Ils sont 650 à avoir été exécutés, en 1914 et 1915, parce qu’ils ont cherché à fuir l’enfer des tranchées. Trop lâches ou trop humains ? Après les commémorations de la grande guerre, la république rouvre le débat pour les réhabiliter.
Il ne fait aucun doute que des centaines de soldats furent victimes de la justice militaire pendant la Grande Guerre, assassinés par leurs propres armées pour des raisons que peu de spécialistes sont prêts à défendre aujourd’hui. Mais étant donné les millions d’hommes qui servirent et moururent pendant la Grande Guerre, seul un nombre relativement faible d’entre eux furent exécutés pour avoir résisté à la guerre (quelque 600 dans l’armée française, 346 dans l’armée britannique et 750 dans l’armée italienne). Les chiffres officiels de l’armée allemande ne font état que de quarante-huit exécutions, bien que le nombre réel soit certainement plus élevé. L’armée américaine exécuta onze soldats (la plupart pour viol ou meurtre), et il n’y eut aucune exécution dans l’armée australienne, malgré les pressions britanniques.
Le cas des soldats exécutés joua curieusement un rôle essentiel dans la résurgence du souvenir de la Grande Guerre dans la sphère publique pendant les années 1990. Dans l’imaginaire des Européens,
l’image des «fusillés pour l’exemple» fut remodelée comme l’exemple emblématique des victimes de cette guerre européenne si tragique. Les hommes politiques de chaque nation éprouvèrent soudainement le besoin de commenter ce qui jusqu’alors n’avait été qu’un point de l’histoire relativement obscur.
En 1998, le ministre italien de la Défense défendit l’idée qu’il fallait honorer la mémoire des 750 soldats de son pays exécutés pour avoir déserté. La même année, en Grande-Bretagne, le ministre de la Défense exprima des « regrets » pour la mort des 346 soldats fusillés, tout en n’allant pas jusqu’à défendre l’idée de les réhabiliter entièrement aux yeux de la justice par une grâce officielle, ce qui eût modifié leur statut légal.
Mais c’est en France, que la réhabilitation du souvenir des fusillés fut l’objet de la plus grande controverse. Le 5 novembre 1998, le Premier ministre socialiste Lionel Jospin déclara dans un discours à Craonne, à propos des fusillés des mutineries de 1917 : Qu’ils réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale.
Ceux qui avaient été fusillés pour mutinerie représentaient moins de 10 % du nombre total de soldats
français exécutés, sans parler du total de 1 300 000 Français qui périrent dans le conflit. Les adversaires politiques de Jospin lui reprochèrent d’avoir évoqué le souvenir des fusillés à des fins politiques partisanes, et donné l’impression qu’il préconisait ainsi la désobéissance au sein des armées de la République. Mais la droite comme la gauche s’engagèrent dans cette controverse avec une égale vigueur. Le seul fait qu’une telle polémique ait eu lieu montre combien la perception de la répression du refus de servir au temps de la Grande Guerre avait changé.