Parmi toutes les conquêtes féminines de Benito Mussolini, Clara Petacci tient une place à part, sinon la première. Non seulement parce qu’elle lui est restée fidèle jusqu’à partager sa mort (ce qui est une preuve d’amour absolue) mais surtout parce que sa présence auprès de lui paraît avoir eu une influence apaisante sur le dictateur vieillissant, accablé par les épreuves.
Paolo Monelli nous la dépeint ainsi :
Clara Petacci était alors, en 1936, à vingt-quatre ans accomplis et déjà séparée de son mari, une gracieuse jeune femme, aux cheveux noirs bouclés, coupés court, qu’elle devait tous les soirs tordre en des douzaines de papillottes, aux yeux clairs entre le gris et le vert. Elle avait appris à sourire en pinçant légèrement les lèvres pour ne pas montrer ses gencives, car elle avait de petites dents.
Bien proportionnée, de taille moyenne et la gorge un peu exubérante, mais au demeurant de forme délicate, les jambes fines et une voix basse, chaude, un peu rauque : une de ces voix qui paraissent chargées de promesses, d’abandon, de mélancolie. Il y avait une raison pathologique à cela : un mal de gorge dont elle souffrit dans son enfance et dont elle ne guérit jamais tout à fait.
Clara Petacci toutefois paraissait florissante ; parfois avec une ombre de tristesse dans les yeux et sur son visage. Elle était vive, enjouée, rieuse mais de tempérament assez passif. Elle était capable de rester des heures dans sa chambre à lire des magazines, à écrire des vers ou simplement à rêvasser.
Elle était encore adolescente quand elle avait commencé à dédier des vers à Mussolini et à les lui envoyer. Pour elle, comme pour des milliers de jeunes Italiennes, le Duce était une idole. Dans sa chambre, les murs étaient couverts de photos du grand homme. Elle le croyait inaccessible.
Pour Mussolini, c’est un printemps qui entre dans sa vie. Il va sur ses cinquante-quatre ans, surchargé de soucis, au pouvoir depuis quatorze ans, sans véritables amis, souffrant de maux d’estomac. Clara, Claretta, par sa jeunesse, sa vivacité de caractère, son rire communicatif, sa totale disponibilité et sa fougue sensuelle, le séduit plus que toute autre femme.
Dès leur première étreinte, là, au palais Venise, dans la salle de la Mappemonde, c’est un éblouissement. Il va se lier à cette jeune femme avec une impatience, une tendresse, une ardeur nouvelles, une passion jalouse et violente qu’il éprouve pour la première fois avec une telle intensité, une telle plénitude.
Très vite, il a un immense besoin d’elle. Il veut la voir chaque jour. Il lui téléphone sans cesse pour qu’elle aille à l’Opéra, aux cérémonies officielles, pour la voir de près et lui faire discrètement des signes d’intelligence.
Il bouleverse ses habitudes. Il lui ouvre son appartement privé au palais Venise : l’appartement Sybo, dont bien peu connaissent l’existence et auquel on n’accède que par son ascenseur particulier ou par le salon royal. Ainsi peut-il la sentir à ses côtés et, entre deux audiences, la serrer dans ses bras.
Clara Petacci va prendre l’habitude de venir tous les après-midi au palais Venise. Durant la guerre, lorsque la circulation des voitures particulières sera interdite, le déplacement quotidien de la jeune femme à l’appartement Sybo donnera lieu à un pittoresque ballet policier.
Un taxi, toujours le même, viendra la chercher pour la déposer en bas, sur une place, où elle ira s’asseoir dans une automobile fermée et aux rideaux tirés qui la mènera au palais Venise. Une coûteuse installation de signaux électriques s’étendra de la villa au palais.
L’agent de service à la grille de la villa, quand il verra sortir Clara, pressera un bouton, l’agent qui se trouvera sur la place fera de même, puis celui qui sera en poste dans la rue Astalli pour prévenir l’agent posté dans la cour du palais…
Clara entre par le portail donnant sur la rue des Astalli et monte directement par l’ascenseur dans l’appartement Sybo. Elle y reste des heures à attendre son seigneur et maître, lisant et rêvant, ou bavardant longuement avec l’huissier-valet de chambre, Quinto Navarra, quand celui-ci vient lui servir le thé.
Elle ne sort jamais de l’appartement. Tout au plus, elle se risque, parfois, jusqu’au seuil de la salle royale où là, près de la porte, assise à une table d’huissier, elle fait une réussite, prêtant l’oreille au pas lourd du Duce quand il traverse la pièce voisine, la salle des Batailles, pour venir la rejoindre.
Bientôt, cependant, le naturel des pulsions sauvages du Duce revient au galop. Il la trompe
avec sa sœur mineure, puis ils pleurent ensemble en écoutant La Bohème. Il l’initie à l’ondinisme (un jeu sexuel) et la prévient: » Pourquoi mon amour se manifeste-t-il avec cette violence ? J’ai besoin de t’écraser, de te mettre en pièces.«
Quand le peuple découvre leur relation, Clara est détestée, on l’appelle « la Pompadour ». En 1940, la passion tourne au poison. En 1942, c’est l’humiliation des troupes fascistes sur le front russe. Plus Mussolini flaire l’issue de la guerre, plus il devient frénétique et brutal. Mais la séparation d’avec Clara semble impossible et se mue en jeu sadomasochiste fait de cruautés et de drames incessants. Il abesoin de sa dévotion outrancière, elle a besoin de l’adorer.
Elle est surnommée «la chienne de Mussolini», mais ne s’en offusque pas tellement, car elle sait qu’elle le suivra jusqu’au bout.
Qui aime meurt.Je suis mon destin, et mon destin c’est lui.
Le 28 avril 1945, sa prémonition se vérifie. Alors que Benito tente de fuir sur la route du lac de Cônie déguisé en soldat allemand, il est capturé par les partisans pour être fusillé avec sa maîtresse.
Avant l’exécution, elle lui demande: « Es-tu content que je t’aie suivi jusqu’au bout ?«
Pas un mot de réponse, pas un dernier regard de son Duce chéri. Les coups de feu retentissent, comme en écho aux amours mortes depuis longtemps.