Les vrais héros du Moyen-âge…
Quand ils ne sont pas occupés à prier, ils défrichent, innovent et se lancent dans les affaires. Du XIe au XIIIe siècle, les moines inventent la France moderne.
Bien joué les frères !
Le temps liturgique rythme l’année, la semaine, la journée. Sept offices, auxquels viennent s’ajouter les messes solennelles et privées, se succèdent toutes les trois heures, de l’aube au coucher des moines (prime, tierce, sexte. none, vêpres, complies), puis une fois au milieu de la nuit (matines). Un horaire qui sauva la vie des moines quand le mur nord de la nef s’écroula en pleine nuit sur leur dortoir vide en 1103 !
Le temps se mesure à la romaine, selon la position du soleil, les premières horloges n’apparaissant qu’au XVe siècle. Le lever de l’astre marque la première heure, et son coucher la douzième. La durée des heures évolue donc au fil des saisons, l’horaire d’été faisant une place à une sieste réparatrice. Les nuits plus courtes ne laissent en effet pas le temps de se recoucher entre matines et prime à l’aube.
Si le repos pris dans les dortoirs communs semble restreint, que dire de la nourriture? Un seul repas par jour l’hiver, deux l’été, le jeûne étant de mise pendant le Carême et l’Avent. ainsi que les lundis, mercredis et vendredis. Ces jours-là. les portions sont réduites de moitié. Les repas sont à base de légumes secs ou frais, de poisson. d’œufs, de fromage, de pain et de vin. La viande n’est autorisée que pour les malades. d’où l’intérêt manifeste de certains pour l’infirmerie.
Cette vie ascétique et contemplative est entrecoupée d’activités nécessaires au fonctionnement de la communauté, même si les moines ne travaillent pas au sens productif où nous l’entendons aujourd’hui. Ce travail là vient du mot latin tripalium supplice du pal alors que celui des moines vient de labor qui signifie travail sur soi. Orare et laborare, la devise de Saint-Benoît, signifie prier et se construire.
Il y a fort à faire dans une abbaye qui construit de manière quasi ininterrompue et qui reçoit pèlerins, moines érudits, visiteurs ecclésiastiques et aristocratiques, voire royaux. L’abbé choisit régulièrement parmi les religieux ceux qui vont devenir pour un temps limité des frères officiers.
Le chantre s’occupe du déroulement des cérémonies, enseigne le chant aux enfants que leurs parents nobles ont donné à Dieu et aux novices (qui entrent au monastère à l’âge de 17 ans). Il a aussi en charge tout ce qui touche aux livres, y compris l’approvisionnement en plumes d’oie, parchemins en peau de mouton, cornes de bovidé servant d’encrier…
Le chapelain assiste l’abbé dans les tâches administratives. Le cellérier fait office d’intendant pour le boire et le manger, voire de gestionnaire de tous les biens matériels, terres comprises. Le camérier s’occupe des vêtements et de la literie ainsi que des ustensiles nécessaires au mandatum (lavement de pieds rituel pris en communauté le samedi soir). Lahôtelier accueille les visiteurs de marque et les pèlerins à cheval. alors que l’aumônier se charge des pèlerins pauvres qui vont à pied. Ces charges (officia) dispensent souvent d’assister aux offices. Et les officiers gèrent un budget propre, prélevé sur les offrandes des pèlerins ou les bénéfices de l’abbaye. L’exercice de ces fonctions ne doit toutefois pas être source d’oisiveté et d’enrichissement personnel car, dit clairement la Règle: personne n’aura quelque chose à soi, rien, absolument rien: ni livre, ni cahier, ni crayon, rien du tout.
Pour toutes les autres tâches matérielles (cuisine, entretien, services de l’hôtellerie, etc…) l’abbaye emploie des serviteurs laïques en nombre peut-être égal à celui des moines. Ces derniers en raison même de la configuration particulière du Rocher, n’ont ni potager ni verger à entretenir. En revanche, comme ailleurs, certains moines se consacrent à la copie de manuscrits, activité noble qui revêt une importance toute particulière. Les livres sont en effet consubstantiels au monachisme bénédictin. Ils servent aux offices, aux lectures édifiantes lors des repas au réfectoire, aux leçons des novices et des enfants.
A l’époque romane, âge d’or des manuscrits montois. il n’y a pas de bibliothèque proprement dite, Les livres sont conservés à plat, fermés par des chaînes et disposés dans les lieux où ils sont utilisés (églises, réfectoires, cloîtres). Ils sont vraisemblablement copiés dans un endroit où le moine trouve chaleur et lumière.
Les bénédictins qui se sont retirés du monde n’en voyagent pas moins pour acquérir de nouveaux livres et surtout pour administrer les prieurés dont ils tirent profit. Les retraites dans ces monastères dirigés par des prieurs et dépendant de l’abbaye, non soumis à la rude discipline du monastère, semblent être particulièrement appréciées. Mais c’est surtout l’abbé, élu par le couvent, qui communique avec le monde extérieur.
L’abbé étant le père spirituel et matériel des moines. Il a tout loisir de faire appliquer la Règle comme il l’entend. La non-observance de certains principes, les facilités accordées aux moines sur le plan matériel (confort, nourriture) sont ainsi utilisées par les abbés pour faire acte de résistance face à l’autorité du pape. Les papes interviennent avec vigueur pour appliquer la réforme, qui donne naissance à de nouveaux ordres plus stricts comme celui des cisterciens.
L’archevêque de Rouen, Eudes Rigaud, en visite épiscopale au Mont en 1256 et 1263. note l’absence des statuts de Grégoire IX, le pape, qui oblige les monastères à se réunir en congrégation au sein d’une province ecclésiastique. Cette marque d’indépendance pourrait être excusée si l’abbaye était bien tenue. Mais l’abbé est accusé d’être d’une brutalité inadmissible avec ses moines et de dilapider les biens de l’abbaye pour marier ses nièces. L infirmier, dit-on, sert «en gras» tous ceux qui se présentent. Et la vie dans les prieurés s’éloigne chaque jour de la Règle: on mange de la viande, on dort dans de molles couches, et des femmes parfois viennent manger au prieuré avec les moines! Les usages de 1258 visant à corriger ces dérives n’empêcheront pas le déclin du monastère. Pendant la guerre de Cent Ans, la nouvelle charge de l’abbé, désigné par le roi comme Capitaine du Mont, introduira encore un peu plus de temporel dans un lieu essentiellement tourné vers l’ascèse et la contemplation.
Le temps liturgique rythme l’année, la semaine, la journée. Sept offices sont célébrés de l’aube au coucher du moine.
Le temps liturgique rythme l’année, la semaine, la journée. Sept offices sont célébrés de l’aube au coucher du moine.