Parce qu’elle était jeune et très belle, ça s’est passé comme ça : on l’a enlevé un beau matin de 1964 sur le chemin de l’école, on l’a séquestrée et, à 14 ans et demi, on l’a mariée de force à un homme de 44 ans : Jean Bédel Bokassa.
Catherine Denguiade se rend à pied tous les matins au lycée Pie-XII de Bangui, démarche chaloupée et gracieuse. C’est une belle jeune fille de 15 ans à la silhouette déliée, timide et sérieuse. Subitement, son destin vire au cauchemar lorsque sa route croise celle du chef d’état-major de l’armée centrafricaine, un individu aussi amoral que concupiscent. Il fait enlever Catherine par ses soldats, la séquestre et la viole … avant de soudoyer ses parents pour l’épouser de force. On ne dit jamais non à un personnage aussi puissant. D’ailleurs, les mariages arrangés n’ont rien d’inhabituel en Centrafrique, et personne ne songe à demander son opinion à la principale intéressée.
Catherine sera chronologiquement la septième femme de Jean Bédel Bokassa mais non pas la dernière, car il en épousera huit autres. Qu’elles soient blondes, brunes, rousses, charnues ou menues, les femmes sont collectionnées par Bokassa comme des trophées, et il les enferme dans des palais jalousement gardés. Qu’un homme s’avise d’en regarder une d’un peu trop près, et sa fureur explose. Un jour, il tue un domestique en le frappant avec une canne. Une autre fois, il dépèce un importun à coups de chaîne. Mais devant Catherine, il apprend à filer doux. Elle réussit à dompter la bête en lui opposant un calme inouï. Il ne comprend pas sa froideur, l’absence de son regard, ce vide étrange à la place de la terreur qu’il devrait lui inspirer. Jean Bédel se met alors à respecter cette énigme vivante.
La jeune femme n’a pourtant rien pardonné. Faute de pouvoir s’échapper, elle décide de régner et parvient à éclipser les autres épouses.
Le 4 décembre 1977, Bokassa se fait sacrer empereur façon Napoléon, grotesque dans son costume de maréchal Ney. Catherine s’arrange pour devenir sa Joséphine, même si le diadème est un fardeau. Elle y gagne en liberté.
En 1979, elle est officiellement reçue à Paris par le couple présidentiel Giscard d’Estaing, dévalise les boutiques de l’avenue Montaigne, donne des réceptions.
Elle veut oublier la chambre conjugale nantie d’un lit rond hydraulique, avec des miroirs au plafond et un magnétoscope où le dictateur se passe en boucle La Victoire en chantant, de Jean-Jacques Annaud.
Catherine saisit bientôt l’occasion de prendre ses distances, car la folie du tyran a atteint son paroxysme. Il est accusé d’avoir participé au massacre d’une centaine d’enfants dans la prison de Bangui; son chef de cuisine affirme avoir servi aux membres du gouvernement un de leurs collègues, à leur insu et sur ordre direct de Bokassa. La fin de règne s’accélère. Catherine lui téléphone de France pour le prévenir qu’il doit impérativement abdiquer.
Il croit qu’elle le trompe avec Valéry Giscard d’Estaing.
Sa paranoïa précipite sa déchéance et son exil en Côte d’ivoire. Catherine l’y rejoindra brièvement, puis elle profitera de la débâcle pour s’enfuir et se réfugier en Suisse. La jeune fille sage peut reprendre son chemin. Enfin seule.