Les enjeux de la bataille de l'Atlantique

Les efforts des Allemands n’auront pas été vains. En patrouillant dans l’Atlantique, ils ont atteint leur but: le blocus de l’Angleterre. Mais pas seulement. Entravant l’approvisionnement en pétrole des Etats-Unis et provoquant une pénurie importante de tonnage, ils retardent le débarquement américain en Europe

Le gros de la bataille de l'Atlantique incombe aux U-Boote

La bataille de l'Atlantique mettra en jeu l'aviation, les mines et de grands navires de surface, indépendamment naturellement des U-Boote.

La bataille de l’Atlantique mettra en jeu l’aviation, les mines et de grands navires de surface, indépendamment naturellement des U-Boote. Toutefois, après l’affaire du Bismarck, en mai 1941, et le retour en mer du Nord, en février 1942, du groupe Scharnhorst, Gneisenau et Prinz Eugen, jusque-là basé à Brest, les grands navires établiront leur base d’opérations en Norvège de manière à exercer une menace contre les convois de Mourmansk, en dehors de la portée de l’aviation britannique. Quant à la Luftwaffe, après le redéploiement d’avril-mai 1941 dans l’est européen, elle cessera de participer de manière déterminante à la bataille de l’Atlantique proprement dite. Toutefois, des groupes aériens basés en Norvège et en Sicile prélèveront jusqu’en 1942 un lourd tribut sur les convois de ravitaillement à destination de l’URSS et de Malte.
Il n’en reste pas moins qu’à partir de l’été 1941, le gros de la lutte incombe aux sous-marins. La bataille met en jeu des conceptions tactiques originales qui procèdent de la nature même du sous-marin. En 1939, ce bâtiment, qui n’a pratiquement pas évolué en une vingtaine d’années, apparaît pour certains comme démodé voire dépassé. Dans la Royal Navy, l’adoption de l’appareil de détection par ultrasons Asdic, en liaison avec le système des convois, semble reléguer au second plan la menace sous-marine. En 1937, l’amirauté n’hésite pas à écrire au Shipping Advisory Committee « le sous-marin ne sera plus jamais en mesure de nous poser les mêmes problèmes qu’en 1917 ! » L’amirauté est surtout préoccupée par le danger représenté par les grands navires de surface. Il y a là une forte illusion.
Dès le début du conflit, des torpillages retentissants comme ceux du Royal Oak ou du Courageous, ou des attaques réussies contre des convois démontrent que le sous-marin n’a rien perdu de sa capacité offensive. Mieux même, l’amiral Dönitz, le créateur de la nouvelle U-Bootwaffe, se trouve à l’origine d’une innovation tactique dont il a d’ailleurs révélé les grandes lignes dans un ouvrage paru en 1939, mais totalement passé inaperçu en France et en Angleterre. Dönitz a imaginé la tactique du Wolfpack, la tactique des meutes, c’est-à-dire l’attaque des convois de nuit par des groupes de sous-marins agissant en surface. Les progrès considérables réalisés par la radio depuis 1919 doivent permettre de coordonner depuis un poste de commandement établi à terre les opérations des U-Boote. Les premières attaques en meutes interviennent avec un plein succès, pendant la drôle de guerre. Elles sont cependant limitées par le nombre insuffisant de bâtiments opérationnels.

Hitler ne condamne pas les Américains

Hitler ne condamne pas les Américains

Les médiocres performances allemandes tiennent encore à la qualité des escortes adverses et aux résultats obtenus par les Anglais dans le domaine des codes. Elles procèdent aussi de l’intervention croissante de l’US Navy dans la bataille dans le cadre d’une guerre non déclarée. La ligne de neutralité américaine, portée au 26° méridien en avril 1941, oblige les U-Boote à concentrer leurs attaques dans la partie orientale de l’océan où la Royal Navy peut regrouper tous ses moyens. À partir de septembre 1941, l’US Navy participe à l’escorte des convois jusqu’en Islande et intervient directement. En dépit de l’insistance de ses amiraux, Hitler rejette toute mesure de rétorsion. Il se refuse à répondre aux provocations de Roosevelt et à se laisser entraîner dans un conflit avec les États-Unis avant d’avoir réglé le problème de l’Union soviétique. Cette phase de rodage s’interrompt brutalement en décembre 1941. Fait pour le moins paradoxal, la crise alliée de la bataille de l’Atlantique se produit immédiatement après l’intervention directe des Américains dans le conflit. En vertu du plan de développement de l’arme sous-marine, le nombre d’U-Boote opérationnels augmente rapidement pour atteindre une centaine à la fin de 1942, dont la moitié dans l’Atlantique.
Dônitz se trouve encore en mesure d’exploiter de lourdes erreurs alliées. Dès janvier 1942, des groupes de sous-marins opèrent sur la côte orientale des États-Unis où ils trouvent une situation idéale. La navigation s’effectue dans des conditions de temps de paix et l’US Navy, qui a dû distraire une partie de ses moyens au profit du Pacifique, se contente de pratiquer le système des routes patrouillées dont l’inefficacité avait pourtant été démontrée au cours de la Première Guerre mondiale. En six mois, les sous-marins, sans subir de pertes, envoient par le fond près de 2,5 millions de tonnes de navires, dont une forte proportion de pétroliers. Cette période des « temps heureux » s’achève en juillet 1942, quand les Américains se décident enfin à mettre en place un système de convois protégés.

Les convois mis en pièce en 1942 et début 1943 dans l'Atlantique

Les convois mis en pièce en 1942 et début 1943

Dönitz regroupe alors ses bâtiments dans le centre de l’océan où règne le « trou noir », une zone qui n’est pas couverte par l’aviation de patrouille maritime. Il met ainsi à profit une seconde faute majeure des Anglo-Américains. Les responsables de l’aviation stratégique s’obstinent alors à vouloir détruire les sous-marins dans les chantiers de construction ou dans les ports. Cette doctrine, a priori séduisante, aboutit à un fiasco total. La production de sous-marins ne cessera d’augmenter jusqu’en mars 1945, avec vingt-six bâtiments entrés en service ce mois-là. Cette erreur de doctrine se traduit encore par des pertes sévères : près de mille bombardiers lourds abattus par la DCA ou la chasse allemande.
La tactique des meutes arrive alors à maturité et les U-Boote remportent jusqu’en mars-avril 1943 des succès spectaculaires. Le montant des pertes alliées grimpe en flèche et, pour la première fois depuis 1917, le tonnage détruit oscille de 400 000 à 600 000 tonnes par mois indépendamment de l’augmentation du nombre de sous-marins opérationnels, cette situation tient au renversement de la bataille des codes au profit des Allemands, ce qui permet de constituer des meutes dans les conditions les plus avantageuses. Les trois premiers mois de 1943 sont ainsi particulièrement sombres. En dépit d’escortes renforcées, plusieurs convois sont littéralement mis en pièces. Les Allemands semblent sur le point de l’emporter.
Le renversement de la bataille intervient cependant avec une rapidité surprenante. Les destructions de sous-marins augmentent de manière impressionnante pour des résultats de plus en plus médiocres. D’avril à septembre 1943, 144 U-boote sont coulés pour la perte de 195 navires de commerce. Le bilan du dernier trimestre est encore pire. À la fin de l’année, Dönitz doit reconnaître que l’Allemagne a perdu la bataille de l’Atlantique.
La victoire définitive des Alliés ne doit pas dissimuler les crises sévères subies par leurs économies de guerre. La première intervient au cours du premier semestre de l’année 1942 lors de l’offensive des U-Boote sur la côte est des États-Unis. Une pénurie de pétrole concerne toute la région industrielle du nord-est des États-Unis, au point de compromettre l’effort de guerre et d’entraîner la construction de deux oléoducs pour permettre au pétrole du Middle West et des Caraïbes d’atteindre les zones de consommation. Phénomène plus grave encore, la pénurie de tonnage paralyse le transfert des divisions américaines sorties des camps d’entraînement à destination de la Grande-Bretagne, en dépit d’un allégement substantiel de leurs structures. Dans le cadre du débat stratégique anglo-saxon du printemps de 1942, cette paralysie contribue à l’abandon de l’opération Sledgehammer, le débarquement en France, au profit du plan Torch beaucoup moins ambitieux et qui ne pourra mettre en jeu que cent mille hommes au maximum. Simultanément, faute de tonnage encore, l’amirauté britannique doit prendre la décision stratégique et politique capitale, en raison des relations avec l’URSS, de suspendre pendant l’été 1942 les convois à destination de Mourmansk et de transférer en Méditerranée les bâtiments nécessaires à la survie de Malte.

La mauvaise volonté des japonais

Une seconde crise sévère survient au début de 1943. Les pertes atteignent un tel niveau que l’on assiste à une paralysie stratégique. Lors de la Conférence de Casablanca, la priorité est accordée à la bataille de l’Atlantique. Un calcul élémentaire démontre alors que le maintien d’un niveau de pertes élevées ne peut aboutir qu’à un ralentissement des opérations en Méditerranée et à un nouvel ajournement des débarquements prévus en France pour 1944, avec toutes les répercussions qu’un tel retard pourrait entraîner dans les rapports entre les Anglo-Américains et les Soviétiques.
Un dernier élément se trouve encore à l’origine de la victoire alliée, qui démontre, une fois de plus, le caractère vraiment mondial de la lutte. Les Anglo-Américains n’ont pas eu à livrer une seconde bataille des communications dans le Pacifique. En dépit des objurgations allemandes, les Japonais se sont refusés à utiliser leur grande flotte de sous-marins (cent cinquante bâtiments en 1942), et ils sont restés fidèles à leur doctrine d’avant-guerre reposant sur l’observation et l’attaque des navires de combat. Cette opération a eu des conséquences stratégiques majeures. La navigation commerciale alliée dans le Pacifique a pu s’effectuer dans des conditions de temps de paix. Les Américains n’ont pas été obligés de recourir au système des convois et de prélever des escorteurs dans l’Atlantique. Une ponction de tonnage même modéré aurait ralenti le rythme des opérations en Extrême-Orient et, également, sur le théâtre occidental. Elle aurait modifié le déroulement des plans alliés et donné probablement au conflit un visage totalement différent.
Une dernière question ne s’en pose pas moins. Si les Allemands avaient finalement réussi à maintenir un rythme de destruction de 600 000 tonnes par mois, en 1943 et au cours de l’année suivante, auraient-ils réellement pu paralyser la stratégie alliée et retarder de manière décisive la constitution du second front ? Cette thèse, généralement admise, a cependant été contestée. Pour des raisons de politique générale évidentes, les Anglo-Américains n’auraient pu renoncer à Overlord et auraient été amenés à effectuer des prélèvements de tonnage en Méditerranée et surtout dans le Pacifique, quitte à ralentir le rythme des opérations sur ces théâtres.

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