Il ne reste plus à Varsovie que quatre jours à vivre libre (le1er septembre, la capitale sera prise à revers par la IIIe armée allemande) et que vingt-quatre jours à vivre : le 27, défendue par un général polonais qui s’appelait Rommel, la ville capitulera.
A Varsovie, ce 3 septembre, peu après midi, après les effrois de la matinée, les alertes et les bombardements, après les pleurs d’une population qui se presse dans les églises, c’est une explosion de joie.
En un instant, les rues de Varsovie se remplissent d’un monde hurlant et chantant. Les plus exaltés s’embrassent, ou pleurent, cette fois-ci en riant. La population vient. d’apprendre l’entrée en guerre de la Grande- Bretagne et l’ultimatum de la France. Les ambassades des deux grands pays alliés sont assiégées par une foule joyeuse qui dépose des brassées de fleurs et de lettres, qui chantent le God save the King et la Marseillaise.
Miracle : il n’y a pas d’alerte, pas de bombardiers allemands. La population y voit un signe, qui confirme son bonheur et ses espérances. Le ciel appartient aux chasseurs britanniques ou français, qui vont venir… La fin d’après-midi est belle à Varsovie.
A Paris, la matinée est voilée, le ciel nuageux. Les kiosques à journaux s’ouvrent et les éditions dominicales sont arrachées. « Hitler a choisi » titre le Petit Parisien, et le Führer est traité de « monstre anormal » dans le Peuple. C’est impossible maintenant d’y échapper, constate le Journal. le Figaro conseille : « Eteignons les lumières », et fait savoir que les bureaux de poste seront ouverts aujourd’hui, dimanche, jusqu’à midi. Mais le métro circulera à réseau réduit et les quelques lignes d’autobus qui sont encore en service s’arrêteront à 20 h 30.
Les théâtres ferment. Quelques cinémas seulement restent ouverts : les Cinéacs et les Ciné-Paris-Soir, le Paramount, certaines salles des Champs-Elysées ou des boulevards, comme le Paris, qui affiche Vers sa destinée. Les réunions hippiques sont annulées. Restent les piscines : elles ne désempliront pas.
Restent aussi, ce dimanche, les églises : une foule fervente s’y presse. A la basilique du Sacré-Cœur et à Notre-Dame-des-Victoires, où l’on célèbre la messe pour le départ des conscrits, les fidèles se tiennent jusque sur les parvis. Il se met à pleuvoir.
La pluie cesse au début de l’après-midi. Un peu partout, à l’entrée des immeubles, les concierges peignent le mot « abri » en grandes lettres blanches. Sur les Champs-Elysées, les promeneurs du dimanche apparaissent. Les terrasses des cafés sont envahies. Les consommateurs regardent paisiblement la longue file d’attente qui s’étire sur l’avenue, devant le centre spécial de recrutement où les étrangers peuvent s’enrôler pour la France.
Eric von Stroheim sera du lot. La vedette monoclée de la Grande Illusion, qui possède le diplôme de l’Académie militaire autrichienne avec le grade de lieutenant, a écrit au ministère de la Guerre pour offrir ses services.
Au Quai d’Orsay, c’est le silence, le vide. A l’ambassade des Etats-Unis, une agitation fébrile. Les citoyens américains demandent à être évacués.
A l’ambassade d’Allemagne à Paris, ce sont les scènes de l’ambassade de France à Berlin. Le chargé d’affaires Bauer et les cent trente membres du personnel quittent l’ancienne demeure du duc du Maine. Ils prennent un train spécial à la gare des Invalides. Le préfet de police surveille leur départ. Bauer s’approche de lui et le remercie.
Langeron s’incline sèchement. Le train, composé de neuf wagons-salons, s’ébranle. Il prendra la direction de la Suisse. Les frontières sont fermées entre la France et l’Allemagne.