L’opération Typhon doit impérativement être terminée avant le mois de novembre, puisque rien n’a été prévu pour une campagne d’hiver.
Pendant que les forces de Rundstedt achèveraient la conquête de la Crimée et de l’Ukraine, où l’aviation signalait des régions où régnait un vide complet, le groupe d’armées Centre, dans une opération de grand style, ferait d’une pierre deux coups. Avant de s’emparer du noeud ferroviaire de Moscou et de couper en deux les armées soviétiques de la Baltique à la mer Noire, il détruirait, en avant de Smolensk, les dernières formations constituées de l’armée Rouge. Hitler accepta aussitôt ce plan qui avait les faveurs passionnées de l’O.K.H. Barberousse pourrait se terminer, comme prévu, avant les grands froids.
En vue de l’opération Typhon, le groupe d’armées Centre de Bock disposait des meilleures forces de la Wehrmacht. L’ensemble paraissait impressionnant, atteignant près d’un million et demi d’hommes avec 44 divisions d’infanterie, 14 de panzers et 8 motorisées. Le gros de la II° flotte aérienne de Kesselring participerait à l’opération. Toutefois, l’offensive allait se déclencher sur un front immense — près de 350 kilomètres — et se heurter à des positions solides, sans cesse renforcées depuis plus de six semaines par les Soviétiques. Les dépôts de l’armée, tout juste reconstitués, ne permettaient aucun aléa. Mais plus que tout, Typhon prenait l’allure d’une course contre la montre. Le groupe d’armées Centre devait réaliser un bond de plus de 300 kilomètres avant l’apparition du terrible hiver moscovite. Mais, à la fin de septembre, le temps restait beau, le sol restait sec et la confiance régnait dans les états-majors.
Une fois de plus, la tâche principale revenait aux panzers. Le groupe blindé de Guderian, revenu d’Ukraine, attaquerait à l’extrême droite, dès le 30 septembre. C’est lui qui aurait la distance la plus longue à franchir. Son effort principal s’exercerait en direction de Briansk, Orel, Toula. Il menacerait la capitale soviétique par le sud. Le 2 octobre, les deux groupes blindés de Hoth et de Hoeppner, entraînant les armées d’infanterie, attaqueraient de part et d’autre de l’autoroute Smolensk-Viazma et tenteraient de prendre au piège les forces soviétiques et d’ouvrir la route de Moscou.
L’attaque démarra par un temps splendide. Une fois de plus, le succès dépassa les prévisions. Les positions soviétiques furent enfoncées en quelques heures. Le 8 octobre, les panzers de Hoth, venus du nord, et ceux de Hoeppner, surgissant du sud, se rejoignirent à Viazma, après un bond de plus de 150 kilomètres. Le gros des forces du front Ouest soviétique, c’est-à-dire quatre armées, se trouvait pris au piège. Joukov devait même reconnaître que le 2 au soir, toutes les routes conduisant à Moscou étaient ouvertes ». Plus au sud. le 2e groupe blindé de Guderian réalisait, lui aussi, un coup de maître, encerclant dans la poche de Briansk deux armées soviétiques. Vingt-quatre heures plus tard, les chars de la 4e panzers faisaient irruption dans Orel, provoquant une indescriptible surprise. Les tramways fonctionnaient encore et les caisses enfermant le matériel des usines à évacuer sur l’Oural encombraient les trottoirs de toutes les rues conduisant à la gare.
Ainsi, en quelques jours, tout le dispositif soviétique .couvrant Moscou était en pièces. Plusieurs centaines de milliers d’hommes tentaient de rompre l’encerclement. En vain. Au bout de quatre ou cinq jours, les convulsions désordonnées diminuèrent d’intensité, puis cessèrent. Néanmoins, le nettoyage des deux poches de Viazma et de Briansk dura jusqu’au 18 octobre. Plusieurs milliers d’isolés réussirent à passer à travers les mailles du filet. D’autres constituèrent, dans les forêts inextricables, des foyers de partisans. Mais le bilan n’en était pas moins éloquent, comparable à celui enregistré en Ukraine un mois plus tôt. Les Allemands dénombrèrent plus de 690 000 prisonniers et capturèrent 1 242 engins blindés et plus de 5 400 canons.
Plus rien alors ne s’opposait à une marche victorieuse sur Moscou. Le commandement soviétique réagit néanmoins avec habileté. Le général Joukov (gauche), nommé au commandement du front central, jeta ses dernières réserves sur ses flancs, au nord, dans la région de Kalinin, au sud, dans la région de Toula. Cette manoeuvre amena Brauchitsch à adopter un vaste dispositif en tenaille destiné à déborder largement la capitale. C’est ainsi qu’au lieu de lancer le 3e groupe blindé de Hoth directement sur Moscou, comme le lui conseillait Bock, par la brèche qui existait entre la haute Volga et la route ViazmaMojaïsk, Brauchitsch préféra l’orienter vers Kalinin, pour écarter toute menace de l’armée Rouge, avant de le faire redescendre sur Moscou.
Néanmoins, au début de la seconde quinzaine d’octobre, le commandement soviétique connut des journées dramatiques. L’étau se resserrait inexorablement sur Moscou. Au sud, Guderian, malgré une violente contre-attaque de T-34 à Mtsensk, continuait sa poussée sur Toula. Au nord, le 14 octobre, les chars de Hoth s’emparaient de Kalinin et atteignaient la mer de Moscou. Au centre, les Allemands pénétraient dans Mojaïsk et Kalouga. Leurs éléments avancés ne se trouvaient plus qu’à 70 kilomètres de Moscou. En quinze jours, ils avaient parcouru les deux tiers du chemin qui les séparait de la capitale.