Ciseaux, couteaux, faucilles… rien ne résiste à la meule du rémouleur, qui se promène partout avec sa voiturette bringuebalante. Une fois installé, impossible de ne pas reconnaître le crissement régulier et tellement familier de l’acier sur sa meule
La voiturette du rémouleur était un engin bizarre, bringuebalant, fait de poulies, de roues et de courroies. Une bâche, tendue en toit, permettait à son utilisateur de défier les intempéries. Sur la route, l’homme s’attelait aux brancards et tirait à la bricole. Parfois, il se faisait aider d’un chien. Parvenu sur la place du village, à l’ombre des tilleuls en été. à l’abri d’un pignon en hiver, le rémouleur s’installait. Il posait une planche sur les brancards, il s’asseyait dessus et il lançait la machine. Le mécanisme était actionné par une pédale. Une boîte de conserve percée distillait les gouttes d’eau qui mouillaient la meule. Le crissement de l’acier sur la pierre avertissait la clientèle. L’une apportait ses ciseaux, l’autre, ses couteaux et le coupe-choux de son homme, une troisième, sa faucille, sa hachette ou sa pique à boudin. L’endroit devenait vite le rendez-vous des commères qui, dans l’attente de leur tour, profitaient du repassage des lames pour s’aiguiser la langue.
Le rémouleur d’autrefois se déplaçait quelquefois en famille. Sur le chemin qui menait d’un village à l’autre, tandis que l’homme se rompait les reins à tirer la voiturette, la femme transportait le pauvre fourniment ménager et la bâche sous laquelle, la nuit, se serrait la tribu. Les enfants, quant à eux, dérobaient les légumes dans les jardins, les fruits dans les vergers, les oeufs dans les poulaillers, au hasard des aubaines qui se présentaient à portée de menotte. Il était clair que ces gagne-petit ramasaient plus en chapardant qu’en tournant la meule.