Le scandale de la Tour de Nesle

Une légende tenace a fait de la tour de Nesle une lieu de maléfices, associant le crime à l’adultère. Est-ce là que les tois belles-filles de Philippe le Bel trompèrent leurs époux ?
Nul ne le sait vraiment, mais le châtiment du roi fut exemplaire.

Jeanne et Buridan
On raconta que le philosophe Buridan, maître fameux de l’université de Paris, avait failli être la victime de Jeanne, cette reine dévergondée.
Au bout de trois journées d’orgie, elle le fit jeter dans la Seine. Mais les étudiants de Buridan avaient mené sous la fenêtre un bateau chargé de foin. Le bon maître sortit dons indemne de cette aventure.
Dans sa ballade des dames du temps jadis, François Villon évoque cette légende :
« … Semblablement où est la reine. Qui commanda que Buridan fût jeté en un sac en Seine ? »

La justice du roi frappa comme la foudre.

Un crime de haute trahisonEst-ce à la tour de Nesle que les brus du roi Philippe le Bel trompèrent leurs époux avec deux beaux écuyers ? Nul ne le saura jamais, car les textes de l’époque ne précisent point les circonstances de leurs rencontres clandestines ; ils s’en tiennent aux faits.
Philippe le Bel avait trois fils et une fille : le futur Louis X le Hutin, déjà roi de Navarre ; le futur Philippe le Long, comte de Poitiers ; le futur Charles IV le Bel, comte de la Marche, et Isabelle, qui avait épousé le roi Edouard II d’Angleterre. Le futur Louis X était l’époux de Marguerite, fille du duc Robert II de Bourgogne. Philippe était l’époux de Jeanne, fille d’Othon, comte palatin de Bourgogne (Franche-Comté) et de Mahaut d’Artois. Le futur Charles IV était l’époux de Blanche, sœur de Jeanne. Depuis la mort de la reine, c’était les trois brus du roi qui régentaient la maison royale. Nul ne les surveillait. Il était admis depuis le fond des temps que les princesses capétiennes ne pouvaient être soupçonnées d’infidélité. Le hautain souvenir de Blanche de Castille restait toujours présent. Les trois brus redoutaient leur beau-père, mais il était constamment occupé et fréquemment absent. Elles ne craignaient guère leurs jeunes maris qui n’étaient certes pas à la hauteur de leur père, excepté Philippe.
Philippe le Bel fut informé de la conduite de ses brus. Il se retira à Maubuisson pour méditer et prendre sa décison. Il pouvait étouffer l’affaire en éliminant discrètement les frères d’Aunay et, sinon, provoquer un scandale sans précédent dans les annales capétiennes. Cruel dilemme ! Car il ne s’agissait pas à ses yeux d’un simple adultère, mais d’une catastrophe engageant l’avenir de la dynastie. Il était inconcevable que l’on pût soupçonner les princesses de la maison royale.
Il se peut aussi que le scandale, assez répandu, fût impossible à étouffer. C’est sans doute pourquoi Philippe le Bel décida de le rendre public, au risque de ridiculiser ses fils. Sans doute les consulta-t-il. Seul le futur Philippe le Long était à même de donner un avis sensé : d’ailleurs le cas de sa femme semblait moins grave. De toute manière, ni lui ni ses frères ne pouvaient s’opposer à la volonté de leur pèle. La justice du roi frappa comme la foudre. Les trois princesses furent arrêtées et jetées en prison. Il en fut de même de Philippe et Gautier d’Aunay.

Les deux écuyers furent savamment et longuement torturés.

Le cas des deux écuyers était impardonnable. En droit féodal, l’adultère commis avec la femme de son seigneur était assimilé au crime de haute trahison et puni de mort. Mais de plus, le crime de frères d’Aunay s’aggravait de lèse-majesté puisqu’il s’agissait de princesses royales.
Ils furent savamment et longuement torturés. Philippe d’Aunay finit par avouer qu’il était l’amant de Marguerite, reine de Navarre, et Gainier, de Blanche, comtesse de la Marche. L’un et l’autre, sous l’empire de la douleur, donnèrent tous les détails de leur double liaison qui remontait à deux ans et demi, les lieux de leurs rencontres, les noms de leurs complices. Interrogées, mais non torturées, les princesses commencèrent par nier.
Les aveux des frères d’Aunay les confondirent. Marguerite et Blanche reconnurent leur faute. Quant à Jeanne, elle protesta avec tant de véhémence qu’elle impressionna ceux qui l’interrogeaient, mais enfin elle était coupable de ne pas avoir dénoncer les fautives, sinon même d’avoir facilité les rendez-vous.

Elles furent dépouillées de leurs atours, tondues

Une légende tenace a fait de la tour de Nesle une lieu de maléficesMarguerite et Jeanne furent dépouillées de leurs atours, tondues et conduites dans la forteresse de Château-Gaillard. Jeanne implora le pardon de Philippe le Bel, réclama vainement un jugement contradictoire. Elle fut menée au château de Dourdan dans un chariot bâché. Tout au long du chemin, elle criait aux passant : Pour dieux, dites à mon seigneur Philippe que je meurs sans péché !
L’exécution des frères d’Aunay eut lieu à Pontoise et fut une boucherie. ils furent roués, écorchés vifs, châtrés, puis décapités et l’on suspendit leurs dépouilles sans tête à un gibet. On rapporte que Blanche et Marguerite, enfermées dans leur chariot, assistèrent à ce supplice. De là, elles gagnèrent Château-Gaillard.
Marguerite fut placée à dessein dans une salle haute, copieusement éventée. Elle passait ses journées à se lamenter, à pleurer. Elle ne put résister à l’humidité glacée et aux courants d’air, et mourut bientôt. Blanche s’accrochait à la vie ; elle espérait obtenir son pardon. On l’avait enfermée dans une salle basse, moins inconfortable. Elle se consola comme elle le put et devint grosse de son geôlier. Au bout de sept ans de captivité, on l’interrogea à nouveau, non pas sur l’adultère avec Gautier d’Aunay, mais parce que son époux voulait faire annuler leur mariage : en droit canonique, l’adultère n’était pas un cas d’annulation ! Au cours de cet interrogatoire, elle se montra fort calme, résignée, presque rieuse. Tant de bonne volonté méritait récompense ! On lui permit de se retirer à l’abbaye de Mauhuisson, où elle mourut en 1326. Quant à Jeanne, ses protestations d’ innocence portèrent leurs fruits. Après la mort de Philippe le Bel, son époux la reprit et, par la
suite, elle devint reine de France.

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