Grands et petits pères du peuple du XXIe siècle sont en voie d’extinction. Mais il reste encore de jolis spécimens qui ont habilement mué. Revue de détail non exhautive.
Il est l’une des premières brutes sanguinaires de l’Afghanistan. Le général ouzbek Abdul Rachid Dostom est roi en son fief de Mazari-Charif, d’où il contrôle une bonne part du nord-ouest du pays. On l’a décrit comme analphabète, ivrogne, fou… Un caractère hors norme pour cet ancien plombier qui sait user d’une terreur rustique et implacable. Agé de 52 ans, Dostom a combattu ces trente dernières armées avec les Soviétiques, puis avec et contre les moudjahidines, avec et contre les talibans, avec et contre la CIA et le gouvernement d’Hamid Karzaï (dans lequel il fut vice-ministre de la défense).
L’essentiel pour Dostom est de tenir son fief, point de transit de tous les trafics vers l’Asie centrale. Sa milice est une véritable armée avec laquelle le général ne plaisante pas.
Le journaliste Ahmed Rachid raconte sa première rencontre, en 1997, avec celui que les Russes surnommaient l’« Ours ouzbek ». « J’arrivai dans la forteresse; la cour était maculée de sang et de morceaux de chair. Les sentinelles me dirent que Dostom venait de punir un soldat accusé de vol. L’homme avait été attaché aux chenilles d’un char russe qui avait ensuite fait plusieurs fois le tour de la cour, transformant son corps en chair à pâté sous le regard de Dostom et de sa garnison. »
Plus tard, après la chute des talibans, le général reçoit vautré dans une copie de fauteuil Louis XV, entouré de gardes du corps de la CIA et de paons. Il est accusé de l’élimination de près de 3 000 talibans à Shebergan, et s’en défend en riant. En 2002, après la bataille pour la prise de Kunduz, ses troupes récupérèrent des milliers de prisonniers. Entassés dans des conteneurs chargés dans des camions, ils ont été mitraillés ou abandonnés dans le désert. Le scandale dura quelques mois. Mais les Américains et leurs alliés avaient besoin de l’« Ours ouzbek ».
C’est au moment du massacre d’Andijan, en mai 2005, que Karimov, 69 ans, ex-premier secrétaire du PC ouzbek devenu « nationaliste » au moment de l’indépendance, en 1991, s’est fait connaître en Occident. Il avait fait tirer sur une foule de manifestants pacifiques, qui dénonçaient un procès injuste contre des entrepreneurs accusés d’être de dangereux islamistes. L’armée a achevé les blessés et a emporté les morts pendant la nuit.
« Ce n’était pas le premier massacre du genre, c’est juste le premier qui a dépassé nos frontières », a dit TalibYakubov, ex-opposant exilé en France. « Tous les opposants me l’ont dit, le régime de Karimov est pire que le régime soviétique. Car il y a les tortures en plus. Certains prisonniers politiques ont été plongés dans l’eau bouillante jusqu’à ce que mort s’en suive », ajoute Craig Murray. Cet ambassadeur britannique à Tachkent fut rappelé à Londres par Sa Majesté pour ses prises de position sur les droits de l’homme jugées « excessives ».
Karimov s’était rapproché de Washington après le 11 septembre 2001, au moment de l’opération antitaliban en Afghanistan. S’érigeant en champion de la lutte antiterroriste, il en a profité pour se débarrasser de tous les opposants, défenseurs des droits de l’homme, journalistes indépendants et ONG, accusés de crimes délirants, jugés à huis clos, puis emprisonnés et torturés. Les méthodes de terreur utilisées ont poussé à l’exil les rares dissidents qui restaient.
Karimov, a fermé la base américaine dans son pays et rompu avec les Etats-Unis, qui devenaient plus regardants sur les droits de l’homme après Andijan. Mais le tyran n’était pas isolé pour autant. Il avait renoué avec Moscou, ravi de le voir se détourner des Américains, qui lui offrait un généreux soutien.