Les trois pestiférés de la collaboration au procès de Pétain

Le 11ème jour d’audience, la foule est plus agitée que d’habitude. Pierre Laval, l’ex-numéro 2 de Vichy, a été appelé à témoigner.
C’est lui qui organisa la rencontre entre Hitler et Pétain le 24 octobre 1940, point de départ de la collaboration. C’est lui qui, le 22 juin 1942, a déclaré à la radio : «Je souhaite la victoire de l’Allemagne.» Depuis le début du procès, son ombre plane sur les débats. Il serait le vrai responsable, le mauvais génie de Pétain.

Surgi d'un mauvais rêve... Laval

Pierre Laval introduit comme témoin

Serait-ce maintenant le procès de Laval ? Car, moment inattendu et dramatique, revenu d’Espagne, Pierre Laval doit être aussitôt introduit comme témoin.
Le voici, comme surgi d’un mauvais rêve, le visage terreux et fatigué par ce long voyage qui l’a amené d’un train au fourgon cellulaire, du fourgon cellulaire au tribunal. Dans ces vêtements fripés, il flotte, tellement les épreuves l’ont amaigri, et il paraît vieilli de quinze ans… Lorsqu’il est projeté, tel un vieux fauve, dans l’arène de la cour, ses yeux inquiets cherchent le moindre regard qui ne serait clos par l’hostilité ou la haine, le mépris ou l’indifférence. Mais sa quête est bien vaine, et, point par point il répond aux questions…
Tout y passe : ses contacts anciens avec Pétain ? Il hausse les épaules : « Je ne peux pas inventer devant vous un roman pour être agréable à ceux que ce roman intéresse. » L’armistice ? Il n’était pas ministre quand il a été signé. A Bordeaux ? Un jour le Maréchal l’invite à devenir ministre de la Justice, il refuse, demande les Affaires étrangères, on les lui retire, puis on les lui redonne. Le 10 juillet ? l’Assemblée était d’accord, unanime pour confier tous les pouvoirs au maréchal Pétain ; il était tacitement entendu que vu l’âge de Pétain, Laval serait son successeur. Montoire ? Le Maréchal ne s’est pas du tout fait prier pour y venir. Les Juifs ? Les lois n’étaient pas du fait de Laval, elles étaient rédigées par d’autres ministères, quant à lui, il a tout fait pour sauver les Israélites français. La collaboration ? « Quel homme de bon sens pouvait penser en octobre 1940 que l’Allemagne ne gagnerait pas la guerre ? Le retournement des alliances ? Il n’y avait pas de retournement puisqu’on avait signé l’armistice ; « pour nous la guerre était finie ». S’allier à l’Allemagne ? « Non, sauver les chances de la souveraineté et de l’intégrité du territoire français. »
Amené par ses gardes, Laval a tout d’abord donné une impression de ruine.
A la différence de Paul Reynaud, Laval sut ne pas se laisser dévier par les imprudences du ressentiment et de la colère : sa tactique manifeste fut de ne pas se dissocier du Maréchal.
Et pourtant…
En montrant qu’il était toujours d’accord avec lui, en expliquant qu’« il éprouvait une gêne à cette confrontation », en évitant tous les pièges qui lui sont tendus pour qu’il dénonce une responsabilité particulière du Maréchal, Laval accable ce dernier…
Il se présente comme un honnête homme, comme le Maréchal, qui avait eu à faire face à des difficultés quasi insurmontables. Il a ce cri : « Je ne puis admettre qu’on me considère comme le mauvais génie du Maréchal. »
La fin des audiences s’achève mal pour le Maréchal malgré une forte plaidoirie de maître Isorni.

Brinon. Le second pestiféré de la collaboration

Les trois pestiférés de la collaboration au procès du Maréchal Pétain

Jeudi 9 août, apparition du second pestiféré de la collaboration, Fernand de Brinon, ancien délégué général du gouvernement dans les territoires occupés. Un homme malade, s’appuyant sur une canne, à qui le président décide de ne demander ni son nom ni ses qualités et qu’il dispense du serment : pour la Haute Cour, Brinon est simplement « entendu ».
Ce qu’il raconte, d’une voix monocorde, n’est pas sans intérêt : il a toujours rendu compte au maréchal de ce qu’il faisait et l’a toujours tenu très exactement au courant et des événements et de ses propres sentiments. Il expose les exigences allemandes en matière de réquisition des travailleurs ou de déportation des juifs; il s’abrite derrière les autorités de Vichy ou celle du chef de l’État, dans un grand geste d’ignorance et d’impuissance conjuguées. Un juré, M. Lévy Alphandery, lui demande quelle a été la réaction du maréchal au moment où il a appris les atrocités qui ont été commises contre les israélites citoyens de France
M. DE BRINON. — Le maréchal a toujours eu, à ce sujet, des réactions extrêmes, vives, douloureuses, mais personnellement je n’en connais pas de particulières autres que ce qu’il a pu me dire dans les conversations, à savoir que c’était atroce, qu’il fallait essayer d’y parer; mais je vous ai dit tout à l’heure quelles étaient les immenses difficultés rencontrées à ce sujet.
Et, encadré par deux gendarmes, voûté, traînant la jambe (Brinon est à ce moment-là très malade) celui qu’on a appelé l’ «ambassadeur de Vichy à Paris » regagne la prison d’où il a été extrait : il sera fusillé quelques mois plus tard.

Darnand... Bouclier efficace ou inutile ?

Joseph Darnand, ancien chef de la Milice française, se présente à la barre entre deux gendarmes.

Enfin, dernier du trio des «collaborateurs », Joseph Darnand, ancien chef de la Milice française, se présente à la barre entre deux gendarmes. L’homme le plus détesté de France soulève une vague de curiosité parmi le public, encore que rien dans son allure n’apparût comme exceptionnel. Jules Roy le décrit ainsi : Boudiné dans un pantalon de milicien et un veston gris croisé passé par-dessus un blouson, la paupière mi-close, la face carrée, le front encadré de cheveux blancs coupés court, la mâchoire dure, hérissée d’un poil sombre, les épaules massives avec l’air d’un ouvrier endimanché… Une voix fluette sortit de ce mufle et de cette carrure de catcheur : c’était avec ce filet de castrat qu’il avait prêté serment à Hitler et ordonné les assassinats!
Au demeurant, le responsable de la lutte armée contre les résistants et les maquisards ne dit que peu de chose…
DARNAND. Le maréchal a toujours été pour moi d’un très bon conseil, m’a toujours prêché la prudence.
M. LE PREMIER PRESIDENT. Quand vous outrepassiez ses conseils, parce que. autant que nous nous souvenons, la Milice n’a pas été particulièrement prudente ni circonspecte, vous ne receviez pas de blâmes, pas d’observations?
DARNAND. Je n’ai reçu qu’un seul blâme, c’est celui que le maréchal m’a adressé le 6 août 1944. l’année dernière, alors que les Américains étaient à Rennes, dans une lettre qui doit figurer au dossier.
M. LE PREMIER PRÉSIDENT. A quel propos? Quelle était l’action que le maréchal blâmait et dans quels termes la blâmait-il?
DARNAND. Le maréchal, dans une lettre très longue, faisait connaître à Laval les exactions de la Milice. Dans un dossier annexe, assez important, on relevait, dans différents coins de France, des actes qui pouvaient nous être reprochés. J’ai pris connaissance de cette lettre et j’ai répondu, quelques jours après, au maréchal, que je n’ai plus eu l’occasion de revoir à Paris de ce moment.
Ce reproche ouaté de Darnand au maréchal tombe nettement dans le prétoire : les défenseurs renoncent à le questionner.
Gardes, vous pouvez l’emmener, conclut le président Mongibeaux.

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