-mêmes. Ils voyaient les morts, ils reconnaissaient en eux des camarades aux côtés desquels ils avaient vécu et combattu. Mais il y avait en eux une étrange certitude : que la mort était pour les autres.
Sans doute est-ce cette incapacité d’imaginer leur propre mort qui leur a permis de tenir. Ils vivaient avec les morts, ils mangeaient à proximité de cadavres en décomposition.
Il le fallait bien, d’ailleurs, car, en première ligne, on mangeait sur place, sans quitter le créneau, sans interrompre la veille, même un instant.

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