Les prêtres cathares sont les parfaits intronisés par le consalamentum, cérémonie qui absout de tous les péchés. Les parfaits refusent de prêter serment ou de siéger dans un tribunal car la justice humaine est d’essence diabolique. Ils ne portent pas d’armes et ne consomment pas de viande. Ils n’ont plus ni bien ni fortune qu’ils ont offerts à leur Eglise, qui est donc très riche. Ils subviennent à leurs besoins par le seul travail de leurs mains.
De la fuite à la prison, la trajectoire du dernier hérétique.
« Si tu pouvais revenir à de meilleurs sentiments et te repentir de ce que tu as fait contre moi, je te recevrais, puis tous les deux,. nous nous précipiterions au bas de celle tour et aussitôt, mon âme et la tienne monteraient auprès du Père céleste. Je ne me soucie pas de ma chair car je n’ai rien en elle : elle appartient aux vers »
Tels furent les propos que tint Guilhem Bélibaste à Arnaud Sicre, l’homme qui, au
printemps 1321, le trompa pour le conduire jusqu’au village de Tirvia, où il fut capturé. Ainsi se concluait une fuite qui avait commencé en 1309, lorsque Guilhem s’était échappé de la prison de Carcassonne pour
gagner l’Aragon , où s’étaient réfugiés de nombreux hérétiques.
Le parfait avait le pouvoir de ne plus pécher. S’il se laissait aller à quelque faute, toujours vénielle, mais importante pour lui, il récitait des pater, jeûnait et se mortifiait en attendant le servicium, confession globale faite en public qui avait lieu en principe tous les mois en présence de l’évêque ou du diacre, de parfaits et de croyants.
Seul le péché contre l’esprit et non pas seulement contre la règle trouvait difficilement le pardon. Si le parfait tombait dans le péché de la chair, il devait reprendre toute son initiation, sans grand espoir. Pourtant, sitôt la guerre et la persécution commencées, la règle de l’ordre fut plus difficile à suivre et les fautes plus facilement pardonnées.
Les parfaites, elles, étaient moins exposées à la tentation car elles résidaient en général dans des maisons. Elles soignaient les malades dans les hospices et se livraient rarement aux prédications itinérantes.
La prédication était la tâche principale du parfait. Il se mêlait à la population sans se faire tout d’abord reconnaître, comme colporteur ou marchand, médecin ou devin, et se rendait de foire en foire. Au cours des réunions et des veillées, il commentait un passage du Nouveau Testament et tâchait ainsi de faire de nouveaux adeptes.
Tant qu’ils purent, les parfaits prêchèrent tous les dimanches et les jours de fête. Le prêche dominical était pour le croyant le culte qui concurrençait la messe des catholiques. Ils intervenaient, pour aider les orateurs croyants, dans les discussions publiques les opposant souvent aux catholiques ou aux vaudois. Ils commentaient le comportement du clergé local, et citaient des passages de l’Évangile de saint Jean pour justifier la parole qu’ils répandaient.
Au temps de la persécution, ils poursuivirent leur apostolat, puissamment aidés par les croyants. Ainsi, Jacques Autier, membre d’une famille tout entière dévouée au catharisme, prêcha dans l’église du couvent de la Sainte-Croix à Toulouse, protégé par les Toulousains. C’était en 1305, à l’époque ou le Saint-Office répandait la terreur.
Outre l’apostolat par la prédication et les offices, les parfaits infatigables marcheurs, accouraient, au moindre appel, par tous les temps, dans les endroits les plus perdus, pour administrer le consolamentum des mourants.
Les parfaits allaient toujours par deux, deux femmes ou deux hommes. Le compagnon du parfait se nommait le socius, et ce compagnonnage permettait une surveillance mutuelle et une entraide sur le chemin du salut. Il est possible qu’une sorte de pacte ait existé entre le parfait et le socius. De toute façon leur destin était lié et, fréquemment, l’on vit les deux cathares arrêtés, jugés, condamnés et brûlés comme s’ils ne faisaient qu’un.
Il est certain que face à la vie déréglée de nombreux ministres catholiques, à la cupidité et à la liberté de mœurs des grands seigneurs, l’esprit de charité et la vie édifiante des Bons Hommes et des Bonnes Femmes leur valurent vénération et prestige. Même les inquisiteurs reconnurent leur pureté de mœurs, et furent saisis par la solidité de leur foi.
Les historiens n’ont enregistré que deux cas d’abjuration de parfaits. L’un d’eux Guilhem Solier abjura en 1229 pour échapper au bûcher et dénonça ses frères. C’est le seul reniement connu que provoqua chez les parfaits la peur du bûcher. Un seul !
Pierre Autier, père de Jacques Autier, monta calmement sur le bûcher dressé pour lui à Carcassonne en déclarant : S’il m’était permis de prêcher, je convertirais tout le peuple à ma foi.
On vit le même renoncement chez les parfaites. Elles se cachèrent dans des lieux isolés, sans aucun soutien et sans aucun secours. Certaines furent arrêtées et brûlées, d’autres disparurent, mortes de privations. La sœur d’Arnaud de La Mothe et ses compagnes moururent ainsi de froid et de faim dans une sorte de caverne près de Lanta dans le Lauraguais.
Le nombre des parfaits ne peut pas être fixé. Jusqu’en 1240-1260, on l’estime, d’après le résultat des enquêtes de l’Inquisition, a plus d’un millier, dont 342 parfaites, 20 évêques et 42 diacres. La noblesse y était représentée dans un pourcentage de 8 % avec une majorité de femmes. Mais ces chiffres sont certainement très inférieurs à la vérité. Les parfaits, on l’a vu, circulaient par deux et au cours des enquêtes il arrivait souvent qu’un seul nom soit connu. De plus, dès le début des persécutions, des bonshommes se fondirent dans la population et il est certain que plusieurs centaines parvinrent à passer à travers le filet de l’Inquisition. Ils ne figurent donc pas ici. Ces chiffres ne concernent sans doute que les parfaits martyrs livrés au bras séculier.