Elle fascine depuis l’Antiquité. Que se cache-t-il derrière les pratiques d’une dureté inouïe mises en place pour éduquer les jeunes Spartiates ?
Hilote
Habitant réduit en esclavage.
Propriété de la cité, les hilotes étaient, selon Hérodote, sept fois
plus nombreux que les Spartiates, ce qui alimentait la crainte d’une rébellion et justifiait l’éducation rigoureuse des citoyens.
Eduqués au combat
Vous arrivez au Platanistas, endroit qu’on nomme ainsi, parce qu’il est entouré de platanes très hauts et qui se touchent. Cet endroit destiné aux combats des adolescents est entouré d’un canal plein d’eau qui en forme une île.
Un peu avant midi, ils entrent dans le Platanistas par les deux ponts. Le sort a décidé dans la nuit précédente par quel pont chaque bataillon doit entrer. Là, se livre à coups de poing, à coups de pied, un violent combat; on cherche à s’entre-arracher les yeux, on se mord, on se presse corps à corps: une troupe tombe sur l’autre, et chacun s’efforce de pousser dans l’eau son adversaire. »
Ces citoyens, au nombre d’environ 8 000 vers le début du Ve siècle, sont imbus de leur supériorité, bien qu’ils aies des droits limités, et surtout des devoirs. Tout travail manuel leur étant interdit, ils vivent de leur dot de terre et doivent, de 20 à 60 ans, être en permanence à la disposition de la cité pour s’entraîner en commun aux exercices militaires et, le cas échéant, prendre part à la guerre ; ils constituent une caste d’aristocratie militaire, formée dès l’adolescence dans un collectivisme radical, et soudée tout au long de la vie par la pratique quotidienne des repas en commun, par groupes de quinze, pour lesquels chacun doit pouvoir payer son écot sous peine de déchéance civique ; ces repas sont en principe frugaux, la spécialité des cuisiniers de Sparte est le brouet noir, sorte de ragoût ou de civet ; on peut boire du vin, mais il est interdit de s’enivrer ; ceux qui ne respecteraient pas les règlements sont passibles de châtiments immédiats tels que la bastonnade, ou de sanctions plus sévères pouvant aller jusqu’à la peine de mort, en cas de manquement grave à la discipline.
Les Homoioï sont tenus de se marier, vers l’âge de 30 ans, pour avoir des enfants, en petit nombre, par souci de ne pas trop diviser les terres qu’ils possèdent, mais en engendrant au moins un garçon, dont la survie dépend de l’avis des vieillards de la famille : dans une optique d’eugénisme, seuls sont conservés les enfants qui paraissent de constitution normale, les autres étant abandonnés dans les montagnes environnantes ou précipités dans un gouffre.
La vie privée du citoyen est strictement contrôlée, et tout luxe lui est interdit dans les maisons : des vérifications sont faites à l’improviste par des inspecteurs, et l’on fait en sorte que la vertu du citoyen soit entretenue par la crainte.
L’éducation des enfants acceptés est assurée d’abord par les femmes puis, à partir de l’âge de 7 ans, par des sortes de fonctionnaires de la cité, les pédonomes, qui, tout en veillant à leur formation intellectuelle et artistique, leur inculquent le sens des valeurs guerrières (force, endurance, sobriété, bravoure, discipline, solidarité, ruse à l’occasion).
Xénophon présente trois moments successifs qui scandent la formation d’un garçon. D’abord, vers 7 ans, il appartient aux paides (enfants) ; on lui apprend déjà l’obéissance et l’endurance et certainement les lettres et le calcul. Vers 14 ans, il rejoint les paidiskoi (adolescents) puis, à 20 ans, et pour une dizaine d’années, les hèbôntes (jeunes hommes).
Cette répartition a pu évoluer : cinq siècles plus tard, Plutarque distingue les paides et les neoi, avec une coupure à l’âge de 12 ans.
Il est vraisemblable qu’à toute époque les prescriptions à respecter aient été de plus en plus dures et astreignantes quand les enfants prenaient de l’âge. De nombreux textes font paraître la part des châtiments corporels dans les habitudes éducatives de Sparte : des coups pouvaient être portés sur un garçon par n’importe quel adulte qui le jugeait bon, comme par son père. Et Xénophon indique même que, quand un enfant frappé par un autre père va se plaindre au sien, il serait honteux pour celui-ci de ne pas infliger à son fils de nouveaux coups. Tant est grande la confiance mutuelle des Spartiates qu’on ne saurait donner à leurs enfants d’ordre déplacé !
Tout manquement était par ailleurs sanctionné par des coups de fouet, administrés par les auxiliaires du magistrat chargé de l’éducation de tous les garçons de la cité, le pédonome. Ce personnage est un des hauts responsables de Sparte, élu pour un an par les citoyens.
D’autres traditions avaient encore pour objectif d’aguerrir les corps et les âmes. Les jeunes Spartiates étaient volontairement insuffisamment nourris dans leurs repas quotidiens et incités à voler, sans se faire prendre, pour se sustenter. Xénophon justifie l’usage et souligne son caractère éducatif : une sanction devait frapper les mauvais voleurs, ceux qui étaient pris.
Des luttes étaient par ailleurs organisées, certainement déjà au IVe siècle avant notre ère, voire auparavant, au Platanistas : il s’agissait d’une île – peut-être artificielle –, entourée de platanes, d’où son nom. Dans ces combats acharnés, selon Pausanias qui écrit au IIe siècle de notre ère, tous les coups étaient permis. Les jeunes gens se frappaient, se mordaient, cherchaient à s’arracher les yeux, écrit-il. La victoire était acquise au groupe qui avait propulsé dans l’eau tous les membres du groupe ennemi.
Les jeunes filles Spartiates ne pouvaient être négligées, puisqu’elles avaient vocation à fournir à la cité des enfants vigoureux et devaient être elles-mêmes aussi vigoureuses qu’une femme grecque pût l’être. Comme les garçons, les jeunes filles avaient une éducation obligatoire, fait assez rare dans le monde grec.
Xénophon écrit ainsi que Lycurgue a pensé que même des esclaves suffisaient pour confectionner les vêtements, et que le rôle essentiel des femmes libres consistait à enfanter; aussi a-t-il d’abord prescrit des exercices corporels pour le sexe féminin non moins que pour l’autre. Il a ensuite décidé que les filles, tout comme les garçons, lutteraient entre elles de vitesse ou de force, car il estimait que, si les parents sont tous deux robustes, leurs enfants le sont davantage eux aussi.
En réalité, une étude minutieuse de l’ensemble des sources n’a pas permis de trouver la trace de pratiques gymniques féminines autres que la course. Mais il demeure que, pour tenir leur rôle dans certains chœurs, les filles et les femmes de Sparte devaient aussi pratiquer au moins la danse et le chant choral. Elles chantaient notamment des poèmes écrits pour elles, les parthénées. L’éducation des jeunes filles prenait fin à leur mariage, une des finalités de leur éducation avec la procréation.
A la fin de leur formation, certains jeunes gens étaient distingués, semble-t-il, moins en fonction de leurs relations sociales que de leurs mérites propres, et ce à l’occasion d’une pratique qui revêtait à proprement parler un caractère initiatique leur donnant l’occasion de s’illustrer : la cryptie.
Dans ce « merveilleux exercice d’endurance », selon les mots de Platon dans les Lois, les jeunes gens, membres du groupe des hèbôntes, étaient envoyés hors des cités, où ils devaient se cacher peut-être pendant une année, sans chaussures, sans provisions et sans arme autre qu’un poignard.
Les historiens ont vu dans la cryptie une activité initiatique caractérisée, qui serait une période d’inversion puisque le crypte agit d’une façon contraire à celle de l’hoplite qu’il est appelé à devenir : au contraire de ce soldat lourdement armé, le crypte est presque sans arme ; il est solitaire et erre dans les montagnes, alors que l’hoplite combat en groupe et de préférence en plaine; le crypte serait actif en hiver quand l’hoplite combat entre le printemps et l’automne; le crypte serait un adepte de la ruse pour tuer un hilote, un esclave, par surprise, alors que les hoplites réunis en phalange se combattent face à face sans surprendre par leurs attaques ordonnées ; les actions des cryptes seraient nocturnes quand les hoplites se battent au grand jour.
Les anciens cryptes sont sans doute amenés à occuper des postes particuliers dans l’armée, à assurer des missions de reconnaissance voire participer à des commandos d’élimination d’adversaire par exemple. Parmi leurs cibles, les potentiels meneurs de révoltes hilotiques occupent une place importante : la cryptie permet donc, aussi, de garantir la sécurité de Sparte. On conçoit que de tels usages, visant à aiguiser l’efficacité dans l’action, aient probablement concerné un tout petit nombre de jeunes gens capables physiquement et mentalement de les exercer. Traversant le temps, le récit de leurs exploits a durci l’image de Sparte.
Syssition
Ce terme renvoie au partage en commun d’une nourriture. C’est la cellule sociale de base à Sparte :. Durant ces repas se racontaient les hauts faits de citoyens, ce qui en faisait des moments d’éducation à part entière.
Syssition
Ce terme renvoie au partage en commun d’une nourriture. C’est la cellule sociale de base à Sparte :. Durant ces repas se racontaient les hauts faits de citoyens, ce qui en faisait des moments d’éducation à part entière.